L'Embrasement

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Terre, territoire de l’UNA, 01h07, quelque part dans un bar de New York

Scott rajusta ses lunettes : le spectacle faisait peine à voir. Le bar était quasiment désert, ne contenant plus qu’une odeur de renfermé et un client bien imbibé qui roupillait, la tête sur le comptoir. Après un rapide coup d’œil aux alentours, Scott alla s’asseoir au bar lui aussi.

Scott Feral, vingt-sept ans, avait depuis toujours travaillé pour l’armée de l’UNA ici sur Terre, mais ses designs s’étaient parfois retrouvés dans l’espace. Spécialisé dans la conception de Comet, il avait plus d’une fois fait parler de lui grâce à ses optimisations de maniement pour les pilotes. Ses designs étaient assez intuitifs pour être utilisés par des jeunes pilotes dotés d’un minimum d’expérience, mais suffisamment complets pour laisser une place à la virtuosité de certains vétérans.

Son meilleur ami et collègue était le légendaire John Ericson. Diplômé à vingt-deux ans de la meilleure école militaire de l’UNA, John n’avait eu aucun mal à se distinguer par ses capacités, aussi bien physiques que mentales. D’abord pilote de Comet, il fut successivement conseiller militaire et stratège avant de finalement redevenir pilote et enfin, chef d’escadrille, à sa propre demande. Le pilotage était sa vie. Il maîtrisait toujours sa machine à la perfection et plus un combat durait et plus ses réflexes se gagnaient en précision. Il ne cherchait pas à abattre son adversaire et faisait même de sa fierté l’idée de laisser en vie le maximum de personnes, alliés comme ennemis. Sa maîtrise des Comets était telle qu’il réussissait le plus souvent à sauvegarder le pilote qu’il éliminait, profitant même parfois de l’occasion pour lui glisser un mot d’encouragement pour un éventuel prochain affrontement.

Après plusieurs affrontements armés contre des rebelles de l’UNA et quelques interventions en soutien aux forces de la Fédération pour gérer leurs propres indépendantistes, John fut élevé au rang de héros national, souvent appelé par le nom de « Captain New America ».

Après avoir commandé un verre, Scott posa sa main sur l’épaule de l’homme endormi au bar :

— Bon John. S’agirait d’y aller non ?

Émergeant à peine, John, l’esprit encore lourd, roula sa tête sur le côté pour voir le visage de son ami. La main qui ne tenait pas la bouteille d’alcool était encore refermée sur sa médaille, un bijou sur lequel était gravé son sobriquet et qu’il gardait toujours sur lui. Il émit alors un petit grognement affirmatif.

— T’es quand même pas croyable. Si les gens te voyaient. Regardez qui voilà ; à peine une heure du mat’ et le Captain New America est bourré dans un bar. Même quand on était à l’école tu tenais mieux que ça.

John se redressa avec difficulté et attrapa son verre déjà à moitié vide.

— Qu’est-ce que tu fous là, Scott ? Je croyais qu’on en avait fini tous les deux. Y’a plus de place dans le monde pour les gens comme nous. Tu construis des armes et je les pilote. À l’heure actuelle, les gens comme nous sont vus comme des meurtriers. Si t’as le malheur de bousculer quelqu’un dans la rue t’es déjà un délinquant, alors les militaires…

— C’est vrai que ça fait un moment que les gens me regardent bizarrement quand je dis ce que fais. De nos jours, malgré les batailles à travers le monde, les soldats restent mal vus. Une habitude que les gens ont prise du temps où tout allait bien il faut croire. Même l’image du Captain New America en a pris un coup, pas vrai ? Et pourtant…

Il laissa la phrase en suspens pour être sûr d’avoir l’attention de son vieil ami. Celui-ci, tout en prenant une gorgée, lui adressa le regard interrogatif en coin que Scott lui connaissait bien.

— Pourtant, reprit-il, Neo Paris a été attaquée pas plus tard qu’hier.

— Qu’est-ce que tu veux que ça me foute ?

— D’après ce qui a transpiré, la Fédération aurait développé de nouvelles armes et l’attaque qui a eu lieu avait pour but de voler lesdites armes.

— L’Alliance ?

— À moins que la Fédération soit assez conne pour s’attaquer elle-même, je ne vois pas d’autre explication.

— Et ces armes ? demanda John dont les yeux s’étaient allumés.

— Des prototypes d’un nouveau type. Nom de code : Stolas.

Ce disant, il avait sorti de la poche intérieure de son veston les informations que l’UNA avait récupérées ; n’avaient été pris que quelques clichés du Themios en action dans la colonie de Neo Paris.

— Il n’a pas l’air vraiment solide, commenta John, déçu.

— Ne te fie pas aux apparences. Ce modèle-ci était le moins optimisé et était encore en développement lorsque les autres ont été volés. Finalement, c’est la Fédération qui a récupéré les restes.

— Les restes ?

— On présume qu’il y avait trois Stolas en développement. L’Alliance – si c’est bien elle – a réussi à en voler deux d’un coup. Voyant que celui-ci leur avait échappé, ils sont revenus finir le travail mais il a plus résisté qu’ils ne l’avaient anticipé et ils ont dû pas mal l’amocher pour pouvoir le récupérer. La Fédération a tout juste eu le temps de le sauver en envoyant le Harbinger.

— Le Harbinger ? Leur tout dernier vaisseau de guerre ?

— Lui-même.

— Wow. Si la Fédération sort le Harbinger pour un seul prototype, c’est qu’il en vaut la peine. Du coup il a pu récupérer les autres ?

— Même pas. Pour faire diversion et couvrir sa fuite, l’Alliance a… détruit Neo Paris.

Il y eut un long silence.

— Pardon ? demanda John après avoir vérifié qu’il n’avait halluciné. Détruit Neo Paris ? Détruire une colonie spatiale ?

Scott hocha la tête.

— Et les habitants ? Ils ont pu… ?

— Normalement, la plupart ont pu fuir. L’alerte a été donnée très vite et on compte de nombreuses capsules de sauvetage qui ont rejoint d’autres colonies proches mais…

— Mais ils ont quand même détruit une putain de colonie ! dit John en frappant son verre sur le bar. Si l’Alliance se met à détruire une colonie pour récupérer des armes, moi je ne vois qu’une issue possible, dit-il avec une voix qui, sous la colère et la tristesse, laissait transparaître une certaine excitation.

Un nouveau silence s’abattit sur le petit bar.

— Scott. Pourquoi es-tu venu me trouver ici ?

Scott fit glisser une fiche technique sur le bar :

— Projet Braveheart. Nous aussi on a bossé sur des prototypes. Et même s’ils ne sont pas encore aussi perfectionnés que les Stolas de la Fédération, mis entre de bonnes mains, ils pourront s’avérer un atout déterminant dans les évènements à suivre.

John prit la fiche dans sa main et analysa le Comet représenté :

— Mobilité accrue… armement axé sur l’attaque… Un vrai bijou que tu me présentes là. On dirait qu’il a été désigné spécialement pour moi.

— Il l’a été, dit Scott avec un sourire malin. Le gouvernement avait anticipé depuis un moment qu’une étincelle comme celle-ci pourrait arriver et on m’a demandé de recouper toutes les informations de combat te concernant pour pouvoir créer un Comet qui te correspondrait le mieux possible.

— Charmante attention. Et comment il s’appelle mon nouveau joujou ?

— Il est immatriculé UN-X011. Mais je me suis permis de le rebaptiser Alpheor.

Alors que John scrutait les détails de la fiche technique, Scott lui dit d’une voix calme :

— Ils ont besoin de toi là-haut. Quelqu’un de très spécial t’a réclamé spécifiquement. Un ami, il faut croire.

— Non, dit John. Lui ?

— Aye. Andrew O’Brian. L’Aigle de Sang lui-même.

Hell, dit John en vidant son verre et en serrant sa médaille dans sa main. It’s about time.

Espace, non loin des restes de Neo Paris, Harbinger, 11h34 heure de bord.

Zack se tenait assis aux côtés d’Héliana qui venait de faire son rapport à l’amiral Bilge. Refusant d’abord d’avoir à entendre un rapport militaire sur une arme aussi secrète en présence d’un civil, l’amiral avait finalement cédé de mauvaise grâce devant l’insistance de la pilote arguant que les éventuels ajouts de Zack Arelli seraient cruciaux. Mais pendant tout l’exposé, Zack était resté silencieux, oppressé par la carrure imposante de l’amiral. Outre ce regard sévère à moitié caché par son képi militaire, ce qui avait surtout marqué le garçon était cette moustache brune particulièrement épaisse. Sa voix était très rauque et ses intonations manquaient cruellement de délicatesse, mais son hôte étant l’un des militaires les plus hauts gradés de la Fédération, cela devait sans doute faire partie des prérequis pour pouvoir survivre dans cet univers que le garçon ne connaissait pas.

— Ainsi vous dites qu’un civil a réussi à finir en quelques minutes la configuration d’un modèle laissé incomplet par nos ingénieurs ?

— En quelques secondes, corrigea Héliana agacée par les détours que prenaient Bilge pour ne pas avoir à parler à Zack. Et il est ici même.

— C’est bien ça jeune homme ? finit par demander l’amiral en se tournant vers Zack.

— Ou… Oui, répondit Zack intimidé par le regard qu’on lui lançait.

La moustache tressaillit dans un grognement d’indifférence.

— À vrai dire, reprit Zack après un court silence. Je ne l’ai pas fini. Je l’ai reconstitué.

L’amiral haussa un sourcil interrogateur ; c’était la première fois que Zack le voyait un tant soit peu surpris.

— Le système d’exploitation était inadapté pour une machine aussi avancée. J’ai donc dû le mettre un moment de côté pour en configurer un nouveau plus adapté.

— Et qui vous a donné cette permission ? cria soudain Bilge en se levant de toute sa hauteur.

— C’est moi ! intervint Héliana en faisant de même. C’était une question de vie et de mort et ce garçon a fait la différence ! Le Themios serait aux mains de nos ravisseurs s’il n’était pas intervenu !

Zack se faisait tout petit. Il en venait presque à regretter d’avoir aidé cette pilote de la Fédération. Qu’est-ce qui lui avait pris ? Pourquoi était-il resté ? Pourquoi n’était-il pas parti avec son frère lors de l’attaque ?

— Que vous le vouliez ou non, le Themios est inutilisable sans lui !

Ayant été inattentif un moment, Zack avait rattrapé la conversation à ce moment.

— Vous l’avez piloté ! objecta Bilge. Vous saurez le refaire, non ?

— Oui, mais le système est encore incomplet. Cette machine a encore du potentiel. Et sans un programmeur de talent, elle restera difficilement exploitable pour qui que ce soit.

Bilge sembla se calmer. Il soupira et se rassit :

— Et que préconisez-vous, Steinfeld ?

— Je n’ai malheureusement aucune solution, dit-elle en faisant de même. Il faudrait quelqu’un pour le reconfigurer, mais à part lui, je crois bien que nous n’ayons personne d’assez compétent.

— Nous pourrions rejoindre Neo Berlin pour cela.

— Cela nous prendrait trop de temps. Et la plupart de nos meilleurs ingénieurs sont sur Terre. Si jamais nos assaillants revenaient… qui étaient-ils d’ailleurs ? Je n’ai pas reconnu le modèle.

— Nous ne savons pas vraiment. Mais leur vaisseau-mère était assez puissant pour détruire Neo Paris.

Ce rappel lâcha un froid dans le bureau de l’amiral. Lors de la bataille spatiale qui avait suivi le rapatriement du Themios, le vaisseau mère ennemi avait fait feu sur le Harbinger avec son canon principal. L’attaque esquivée avait frappé de plein fouet la colonie, résultant en une explosion titanesque au cours de laquelle le vaisseau de la Fédération avait perdu la trace de leur assaillant.

— Nous en reparlerons, dit Bilge en chassant ces pensées et ses invités d’un revers de main. Rompez.

Zack ne se fit pas prier pour sortir du bureau où il se retrouva un moment seul avec la pilote :

— Je n’ai même pas eu l’occasion de te le dire, dit-elle soudain. Mais merci Zack. On s’en serait pas sortis sans toi.

Venant de quelqu’un qui l’avait menacé assez vivement, ces paroles surprirent le garçon. Mais à voir la manière dont elle avait pris sa défense contre l’amiral Bilge, il comprit qu’elle lui était réellement reconnaissante.

Il n’avait jamais encore pris le temps de vraiment l’observer. Héliana semblait encore assez jeune et Zack ne lui donnait pas plus de vingt-cinq ans. Elle avait de longs cheveux châtain clair, lisses, qu’elle coiffait le plus souvent en une épaisse queue de cheval lorsqu’ils n’étaient pas juste relâchés. Sa peau était très claire, parsemée de quelques timides taches de rousseur. L’espace d’un bref instant, un sourire léger mais sincère passa même sur son visage, laissant deviner une personnalité sympathique derrière le masque froid et professionnel qu’elle s’efforçait d’aborder.

Ils retournèrent près des hangars où Nicolas, Diego, Vlad et Alice attendaient leur ami.

— Alors ? lui demanda Nicolas.

— Ça… va, je pense, dit timidement Zack encore secoué par l’attitude de l’amiral.

— Il s’en est pas trop mal tiré, dit Héliana avec confiance. Il lui a rabattu son caquet, c’était beau à voir.

— Vous semblez familière avec l’amiral, hasarda Alice. Vous le connaissez ?

— Oui, nous avons eu à travailler avec lui par le passé avec Nicolas. Il est un peu rustre mais il est pas méchant. Et puis, il a l’esprit chargé. Il a été le dernier haut-gradé à voir Neo Paris et il transporte désormais une arme top-secrète de la Fédération. Pas étonnant qu’il soit sur les nerfs.

Dans le hangar, le Themios était en train d’être réparé. Les connections des bras avaient été sectionnées, mais en les reliant entre elles et en resoudant le métal par-dessus, le Comet devrait bientôt être opérationnel.

— Que va-t-on devenir ? murmura Alice à voix haute, les yeux encore rougis par la perte de son chez elle. Neo Paris est détruite, nos parents sont morts, tous ceux qu’on connaissait…

— Allons, la rassura Vlad en passant son bras autour de ses épaules. Tu as vu comme nous ; de nombreuses capsules de sauvetage ont rejoint d’autres colonies, tes parents sont peut-être dedans.

— Ouais, murmura Diego. Espérons-le…

Zack adressa un regard discret à son frère, mais celui-ci secoua la tête : il n’avait pas reçu de nouvelles de leurs parents, rien pour confirmer qu’ils étaient en vie. Même si l’entretien avec l’amiral l’avait brièvement rendu nerveux, ce n’était rien devant l’inquiétude que le garçon éprouvait pour ses parents.

— Hey !

Ils se retournèrent : Valur Quattor, le chef de l’escadrille des Faucons Bleus qui était venu en aide à Héliana dans le Themios, arrivait dans leur direction. Originaire des pays nordiques de la Fédération, le jeune homme ayant dépassé de peu la vingtaine d’années avait le regard franc et clair. Il portait sous son bras le casque bleu caractéristique des pilotes de la Fédération.

— Héliana Steinfeld, le Sniper de la Fédération. Ça faisait longtemps.

— En effet, Valur. Quoi de neuf depuis mon passage chez vous ?

— Les Faucons sont restés les mêmes, nous avons toujours nos cinq pilotes et ça leur fera plaisir de te revoir. Il faudra qu’on se refasse une bouffe un de ces quatre. Mais avant raconte-moi, qu’est-ce qui t’amène ici ? Il parait que t’as été affectée au Projet Stolas.

— Oui, dit-elle. Je pensais que c’était confidentiel.

— Oh ça l’a été. Mais depuis peu, nous sur le Harbinger on a commencé à en entendre parler. Et du coup ? Si j’ai bien suivi ils ont réussi à en chopper deux.

— Oui. Une quatrième machine était stockée sur Neo Paris en attendant d’être opérationnelle, mais elle a été emportée par l’explosion. Maintenant, la question est de savoir qui est ce « ils ».

Valur acquiesça lentement avant de tourner son regard vers Zack, resté silencieux, comme dans l’ombre de la jeune femme.

— Et toi ? demanda alors le pilote après un moment. Tu dois être Zack, non ? Le petit frère de Nicolas qui a reconfiguré le Themios.

Le garçon hocha la tête.

— Sacré boulot. Je ne savais même pas que c’était possible. Ni que Neo Paris abritait de tels génies. Tu nous avais jamais dit ça, Nico’. On pourrait bien avoir besoin de gens comme toi chez nous, ça ne te dirait pas ?

— Je… je ne sais pas.

— Je ne vais pas te forcer la main, la décision te revient. En attendant, ça a été un plaisir de te rencontrer.

Il lui avait tendu la main et le garçon la prit sans réelle conviction. Mais à sentir la poigne du jeune pilote, il sut que ce dernier était sincère.

Alors que Valur s’éloignait, un officier appela les civils :

— Messieurs Diego Feluggia, Zack Arelli, Vlad Duval et mademoiselle Alice Karelim ? Je vais vous montrer vos chambres, si vous voulez bien me suivre.

— Allez, filez les jeunes, les poussa Héliana. Moi je vais voir de plus près où ils en sont sur mon Themios.

— Ouais, moi je retourne à mon Sigma, dit Valur, Nicolas, tu viens ? Je vais te montrer où on a rangé le tien.

— J’arrive.

Alors qu’il commençait à partir vers l’arrière du vaisseau vers les cabines personnelles, Zack se retourna un dernier moment pour un rapide tête-à-tête avec Héliana :

— Est-ce vrai ce que vous avez dit ? demanda-il. Que personne à part moi ne peut reconfigurer le Themios ?

— Complètement vrai. De ma vie, je n’ai jamais vu quelqu’un se débrouiller aussi bien et aussi vite avec ce genre de système. Même si je n’aimerais pas savoir un civil s’approcher autant de mon Themios, Valur a raison ; on pourrait vraiment avoir besoin de gens comme toi.

Terre, 21h36, territoire de l’Alliance, au cœur de la base militaire proche de Beijing

Assis à son bureau où, entre les deux ordinateurs sur lesquels il travaillait, se trouvait une photo de sa femme et sa fille, le colonel Min, vétéran de l’Alliance Asiatique, finissait sa journée, son front toujours creusé par ce froncement de sourcils qui faisait sa particularité. Kyu Shim de son prénom, le colonel était souvent désigné comme Min Kyu Shim comme il était d’usage en Asie. Il n’était pas spécialement grand, mais son profil imposait le respect au sein de l’Alliance. Il était reconnu comme un stratège émérite et un pilote tout à fait respectable, assistant parfois ses soldats sur le champ de bataille.

Le colonel Min avait commencé à se lever et à enfiler son imperméable lorsqu’on frappa à sa porte :

— Entrez, dit-il sans même se retourner.

Sai, son secrétaire, entra et s’inclina légèrement avant de lui remettre un document :

— Un message urgent, colonel. Ils insistent pour que vous le regardiez sur-le-champ.

Kyu Shim s’arrêta, croisa le regard encore intimidé de son secrétaire et poussa un soupir. Il raccrocha alors son imperméable au portemanteau, prit les documents et se rassit à son bureau. Voyant que son secrétaire était encore là, il lui fit signe qu’il pouvait disposer.

— Sauf votre respect mon colonel, je suis encore secoué par ces nouvelles. J’aimerais avoir votre avis dessus et demande de fait la permission de rester un moment.

Sai était de nature hésitante, presque peureuse, mais avait cette curiosité naturelle que Kyu Shim lui appréciait et qui lui avait valu son entrée à son service. Sans s’émouvoir, Kyu Shim ouvrit le document et le parcourut.

Alors qu’il lisait ces lignes, son visage resta presque parfaitement impassible, mais un œil particulièrement averti aurait pu remarquer que ses yeux s’étaient très légèrement écarquillés. Lorsqu’il l’eut fini, il soupira et reposa les documents sur la table.

— Qu’en penses-tu, Sai ?

— Est-ce vrai ?

— Pourquoi nous mentirait-on ? Oui, si ce genre de nouvelles arrive de plus haut, il n’y a pas de raison de la mettre en doute.

— C’est quand même de la destruction d’une colonie dont on parle. C’est… horrible. Ce n’était pas arrivé depuis des dizaines d’années.

— Tu n’étais qu’un enfant lorsque Xin DongJing a été détruite. Ça a été une tragédie internationale, mais toutes les enquêtes ont démontré qu’il s’agissait d’un accident.

— Je sais oui.

— Mais cette fois... ce n’est pas un accident. On dit que des armes ont été développées par la Fédération et qu’une force inconnue s’en est emparée.

— Vous pensez que c’est l’UNA ?

— Qui d’autre ? Qui serait assez orgueilleux et avide pour revendiquer des armes au détriment de la vie humaine ? La création de XingJing leur est restée dans le travers de la gorge.

— Et vous pensez que c’est pour ça qu’ils ont attaqué la Fédération ?

— Sans doute. Mais de toute manière, la Fédération n’est pas innocente non plus. Que faisait-elle à développer de telles armes sur une colonie civile ?

— Que pensez-vous qu’il va se passer ?

— Je l’ignore, dit Min Kyu Shim en se retenant de se mettre la tête dans les mains. Mais cela m’étonnerait que l’Alliance reste bras croisés et que la Fédération se laisse faire.

— Vous pensez que…

Sai n’avait pas besoin de dire le mot ; la guerre était déjà là. Et ce genre d’évènement ne pourrait qu’aviver son feu déjà ardent. Le colonel secoua la tête, en manque de réponses, et se leva pour reprendre son imperméable.

— Colonel, il y a… autre chose.

Il tendit un autre document. Intrigué, Kyu Shim finit tout de même d’enfiler son imperméable avant de le prendre et de le lire.

— Et voilà, dit-il, grave. Ce document fait état d’une arme spéciale sur laquelle notre gouvernement a travaillé.

— Et que dit-il ?

— Rien de concret sinon que c’est un projet resté longtemps secret et qui, s’il fonctionne, garantit la victoire.

— Comme toutes les idées d’armes secrètes à travers les siècles. Seulement elles fonctionnent rarement comme leur inventeur l’avait prédit.

Min Kyu Shim hocha la tête avec une bienveillance presque paternelle : son secrétaire prenait de plus en plus de recul par rapport aux nouvelles informations et cessait progressivement d’être le gamin naïf qui était entré à son service il y avait cinq ans.

Harbinger, 00h02 heure de bord

Après avoir passé la soirée dans le cockpit du Themios, Héliana sortit enfin, bien décidée à prendre une bonne nuit de repos. En descendant par le câble relié à la cabine de pilotage, elle put voir au loin Valur discuter avec Nicolas près des chasseurs de l’escadrille.

Par curiosité et aussi parce que cela faisait plusieurs heures qu’elle n’avait pas parlé à un être humain, Héliana se dirigea vers eux :

— Alors les mecs ? Encore debout ?

— Héliana, dit Valur en allant à sa rencontre. Tu bosses tard aussi.

— J’avais besoin de prendre un peu en main le Themios et de comprendre un peu mieux ce que Zack avait fait avec.

— Et alors ? Jugement ?

Héliana haussa les bras et se tourna vers Nicolas :

— Il faut se rendre à l’évidence. Ton petit frère est un génie.

— Il a toujours été comme ça, dit Nicolas. Je savais qu’il avait un don, mais de là à reconfigurer un Comet en si peu de temps. Alala, il me surprendra toujours.

— Et pas le plus simple en plus. Et toi ? T’as retrouvé ton Sigma ?

Sigma. Ou SX-MA020, l’immatriculation complète du chasseur spatial standard des Faucons Bleus qui, grâce à leurs performances, s’étaient vus alloué le budget pour rajouter quelques améliorations et touches personnelles au SX-MA010, le chasseur originel standard de la flotte stellaire de la Fédération.

— Oui, dit Nicolas en baissant légèrement la tête. Même si j’aurais sans doute préféré le revoir en d’autres circonstances. Ma permission s’est terminée de manière plutôt brutale. Mais puisque je suis là, autant reprendre le boulot, j’ai peur qu’on en ait besoin. Je reviens d’un petit tour pour me refaire un peu la main là.

— Que penses-tu du fait que Zack rejoigne la Fédération ?

— Je ne sais pas trop. À vrai dire, je ne le vois pas trop dans l’armée tout court. Lorsque j’ai annoncé à ma famille que je voulais devenir pilote de la Fédération, ça a surpris tout le monde, mais ils ont accepté. Mais pour Zack, je ne pense pas que l’armée soit un endroit pour lui. Il a toujours cette petite touche d’originalité qui fait que je le vois mal dans un monde comme ça.

— Mais si jamais il voulait, de lui-même ?

— Il te l’a dit ?

— Non, c’est juste une hypothèse.

— Eh bien, s’il veut, je n’ai aucune raison de l’en empêcher. Surtout en ce moment. On pourrait avoir besoin de lui.

Héliana pesa lentement la tête ; penser qu’un garçon qui ne connaissait rien à la guerre rejoigne si vite l’armée, qui plus est dans le cadre d’un projet aussi délicat que le Stolas la mettait mal à l’aise.

— Désolé Héliana, dit Valur, mais moi je suis crevé, je vous laisse.

— Oui, à vrai dire, moi aussi. Bonne nuit, les gars.

Quelques minutes plus tard, elle était sous la douche et, tout en sentant le filet d’eau chaude lui réchauffer la nuque, elle repensa à Zack. Pouvait-elle vraiment laisser un tel garçon s’approcher d’un projet dans ce genre ? Et si jamais elle le laissait, que penserait la Fédération ? Sa parole suffirait-elle à convaincre toute la Fédération de le laisser opérer dessus ? Et quand bien même, que deviendrait ce garçon ? Aurait-il les épaules pour supporter la pression d’opérer sur un tel projet ?

En fermant l’arrivée d’eau, elle se rendit à l’évidence. Oui. Après tout, la Fédération avait déjà accepté bien pire et il ne serait pas le premier civil reconverti après avoir tout perdu.

Après cette douche revigorante bien qu’emplie de sombres pensées, Héliana, les cheveux encore humides, voulut rendre visite à Zack. Quelque chose en elle lui disait qu’il ne dormait pas et, lorsqu’elle frappa à la porte de sa chambre, elle put distinctement entendre sa voix lui dire d’entrer.

Les chambres dans lesquels les civils étaient logés étaient plus grandes que ce que l’on aurait pu penser, disposant d’un lit, d’un bureau et de deux chaises. Certains des lits étaient superposés, mais le garçon avait la chance d’avoir une chambre à lui tout seul. Sur le lit avait été déposé une tenue de rechange ; un uniforme militaire aux couleurs de la Fédération.

Zack était attablé sur son bureau, face à une étrange boule blanche reliée à son ordinateur, et pianotait sur son clavier. Il ne prit même pas la peine de se retourner.

— Zack ? demanda Héliana. Ça va ?

Elle n’eut pour réponse qu’un grognement affirmatif. À l’évidence, quelque chose le tracassait. Héliana soupira, entra, referma la porte, attrapa une chaise et s’assit à califourchon à côté du garçon.

Elle ne dit rien d’abord et regarda l’écran de l’ordinateur. Le garçon y tapait du code informatique aussi facilement qu’il aurait écrit un texte dans sa langue natale. Même si elle ne comprenait pas tout, la jeune femme put comprendre qu’il s’agissait d’une partie d’un algorithme de choix selon de très nombreux critères.

Son regard alla alors vers la sphère. On aurait dit une petite tête, avec deux loupiotes et une bouche ouverte dans une expression de surprise.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle pour engager la conversation.

Pour seule réponse, Zack sauvegarda son code, ferma la fenêtre en cours sur son ordinateur et alluma la petite boule. Les deux voyants clignotèrent un moment le temps de la mise en route avant de se tourner vers Héliana :

— Bonjour. Je m’appelle Ear. Et toi qui es-tu ?

— C’est toi qui l’a fait ? C’est impressionnant. Je m’appelle Héliana.

— Bonjour Héliana. Bonjour Héliana.

— Et quelles sont ses fonctions ? demanda-t-elle au garçon.

Il ne répondit pas, l’invitant plutôt à écouter son petit robot.

— Je suis un analyseur d’émotions, dit le petit robot.

— Intéressant. Tu peux alors dire ce que je ressens ?

— Héliana. Tu ressens de la curiosité et de l’empathie.

Héliana eut un léger mouvement de recul, les lèvres crispées en un sourire surpris. Devant cette réaction, Zack lui-même ne put retenir un petit sourire de satisfaction.

— Et dis-moi Ear, que ressent Zack en ce moment ?

— Zack, dit Ear en se tournant vers le garçon. Zack ressent… de l’inquiétude. De la peur. Et… de la solitude.

Le garçon n’avait pas bougé. Il avait les yeux fixés sur son robot. Son sourire avait disparu. Il tendit doucement la main et éteignit Ear. Héliana poussa un long soupir et passa sa main derrière son épaule. Un long moment passa en silence.

— Je t’ai dit merci, dit enfin Héliana comme pour changer de sujet, mais je ne t’ai pas demandé pardon. Pour t’avoir entraîné dans tout ça et pour… pour Neo Paris.

Zack sentit ses yeux se voiler de larmes à l’évocation de la destruction de Neo Paris.

— Tu n’es pas seul, reprit-elle après un nouveau silence.

Ces mots, simples et dits avec douceur, semblèrent apaiser un peu le garçon :

— Mais je suis seul. Seul à pouvoir le faire. Seul à pouvoir reconfigurer le Themios.

— C’est ça qui te tracasse tant ? demanda-t-elle avec une légèreté presque maternelle. Mais c’est pas à toi de le faire. Je te suis très reconnaissante de l’avoir fait mais ce n’est pas à toi de t’en préoccuper. Ce sera à nos ingénieurs, lorsqu’ils le récupèreront, de le faire. Après, qui sait, si tu veux bosser avec eux dessus…

— Ce que j’aimerais, reprit violemment le garçon, c’est de pouvoir retourner chez moi, de revoir mes parents ! C’est de pouvoir retourner à l’école, voir mes amis, continuer mon projet, finir Ear, et aller avec mon frère dans la boulangerie pour prendre une tartelette à la fraise ! C’est possible ça, hein ?

Il avait explosé. Toute l’émotion qu’il retenait depuis bientôt deux jours venait de sortir, tout comme les larmes qu’il avait cachées jusque-là.

— Je veux juste, reprit-il entre deux sanglots. Je veux juste que tout redevienne comme avant. C’est tout. Je voudrais que rien de tout ça ne soit arrivé.

En voyant le garçon la tête dans les bras, Héliana se rendit compte qu’elle n’avait presque jamais eu à gérer ce genre de situation. Que faire ? Que dire ? Que tout irait bien ? Que pouvait-elle promettre ? Elle ignorait même s’ils allaient atteindre Neo Berlin, si leurs assaillants allaient continuer à les harceler ou non.

— Mais ce n’est pas possible, dit-il alors en se redressant progressivement et en essuyant ses larmes. Je ne pourrai jamais retourner dans en classe, déconner avec Garet, taquiner Ivan ou flirter avec Sofia. Je ne mangerai plus les tartelettes à la fraise de notre petite boulangerie à Nicolas et moi.

Héliana ne voyait pas où il voulait en venir et garda donc le silence.

— J’ai compris en opérant dessus et en regardant les codes du système que le Themios ne pourrait jamais être piloté par quelqu’un d’autre que toi. Et moi, j’ai confiance en toi. Alors je vais le faire. Je vais te reconfigurer le Themios.

Terre, Bruxelles, Capitale de la Fédération, Chambre Fédérale, 9h33

La Chambre Fédérale était l’endroit où les différents dirigeants des pays membres de la Fédération Tripartite se réunissaient pour les rapports annuels ou pour les situations de crise. Dès que la nouvelle du vol des prototypes et de la destruction de Neo Paris lui était parvenue, la chancelière suisse Nathalie Fehlmander avait accouru pour assister à la réunion extraordinaire qu’avait convoquée le Chancelier Suprême Patrick Stuart.

La plus jeune membre de la Chambre Fédérale, Nathalie Fehlmander y avait été élue à l’âge record de vingt-cinq ans, peu après être sortie de la plus prestigieuse université d’études politiques de Berlin. Son rôle en tant que Chancelière suisse était de représenter au mieux les intérêts de son pays sur la scène internationale de la Fédération. Bien que très appréciée dans son pays natal et reconnue pour ses idéaux de paix et son jeunisme jusqu’à Bruxelles, elle avait cependant de plus en plus de mal à trouver sa place dans cet univers où les trois superpuissances avaient finalement choisi la guerre.

Patrick Stuart, le Chancelier Suprême, était un homme charismatique d’une quarantaine d’années. Il avait bien compris que l’idée d’une paix mondiale relevait encore de la fiction et, même si la guerre ne l’enchantait pas, il savait prendre certaines décisions lorsque c’était nécessaire.

— Mesdames, messieurs, je vous remercie d’avoir fait le déplacement, commença-t-il lorsque tout le monde fut installé. Pour vous qui ne pouviez malheureusement pas dégager le temps nécessaire, j’espère que la qualité de la vidéo sera suffisante. Mes chers camarades, cette réunion fait suite au tragique évènement qui a eu lieu il y a deux jours, à savoir l’attaque et la destruction de Starport 15 et surtout de Neo Paris par un groupe armé inconnu.

Depuis leurs sièges dans le grand amphithéâtre, Nathalie et les dirigeants autres des pays étaient suspendus aux lèvres du Chancelier Suprême.

— Vous n’êtes pas sans savoir, reprit Patrick, que Neo Paris a depuis toujours été un lieu d’innovation pour la Fédération et jusqu’à présent, avait été épargnée par cette guerre. Et précisément, ces derniers mois, nous avions voté pour le développement de prototypes de machines devant faire cesser les conflits et répondant au nom de code de Stolas.

— Cette idée était de la folie, monsieur le Chancelier, intervint le Chancelier suédois. Sans l’accord de l’Alliance ou de l’UNA sur la conception de ces prototypes, l’information aurait tôt ou tard fini par filtrer.

— Nous l’avions anticipé, c’est vrai, le rassura-t-il, mais la chambre avait voté pour à 76%, validant ainsi le projet. Cependant, nous n’avions pas prévu qu’un nouveau groupe armé ne fasse son apparition.

— Vous pensez qu’il ne s’agit pas de l’Alliance ni de l’UNA ? demanda le Chancelier britannique. Qui donc alors ?

— D’après nos services de renseignement, reprit Patrick, le vaisseau de guerre responsable de la destruction de Neo Paris n’appartenait ni à l’Alliance ni à l’UNA. Sa signature est toute nouvelle.

Dans la salle, les murmures se soulevaient : un vaisseau inconnu ? C’était tout bonnement impossible. Toute machine entrant ou quittant l’atmosphère terrestre laissait une signature magnétique.

— Il est donc possible, reprit le Chancelier Suprême en réimposant le silence, que ce navire de guerre n’ait pas été construit sur Terre mais directement en orbite sur les colonies. Mais cela complique alors les recherches puisque nous ne savons pas qui est derrière la création de ce vaisseau. Il pourrait en effet s’agir des services secrets de l’Alliance ou de l’UNA, comme il pourrait s’agir d’extrémistes de la Fédération en elle-même ou d’un groupe sans aucun lien avec un quelconque gouvernement.

— Dans ce cas, qui ? demanda le Chancelier turc. Qui parmi nous aurait des extrémistes au sein de son pays qui soient assez puissants et riches pour façonner un vaisseau de guerre capable, rappelons-le, de détruire une colonie spatiale ?

— Nous l’ignorons encore. C’est précisément pour cela que je vous ai réunis. Afin de vous demander officiellement de faire chacun le nécessaire pour trouver le ou les responsables derrière cet acte inqualifiable.

Tandis que les murmures se soulevaient de chaque côté de la salle, Patrick sortit de son porte-document une fiche et redemanda le silence tandis que l’écran derrière lui s’allumait :

— J’ai ici le rapport de l’amiral Bilge dans lequel il mentionne un jeune homme : Zack Arelli, commenta-t-il alors que le visage du garçon s’affichait derrière elle.

À ces mots, l’attention de Nathalie s’acéra ; elle connaissait bien l’amiral Bilge. Celui-ci avait été un ami de son père, Victor Fehlmander.

— D’après l’amiral Bilge, continua Stuart, ce jeune civil de quinze ans a réussi à reprogrammer une machine complexe comme le Stolas Themios, le seul qui nous reste après l’attaque et qui a été pris en main par une personne que vous connaissez sans doute : Héliana Steinfeld. Le X101 Stolas Themios avait été développé avec l’espoir qu’une personne aussi douée que le Major Steinfeld en prenne les commandes, mais il n’a malheureusement jamais été fini. C’est donc grâce à ce civil que le Themios est en ce moment même en train d’être révisé en attendant que le Harbinger atteigne Neo Berlin.

— Mais n’est-ce pas dangereux de laisser un civil opérer sur une telle machine ?

— C’était également l’avis de l’amiral Bilge. Mais nous n’avons malheureusement pas le choix. Le Stolas Themios sera repris en main par nos ingénieurs une fois arrivé sur Neo Berlin et le garçon sera remercié.

— Qu’en est-il des autres ? demanda le chancelier français. Les autres Stolas ? Nous n’avons jamais eu vraiment le loisir de constater leurs capacités.

— C’est exact et vous m’en voyez désolé. Les données concernant ces machines ont été perdues lors de la destruction de Neo Paris. Nous savons seulement que les Stolas étaient au nombre de quatre. Nous avons le Themios. L’ennemi a récupéré deux modèles et le dernier a été détruit pendant l’attaque sur Neo Paris.

Des murmures se levèrent encore dans la salle : quelle ironie. La Fédération allait devoir combattre les armes qu’elle avait elle-même développées.

— Et que proposez-vous en cette situation de crise ? demanda le Chancelier finlandais. Rechercher les responsables est une chose, mais de telles machines dans de mauvaises mains peuvent s’avérer très dangereuses. Avons-nous un moyen de nous défendre ?

— Nous avons la puissance de feu du Harbinger. Celui-ci n’est pas négligeable, il s’agit de notre plus puissant vaisseau de guerre. Le Themios, s’il est entre de bonnes mains – et il l’est –, peut également faire la différence.

Alors que la réunion se terminait et que les différents chanceliers sortaient, Nathalie resta un moment les yeux rivés sur la photo de Zack. Il était si jeune, plus jeune qu’elle encore. Peut-être qu’après tout, le garder auprès du Themios pourrait s’avérer judicieux s’il était aussi doué.

Elle rassembla ses dossiers et sortit de la Chambre Fédérale. Elle n’avait rien dit pendant la réunion mais n’en pensait pas moins. Elle avait toujours été opposée au projet Stolas, pensant qu’il ne ferait qu’envenimer la situation, et les faits semblaient lui donner raison.

En sortant du bâtiment de la Chambre Fédérale, elle put voir au loin Patrick Stuart répondre à une myriade de journalistes. Plus discrète, elle s’éclipsa sur le côté, essayant de rejoindre sa voiture au plus vite.

— Mademoiselle Fehlmander ?

Interrompue dans sa marche, Nathalie se retourna pour voir une jeune femme, un micro à la main.

— Bonjour mademoiselle, Louise Hidas, pour Le Planétaire. Qui se cache derrière cette attaque d’après vous ?

Le Planétaire n’était pas un journal forcément connu, mais il était au moins réputé pour ne pas trop déformer la vérité, quitte à déranger son public toujours fluctuant. Il était particulièrement connu chez les jeunes et la journaliste semblait justement avoir à peu près le même âge que la Chancelière. Elle avait les cheveux bruns coupés courts et un tailleur qui lui donnait un air professionnel.

— Je n’ai pas d’idée exacte, dit Nathalie en s’arrêtant. Je ne pense pas qu’il s’agisse du gouvernement de l’Alliance ou de l’UNA, mais plutôt de l’action d’un groupe extrémiste.

— Ils ont tout de même réussi à détruire une colonie, dit Louise. Il faut du matériel pour cela.

— C’est vrai, je sais, admit-elle. Vous pourrez dire à vos lecteurs que je n’ai malheureusement pas d’explication à donner à cette attaque. Je suis moi-même encore sous le choc.

— Je vois, je vous remercie, mademoiselle la chancelière.

Sur ce, Louise éteignit son micro et commença à s’éloigner.

— Mademoiselle Hidas, la rappela Nathalie, faisant se retourner Louise. Selon vous… qui cela peut-il être ?

Surprise de voir ainsi les rôles inversés, Louise répondit en haussant les épaules :

— Si vous ne le savez pas, comment moi le pourrais-je ? Personnellement, je pense qu’il s’agit de l’Alliance, mais je n’ai pas le début d’une preuve à ce niveau-là.

— Pourquoi elle et pas l’UNA ?

— Je dirais que bien que nous soyons en guerre contre les deux en même temps, l’Alliance est plus éloignée de la Fédération que l’UNA sur le plan politique et idéologique.

Nathalie pesa sa tête devant l’argument. Il était également vrai que l’UNA était simplement plus habile à masquer ses actions que l’Alliance. Après avoir salué une dernière fois la journaliste, elle se dirigea vers sa voiture. Une fois à l’intérieur, Edmond, son vieux chauffeur en qui elle avait confiance, démarra le véhicule et la ramena chez elle.

Stockholm, territoire de la Fédération, 15h36 heure locale

Le soleil était haut dans le ciel, et la petite brise donnait à la ville une ambiance printanière.

Au milieu de la foule, une jeune fille chargée d’un sac à dos et d’une lourde valise progressait péniblement, un papier à la main. Sa longue chevelure noire et ses yeux bridés laissaient deviner qu’elle n’était pas d’ici. Arrivée à un carrefour, elle fit une halte et son regard alterna entre son papier et la rue qu’elle avait face à elle.

Demandant son chemin à un passant, celui-ci lui désigna une rue qu’elle emprunta après l’avoir remercié. Au bout de quelques centaines de mètres, le doute n’était plus possible : l’imposante Université Pilotage de Stockholm se trouvait bien au bout de la rue, son clocher dominant de toute sa hauteur les quelques maisons aux alentours. Comment avait-elle pu ne pas la voir de plus loin ?

Elle pénétra dans le campus étonnamment vide, suivit quelques indications et arriva devant le secrétariat où un autre jeune homme semblait attendre lui aussi. Elle l’interrogea du regard pour savoir s’il attendait également pour entrer, mais il lui fit signe de passer.

Une fois à l’intérieur, elle fut reçue par une femme souriante :

— Bonjour, je peux t’aider ?

— Bonjour, je suis une élève internationale et on m’a dit de m’adresser à vous pour mon logement.

— Absolument, quel est ton nom ?

— Moon. Yuki Moon.

La femme chercha dans son ordinateur avant de tendre des papiers à la jeune fille, lui demandant de les remplir en vue d’obtenir sa carte d’étudiante et son logement.

— C’est parfait, dit la secrétaire lorsque la jeune fille les lui rendit. Tu recevras ta carte demain et tu logeras dans une résidence en dehors de Stockholm dont voici les clés, avec une ligne de bus directe jusqu’à l’université. Voici les différents documents dont tu pourrais avoir besoin pour ton séjour. Si tu veux bien patienter juste à l’extérieur, un élève va vous emmener.

En sortant, après avoir rangé les papiers dans son sac, elle retrouva le garçon à qui elle adressa un sourire. N’ayant personne d’autre à qui parler, elle alla s’asseoir non loin de lui et engagea la conversation :

— Tu es étudiant aussi ?

— Oui, répondit-il surpris qu’elle lui adresse la parole. J’arrive de New Jersey.

Il était plus grand qu’elle, les cheveux blonds un peu ébouriffés et une chemise rentrée dans son jean légèrement froissé.

— Je m’appelle Yuki, se présenta-t-elle. Yuki Moon. Tu es en quelle année ?

— Anthony Owen. Je vais rentrer en troisième année.

— Ah, comme moi, dit-elle avec un sourire. Tu as choisi quelles matières ?

— Pilotage, communication et condition physique.

— Comme moi ! répéta-t-elle encore plus heureuse.

Aux yeux du garçon, elle avait l’air d’une gamine, mais au moins, une gamine mignonne. Yuki avait une apparence presque aussi juvénile que son attitude.

— D’où viens-tu toi ? demanda-t-il.

— J’arrive de Sélénia, la capitale lunaire. Mes parents ont quitté l’Alliance quand j’étais toute petite pour aller vivre à l’UNA, sur la Lune.

— La Lune, dit Anthony dont les yeux s’étaient mis à briller. J’aimerais tellement y aller un jour.

— Tu n’as jamais quitté la Terre ?

— Non, pas encore, mais j’espère bien pouvoir le faire une fois mes études terminées.

À ce moment, un élève avec un polo aux couleurs de l’école vint trouver les deux élèves, leur disant qu’il allait les conduire à leurs logements. Ils montèrent tous les trois dans la voiture après y avoir chargé leurs valises et prirent une route qui les emmena hors de la ville.

— Votre résidence s’appelle Andersen, leur dit l’élève de l’université, en référence à son créateur. Elle se situe sur une colline où un bus passe et vous emmène à quelques centaines de mètres de l’université. Un supermarché se trouve en bas de la colline, ainsi que quelques restaurants au cas où vous auriez la flemme de faire vous-même à manger.

La voiture grimpa la colline d’où les deux nouveaux élèves purent voir plusieurs blocs d’appartements grisâtres sur le bord de la route.

— C’est… c’est là ? demanda Yuki en cachant le mieux qu’elle pouvait sa déception.

— Oui, répondit l’élève en garant la voiture. Je vous dépose ici. Le numéro de l’appartement est indiqué sur vos clés. Bon séjour.

Laissés seuls sur un chemin en terre menant aux appartements, Yuki et Anthony restèrent un court instant à regarder le petit lotissement. Les appartements étaient organisés autour d’un espace central où des travaux étaient en cours, rendant le terrain boueux et peu pratique pour les valises à roulettes des deux arrivants.

— On sera bien ici, tenta Anthony en voyant que Yuki avait perdu son sourire.

Devant l’effort du garçon, elle se força à sourire à nouveau et ils se dirigèrent vers leurs appartements. Les chambres donnaient directement sur l’extérieur, avec une fenêtre chacune, juste à côté de la porte.

Lorsque Yuki entra, elle découvrit une salle assez vaste, avec seulement un bureau, une chaise et un lit sur le côté droit, éclairés par la fenêtre. Sur la gauche, une armoire vide, et au fond, juste à côté de la salle de bain, une mini-cuisine avec deux plaques chauffantes.

Elle prit une grande inspiration et entra, posant sa valise près de son lit. Elle rangea bien vite ses vêtements dans l’armoire qui, à la surprise de la jeune fille, s’avéra finalement assez grande pour tout contenir.

Une fois ses affaires installées, elle s’attabla au bureau et entreprit de lire le livret d’accueil expliquant le déroulement de la vie étudiante dans la célèbre université de pilotage de Stockholm.

Harbinger, quelque part entre les restes de Neo Paris et Neo Berlin, 4h07 heure de bord

L’alarme stridente avait réveillé Zack en sursaut avant même que le gyrophare n’inonde sa chambre d’une lumière rouge agressive. Quelques secondes après, n’ayant pas laissé au garçon le temps d’émerger, l’appel retentit dans tout le vaisseau :

— Alerte rouge, alerte rouge. Tous les pilotes à leurs appareils pour décollage immédiat !

Alors que ses oreilles commençaient à s’habituer au son de l’alarme, Zack entendit dans le couloir des bruits de course ; tout le vaisseau s’ébranlait pour riposter à l’attaque. En sortant la tête de sa cabine, il vit passer Nicolas, en train d’enfiler sa veste en courant, qui s’arrêta en voyant son petit frère :

— Zack ! Réveille-toi ! Le Harbinger est attaqué ! Je vais décoller avec Valur et les autres à bord de mon Sigma !

— Et on sait qui nous attaque ?

— Pas encore, on détecte trois signatures magnétiques inconnues, dont le vaisseau amiral qui nous a attaqués !

Prenant juste sa veste, Zack courut vers le hangar ; Héliana était déjà à bord du Themios :

— Héliana ! appela-t-il de l’autre bout du hangar. Tout est clair ?

— C’est bon ! lui répondit-elle en lui faisant signe que tout allait bien. J’ai bien suivi, t’inquiète !

La veille, il avait passé l’après-midi à briefer la pilote sur les nouvelles fonctionnalités du Themios. Il avait rendu l’engin plus ergonomique, rendant enfin le sniper fonctionnel. Le déplacement avait également été revu et désormais, la machine réagissait bien plus vite aux instructions. Mais malgré ces ajouts, cette attaque allait constituer une mise en pratique plutôt soudaine et brutale.

Héliana referma la cabine de pilotage, attrapa les manettes et respira un coup. Elle allait avoir à se battre. Se battre pour de vrai à nouveau. Mais sa machine serait bien plus maniable que la dernière fois. Elle rabattit la visière de son casque noir et violet et regarda devant elle : le Themios avait été placé sur la catapulte de lancement principale et elle attendait les dernières vérifications pour décoller.

Enfin, les voyants sur le côté de l’appareil passèrent du orange au vert avec le son auquel la pilote avait été habituée :

— Héliana Steinfeld ! Stolas Themios ! Décollage !

Elle activa les réacteurs de sa machine et, avec l’impulsion de la catapulte, fut projetée dans l’espace. Aussitôt, le visage de l’amiral Bilge apparut dans un coin de son écran :

— Steinfeld, les signatures sont confirmées : il s’agit bien du vaisseau amiral qui était à Neo Paris et des deux Stolas dérobés. Ils viennent sans doute récupérer le Themios. Ne leur laissez pas ! Les Faucons Bleus seront là pour vous prêter main-forte. Si vous le pouvez, récupérez les Stolas. Si ce n’est pas possible, détruisez-les. Mais dans tous les cas, pas d’imprudence. La priorité numéro une est de conserver le Stolas Themios.

— Bien reçu.

La transmission avec Bilge cessa et Valur apparut :

— Ici Faucon 1 à Themios. On est là pour te soutenir. Les gars ! Couvrez le Themios !

Son visage disparut de l’écran et Héliana put voir sur son radar les cinq chasseurs spatiaux de l’escadrille se diriger vers les deux Stolas adverses. De son côté, la pilote constata avec plaisir que le système de verrouillage longue distance que Zack avait installé la veille semblait fonctionner ; le Stolas le plus proche avait été reconnu par le système malgré une distance indiquée de plus de dix kilomètres.

Le Themios avait été équipé de son fusil Dyana Sniper laser, son arme principale, dont le garçon avait optimisé le système de visée ; en moins d’une seconde, le Stolas ennemi était verrouillé à la fois par la caméra située dans la tête du Themios, et par le sniper qu’il avait sur l’épaule. Aussitôt, Héliana appuya sur la détente et le fusil tira, traçant un trait violet dans le noir de l’espace.

Le tir fit mouche et le bras droit d’un des deux Stolas fut touché et explosa. L’autre délaissa alors les chasseurs pour se diriger vers le Themios.

— Ils m’ont enfin remarquée, commenta Héliana. Voyons comment vous aimez ça maintenant !

Elle tira à nouveau, mais cette fois, le Stolas fut plus réactif et parvint à esquiver les tirs, se rapprochant toujours plus. Bien vite et malgré les Faucons Bleus, il était arrivé trop près pour pouvoir efficacement utiliser le fusil sniper.

Pestant, Héliana changea d’arme et opta pour les blasters. Elle activa les réacteurs de sa machine et se mit en mouvement tout en tirant. Le Stolas la suivit, faisant feu à son tour avec les petites mitraillettes sur les côtés de sa tête.

— Héliana !

Les chasseurs spatiaux arrivèrent vers leur alliée, prenant le Stolas par derrière. Ce dernier tira alors de son dos un long tube métallique et l’alluma, révélant une lance laser avec laquelle il engagea les chasseurs, mais grâce à leur agilité, ceux-ci purent rester à distance.

— Ah bah putain ! pesta Nicolas. L’est pas passé loin celui-là !

Retournée à bonne distance, Héliana réarma son fusil sniper, mais au moment de tirer, une alarme sonore retentit dans son cockpit : une source de chaleur était détectée, provenant de plus loin sur le champ de bataille. Elle eut le réflexe de projeter son Stolas en arrière et put voir passer devant elle un immense rayon blanc et rouge qui alla détruire un astéroïde au loin. Elle se retourna et reconnut le Stolas qu’elle avait touché en début de combat. Elle se tourna alors vers lui et les deux pilotes engagèrent un combat à longue distance.

Le Themios tirait des coups secs et précis, là où le Stolas adverse, bien plus massif, tirait des coups lents et puissants. Esquivant comme elle pouvait, Héliana vit que le tir était assez puissant pour détruire les quelques astéroïdes qui composaient le champ de bataille.

Mais alors qu’elle avait pris une fraction de seconde pour voir comment se débrouillaient les Faucons Bleus, un tir du Stolas adverse toucha sa machine, emportant son bras gauche dans l’explosion.

Le Themios fut projeté en arrière et Héliana encaissa douloureusement le puissant contrecoup de l’impact.

— Themios à Faucons Bleus ! Je suis touchée ! Demande renforts immédiatement !

— Bien reçu, Themios, dit Valur. Falke ! Davis ! En soutien au Themios !

Le bras gauche du Themios avait été complètement désintégré, ne laissant que l’épaule grésillante, menaçant elle aussi d’exploser. Avec son blaster droit, Héliana continuait de tenir son adversaire en respect :

— Faites gaffe, les gars ! dit-elle. Celui-là a un putain de rayon !

Les machines des Faucons 3 et 4 avaient esquivé le rayon et bombardaient désormais le Stolas responsable, laissant le Themios à distance.

À cet instant, deux fusées de détresse sortirent du vaisseau ennemi et illuminèrent le champ de bataille. Après une hésitation, les Stolas rompirent le combat et retournèrent vers leur vaisseau amiral.

— Ici Faucon 1 à Harbinger général, annonça Valur. L’ennemi se replie. Attendons les ordres.

— Très bien, ordonna Bilge, repliez-vous aussi.

— Bien reçu.

Une demi-heure plus tard, Héliana était dans le vestiaire des pilotes, épuisée, un soda à la main, le haut de sa combinaison ouvert sur un débardeur bleu clair. D’une certaine manière, le combat s’était bien passé : elle était en vie et aucun membre des Faucons Bleus n’était tombé.

— Steinfeld, résonna la voix de Bilge dans l’interphone du vestiaire, quand vous aurez récupéré, vous viendrez me voir.

Héliana soupira, finit son soda et enfila une tenue plus propice à un débriefing avec l’amiral. Lorsqu’elle arriva dans le bureau de Bilge, celui-ci l’invita à s’asseoir à côté de Valur qui était déjà arrivé.

— Le combat que vous avez livré avec les Stolas ce matin nous a permis de récupérer des données sur ces machines, commença l’amiral tandis qu’elle s’installait. Nous avons donc pu identifier et reconnaître les deux machines.

Il alluma un écran derrière lui où l’image d’une machine massive dans les tons verts et marron apparut :

­— X-103 Stolas Khimeras. C’est celui que vous avez touché dès votre première attaque. Très joli tir d’ailleurs, mais après celui-ci, ils étaient sur leurs gardes et attentifs. Après avoir récupéré, c’est lui qui tirait ces rayons phénoménaux. Il semble en effet avoir été conçu dans le but d’avoir une puissance de feu phénoménale sur un simple Comet. Nous avons détecté sur lui trois canons. Un sur chaque épaule, dont la puissance correspond à celle de votre Dyana Sniper mais avec moins de portée, et un, encore plus puissant, dans la main. Vous en avez d’ailleurs fait les frais, c’est ce canon qui vous a touchée.

La seconde image montrait le Stolas qu’avaient combattu les Faucons Bleus, un modèle plus léger à dominance bleue marine :

— X-104 Stolas Tethys. Les données concernant celui-ci semblent indiquer qu’il n’a pas été optimisé pour les batailles dans l’espace. Son équipement laisse supposer qu’il serait bien plus efficace sur Terre, voire dans l’eau. Nous n’avons détecté sur lui que cette lance laser avec laquelle il a engagé le combat et un petit système de mitraillettes montées sur la tête de la machine. Mais contrairement au Themios et au Khimeras, il possède un bouclier.

Héliana était restée silencieuse pendant les deux présentations, essayant d’analyser au mieux les machines qu’elle aurait sans doute à combattre à nouveau.

— Les mouvements des deux machines étaient encore très approximatifs, intervint Valur, ce qui me laisse penser que ce combat n’était qu’un test, une expérience pour étrenner leurs nouvelles armes. Leur système d’exploitation n’était sûrement pas encore optimisé.

— Le Themios fonctionnait bien, dit Héliana. J’en suis vraiment contente. J’aurai juste quelques commentaires à faire à Arelli, mais dans l’ensemble, il a fait du bon boulot.

— Il n’est pas exclu qu’ils nous attaquent à nouveau, leur dit Bilge. Restez sur vos gardes.

— A-t-on des informations sur leur vaisseau amiral ? demanda Héliana.

— Il n’est pas aussi imposant que ce dont je me souvenais. Il est d’ailleurs plus petit que le Harbinger. Son canon principal est cependant très puissant. Il dispose de trois rampes de lancement, quatre canons à énergie, quelques missiles à moyenne portée et plusieurs canons mitraillettes à courte portée.

— Sa signature magnétique n’a toujours pas été reconnue ?

— Non, nous sommes en train d’essayer de voir si elle n’a pas été cryptée, mais je n’attends pas beaucoup de résultats. En attendant, vous pouvez retourner dans vos quartiers. Reposez-vous, mais restez sur vos gardes.

— À vos ordres.

Héliana était retournée dans sa chambre et avait dormi tout le reste de la matinée. Elle rouvrit les yeux vers 15h et, malgré la fatigue, entreprit de sortir pour se restaurer à la cafétéria du vaisseau.

Habituellement vide à cette heure-ci, la cafétéria était aujourd’hui très fréquentée par les nombreux civils à bord du Harbinger. Après la destruction de Neo Paris, de nombreuses capsules de sauvetages avaient été récupérées par le vaisseau amiral. Ces réfugiés, désormais sans domicile, allaient être rapatriés à Neo Berlin où le gouvernement se chargerait d’eux.

Plusieurs familles étaient présentes. La plupart des enfants pleuraient, d’autres semblaient ne pas avoir conscience de l’ampleur de la catastrophe à laquelle ils venaient d’échapper. Les adultes avaient des mines sombres, désespérées. Certains, en voyant l’uniforme d’Héliana, vinrent lui demander ce qu’il allait advenir d’eux.

Avec son professionnalisme habituel, Héliana les informa de la destination prochaine du vaisseau, les assurant qu’une fois à Neo Berlin, ils seraient hors de danger.

Après un moment à rassurer ces civils, Héliana put prendre quelques instants pour une rapide collation au self-service de la cafétéria et s’installa dans un recoin tranquille de la salle. Alors qu’elle mangeait sans réel appétit, elle sentit quelqu’un arrivant vers elle et tourna le regard.

— Je peux me joindre à toi ?

C’était Alice, l’amie de Zack. Elle avait encore les yeux rougis par les larmes, mais semblait aller beaucoup mieux que la veille. Avec un sourire qui se voulait rassurant, la pilote l’invita à la rejoindre.

Une fois la jeune fille installée, elle lui proposa de partager son repas, mais celle-ci refusa d’un rapide signe de tête.

— Que va-t-on devenir ? pensa Alice à voix haute après un long silence.

— Nous nous rendons sur Neo Berlin, recommença Héliana, là-bas, vous…

— Je sais, l’interrompit presque avec colère la jeune fille. Je veux dire… qu’allons-nous faire ? On a tout perdu. Je n’ai jamais vécu hors de Neo Paris. J’étais déjà sortie dans l’espace pour quelques rapides voyages, mais… Maintenant que la colonie n’existe plus… Je n’ai plus aucun repère. Tous mes rêves, tout ce que j’ai pu imaginer sur ce que je ferai plus tard… tout ça a été détruit.

— Et… que voulais-tu faire ?

— Je… ne sais pas exactement. Je me voyais grandir sur la colonie, voyager, mais Neo Paris aurait toujours été mon chez moi, l’endroit où je me serais sentie en sécurité. Maintenant, je n’ai plus de chez moi. Maintenant, je n’ai nulle part où je me sente en sécurité.

— Je ne peux pas vraiment t’aider sur ce point, dit Héliana en laissant échapper un sourire l’espace d’une demi-seconde. Je crois que je n’ai jamais vraiment eu d’endroit comme tu le décris. Vois-tu, quand j’étais petite, j’ai très vite été remarquée par l’armée après un… certain incident. Depuis, j’ai été bringuebalée à droite à gauche. Je suis militaire depuis presque quinze ans, rends-toi compte. Toujours sur les routes, toujours à changer d’environnement. Et pourtant, tu vois, on s’en sort.

Le visage d’Alice esquissa un sourire. Elle devait reconnaître que quand on la voyait, la jeune pilote ne donnait pas l’impression d’être dans l’armée depuis aussi longtemps. Elle écouta la jeune civile lui raconter sa vie qui lui paraissait déjà si lointaine tandis que les tables autour d’elles se remplissaient.

— Tu trouveras ta voie, Alice, dit-elle une fois son repas fini. Cherche, observe, et si tu ne trouves pas, reviens vers moi ; si tu es motivée et volontaire, je pourrais t’aider.

Après avoir quitté la jeune fille, Héliana retourna au hangar : le Themios requérait encore son attention. Si elle devait, comme prévu, en être la pilote attitrée, il lui faudrait bien le connaître et en parler avec Zack pour qu’il continue son travail de reconfiguration.

Le bras du Stolas était en train d’être reconstruit avec des pièces détachées récupérées dans les restes de la colonie, mais aucune trace de Zack aux alentours. Néanmoins, en contrebas, les Faucons Bleus inspectaient leurs appareils. Tout en s’approchant, Héliana se rappela de ses propres expériences avec les chasseurs. Avant de commencer à piloter des Comets, elle avait commencé les simulations de chasseurs. Et c’était précisément parce que son type de pilotage était particulier qu’elle s’était retrouvée pilote de Comet. En y repensant, elle avait de plus en plus de compétences aux yeux de la Fédération. D’abord recrutée comme tireuse d’élite, on avait ensuite testé ses capacités de pilotage afin d’en faire un agent polyvalent. Particulièrement douée dans ce domaine également, la Fédération l’avait assignée un moment à l’escadrille des Faucons Bleus avant de lui laisser sous-entendre qu’elle pourrait disposer un jour de son propre Comet. Mais en attendant, elle resterait aussi et surtout le Sniper de la Fédération, l’un de ses assassins les plus efficaces du monde.

— Ah, Héliana, dit Nicolas en la voyant arriver. Bien dormi ?

— Comme on peut, et toi ? Finalement t’as repris du service ?

— La situation est un peu délicate. Je ne pouvais pas me permettre de laisser les Faucons sans un de leurs membres dans une telle situation. Et je suis content, je n’ai pas trop perdu la main.

Héliana regarda le Sigma du jeune homme. Il avait quelques éraflures après ses nombreux combats, mais restait encore complet et intact. Comme le voulait la coutume, il avait rajouté, en blanc sur le fond bleu de l’escadrille, un petit signe personnel, qu’il avait choisi comme étant une clé de sol accompagnée de quatre notes.

— Tu t’entends bien avec ton frère ? demanda presque soudainement Héliana.

— Plutôt oui. La fraternité a ses hauts et ses bas, mais dans l’ensemble, j’ai de la chance d’avoir un petit frère comme lui.

— Il est… sous le choc non ? Je veux dire, sur le moment, il était paniqué et c’était normal. Mais depuis, je le sens très concentré sur le Themios, je trouve ça presque malsain. Et c’est stupide parce qu’il est vraiment bon à ça, je ne devrais pas m’en préoccuper.

— Il aime ça tu sais. Coder. Découvrir un monde, un langage comme il dit. C’est ce qu’il aime. Même s’il a la pression, il aime faire ça, ça lui vide la tête.

— C’est pas un peu… bizarre ?

— Pourquoi ça le serait ? Moi ma passion c’est de taper sur des touches et d’écouter les sons qui en sortent. Le piano j’en fais depuis tout petit. Lui c’est de comprendre les machines, de leur parler aux machines et de leur donner vie. C’est autrement poétique.

— Si tu le dis.

— Et sinon, demanda le garçon. Quand est-ce qu’on se fait une bouffe avec l’escadrille ? Ça fait un moment qu’on t’a pas vue.

— Ça risque d’être compliqué dans les prochains jours, dit-elle avec le sourire. Mais si jamais les choses se calment quand on arrive sur Neo Berlin, pourquoi pas ?

— Je serais quand même curieux de savoir comment t’es passée de pilote de chasseur à pilote de Comet si vite, surtout en gardant ta casquette de Sniper de la Fédération.

— Alors disons que je vous raconterai ça à notre prochain dîner ensemble, ok ?

— Je suis impatient alors !

Héliana passa voir les autres pilotes qu’elle avait appris à connaître lors de son passage dans l’escadrille. En discutant un peu avec eux, Héliana apprit que la Fédération envisageait de faire passer l’escadrille sur des Comet plutôt que des chasseurs.

— Et puis vu comme c’est parti, ça risque d’arriver plus tôt que prévu, lui dit Davis.

Davis White avait toujours un sourire aux lèvres, que ce soit sur le vaisseau ou en plein combat. L’effigie qu’il avait choisie sur son Sigma était un pouce levé, symbole qui reflétait sa tendance à détendre l’atmosphère sur le champ de bataille.

— Ce que j’espère, intervint Falke, c’est qu’ils seront plus puissants que ces Sigmas. Ils sont bien, mais quand on voit ce que t’es capable de faire avec le Themios, Héliana, on se dit que pour la fine fleur de la Fédération, on est un peu laissés derrière.

Falke Roth était le plus impulsif de l’escadrille. Il avait le même âge que Valur et se comparait souvent à lui, se considérant meilleur pilote. Combattif et ambitieux, il était connu qu’il avait une petite sœur à qui, même s’il avait du mal à l’admettre, il tenait beaucoup. Le symbole qu’il avait choisi sur son Sigma était un poing levé vers le ciel.

Ludovico Schwartz, le dernier et le plus calme des Faucons Bleus, était resté silencieux, son visage juvénile à moitié caché derrière son éternelle mèche sombre. Il écoutait sagement les conversations tout en passant un coup de chiffon sur le sigle ornant son appareil : une tête de mort qui tenait une rose dans les dents.

— C’est quand même con, reprit Davis. Ces connards sont venus les voler alors qu’on était en chemin pour Neo Paris. Moi je suis sûr que c’était à nous que le QG réservait ces Stolas. Je veux dire, il y en a quatre, on est cinq pilotes dans l’escadrille… ça se trouve il y en a un qui est resté caché, hein.

— Pas sûr, dit Héliana. Le Themios m’était destiné depuis le début, j’en suis sûre. Après, peut-être qu’ils ont un autre projet secret pour vous, qui sait.

Du temps où elle était au sein de l’escadrille, Héliana avait compris les relations entre les pilotes ; Valur était un leader naturel, dont seul Falke, fier et fonceur, contestait parfois l’autorité. Dans ces moments, Nicolas tentait d’apaiser les tensions, tandis que Davis prenait parti selon la situation. Ludovico restait presque toujours silencieux, et lorsqu’il parlait, c’était toujours pour glisser une remarque pertinente soutenant le parti le plus sage, généralement celui de Valur.

Ces petites tensions apparaissaient uniquement hors des moments cruciaux ; en combat, le groupe reprenait immédiatement une attitude centrée sur l’efficacité et soudée autour de son chef.

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