Les questions

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   La voiture dévia au dernier moment. Au moment où je pensais que mon heure avait sonnée. Au moment où je réalisais que j'allais mourir sans comprendre. Qui ? Pourquoi ? Je commençais à me dire que c'était une erreur, qu'on m'avait forcément pris pour quelqu'un d'autre ! Tout ça, ça ne pouvait m'être destiné ! J'étais un garçon sans histoire, qui ne cherchait jamais la bagarre, qui disait bonjour au facteur, qui tenait la porte aux gens derrière moi, qui aidait le voisin à sortir ses poubelles, qui était bon à l'école, pourquoi moi ? ... Mais la voiture dévia, me laissant tétanisé sur ce morceau de trottoir. J'avais encore plus de questions qu'en me réveillant par terre dans cette ruelle. Je ne comprenais rien.

   Je fixais la voiture qui s'éloignait avec la peur qu'elle fasse demi-tour. Mon coeur reprit petit à petit un rythme normal quand je vis enfin disparaître ces deux lumières rouges au coin d'une rue. C'est une fois le 4x4 hors de ma vue que je réalisai que j'aurais dû regarder le numéro d'immatriculation. Quel imbécile je faisais... Je fermai les yeux et pris une grande inspiration. J'essayais de comprendre mais ce n'était pas logique. D'abord, l'agression. Au vu des morceaux de verre qui étaient à mes pieds à mon réveil, j'en conclus que quelqu'un m'avait assommé en m'éclatant une bouteille en verre sur la tête. Ensuite, le passage à tabac. J'en saurais certainement plus quelques heures plus tard quand les bleus commenceraient à apparaître et que d'autres douleurs se feraient sentir. Et puis, cette voiture qui m'avait attendu, qui m'avait foncé dessus et qui m'avait épargné. Je n'avais vu personne à bord à part le chauffeur. Avait-il attendu pour voir si je me relevais ? Avaient-ils voulu vérifier que j'étais en vie ? Etait-ce lui qui m'avait tabassé ou n'y avait-il aucun rapport ? J'étais complétement perdu et incapable de réfléchir.

   Je reconnus l'avenue où j'étais, c'était l'avenue du stade. Elle était sur mon chemin pour aller au cinéma. Je me retournai pour regarder encore une fois cette ruelle, comme si je m'attendais à comprendre subitement ce qui m'était arrivé. Je vis une première de mes chaussures à quelques mètres sur la gauche. Puis la deuxième. Je m'étais tellement concentré sur cette lumière que j'avais pris pour un lampadaire que je ne les avais même pas vues en me levant. Elles étaient disposées comme si on m'avait traîné par terre et que j'en avais perdu une, puis l'autre. Ce chemin était un peu excentré et peu emprunté. Avais-je été suivi ? Cette agression avait-elle été préméditée ? Ou étais-je simplement au mauvais endroit au mauvais moment ? J'allai pour les mettre et trouvai une enveloppe sous la deuxième. Je me baissai avec difficulté, la ramassai et l'ouvris. Je dépliai la feuille en tremblant.

Premier avertissement, Tommy...

   Et là, tout se mélangea dans ma tête. Tommy, c'était moi. Alors ce n'était pas une erreur... On s'en était pris à moi volontairement, j'étais une cible. La voiture m'avait épargné car le but n'était pas de me tuer ! Du moins pas pour le moment. Mais je ne comprenais toujours pas. J'essayais de penser à ce que j'avais pu dire ou faire ces derniers jours, mais aucune explication ne me vint. Et même si je m'étais disputé ou si j'avais contredit quelqu'un, ça ne méritait tout de même pas une telle réaction !

   Je remis mes chaussures et me décidai à repartir en direction du cinéma. Je ne savais pas ce que Samantha penserait de tout ça, à part le fait que ma tenue débraillée n'était pas le style favori d'un premier rendez-vous ! Mais je ne voulais surtout pas louper cette soirée avec elle. Je n'avais pas l'heure exacte sur moi, mais si la voiture avait attendu que je me relève c'est que je n'avais pas dû rester évanoui très longtemps. C'est en tout cas ce que j'espérais. Et si j'avais une petite chance d'arriver à temps au cinéma, il fallait que je la tente.

   Chaque pas que je faisais ravivait la douleur dans mon dos. Je supportai assez bien la douleur au ventre une fois les premières crampes passées. Sans vouloir me vanter, mes abdominaux avaient dû amortir la plupart des coups de poings ou coups de pieds qu'on avait pu me donner. Mon tibia était toujours douloureux mais en serrant les dents je pouvais tout de même m'appuyer dessus. En revanche, même en courbant le dos, je sentais une multitude de muscles qui me tiraient et me donnaient comme un coup d'électricité à chaque mouvement.

   Après quelques minutes de marche douloureuse j'aperçus enfin les lumières du cinéma au coin de la rue. Le parking était bondé, comme d'habitude à la séance du vendredi soir. Il y avait encore du monde qui faisait la queue devant l'entrée. Majoritairement des couples, de tous les âges, se tenant la main ou se prenant dans les bras. Il y avait aussi un groupe d'amis, une femme seule, deux adolescents... et la plus jolie fille de la ville selon moi. Samantha était sur le côté de la file, regardant avec alternance sa montre, son portable et les environs. Elle ne m'avait pas encore vu. Au lycée, aujourd'hui, elle portait un jean avec un haut moulant rose pâle. Ce soir, visiblement, elle s'était changée. Je ne pouvais affirmer que c'était "pour moi" mais peu importait, elle était splendide. Elle portait une robe dans les tons bordeaux qui lui arrivait au-dessus du genou. Le haut était assez décolleté mais rien de trop, et le bas de la robe partait en évasé, le vent faisant virevolter le tissu par moment et découvrant ses jambes. De jolies jambes, mises en valeur grâce aux talons de ses sandales compensées noires. Elle avait une petite veste en cuir, noire également, qui mettait en valeur sa fine taille. Elle s'était détaché les cheveux, d'un brun naturel foncé, qui lui tombaient délicatement sur les épaules. Elle n'avait qu'une petite sacoche, qu'elle portait en bandoulière. J'aurais passé des heures à la regarder.

   Mais elle m'aperçut et porta les mains à sa bouche. Est-ce que je faisais peur à ce point_là ? Elle descendit les trois marches et commença à courir vers moi. Je continuai à avancer aussi, me sentant fatigué mais soulagé de la voir. Arrivé juste devant moi, elle me regarda, interloquée, presque la bouche ouverte, ne sachant que dire. Elle passa sa main sur une de mes pommettes. Je compris à la douleur que j'aurais un bleu supplémentaire, à moins qu'une marque ne soit déjà visible. Sa main était d'une douceur...

- Mon Dieu Tom... Qu'est-ce qui t'es arrivé ?

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