13. Le serment

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Justine

- Rangez vos affaires, notre cours s’arrête ici. Pour la prochaine fois, je vous demande d’apprendre par cœur les principaux os du squelette de votre oiseau ainsi que ceux que nous avons étudiés ce mois-ci ; vous aurez un questionnaire.

Justine plongea sa plume et ses parchemins dans son sac à cordon, le balança par dessus son épaule et quitta la salle à la hâte. Sa demi-journée d’apprentissage en classe touchait à sa fin et, comme à son habitude, elle rejoignit ses amis en pleine discussion à la sortie de l’école. Les plus jeunes élèves couraient dans le sable en soulevant des traînées de poussière derrière eux, tandis que d’autres se rendaient à la volière cachée sous la masse argentée d’un saule pleureur. Laissés là quelques heures plus tôt, les oiseaux attendaient patiemment leur petit maître depuis leurs perchoirs, piaillant de joie à l’idée de les revoir. C’était une après-midi lumineuse ; un vent tiède venait caresser les jupes légères des filles, les arbres prenaient discrètement des teintes orangées, et un parfum qui sentait bon l’été traînait encore dans le fond de l’air vivifiant du mois d’octobre. Dans la vallée, les habitants n’étaient pas habitués à avoir froid ; l’atmosphère était toujours agréable avant le mois de décembre, où l’on connaissait des mois enneigés, avant de retrouver un climat doux et humide. D’ordinaire frileuse, Justine savourait cette chance.

- Je me demande comment il est possible que tu aies tous ces minuscules os, mon phoenix, soupira Ariane en récupérant Flamme.

- Madame Praats m’a assommé avec son maudit cours, fit Endrick en baillant. Je sens que je vais m’endormir sur Loukoum pendant la patrouille.

- C’est pourtant passionnant, l’anatomie, commenta Justine, son sac serré contre sa poitrine.

À l’école d’ornithologie, six matières leur étaient proposées ; anatomie, sorties d’observation, langue, combat, histoire et dressage. Normalement, les enfants se rendaient en classe dès l’âge de sept ans afin d’être à l’aise avec leurs volatiles le plus rapidement possible. Ceux qui n’avaient pas été choisis dès l’âge de raison attendaient la prochaine envolée qui se faisait approximativement tous les mois, de grandes différences d’âge se créant ainsi entre les élèves. On pouvait trouver des adolescents de quinze ans comme des enfants de huit ans. Endrick lança un regard amusé à Justine.

- Parle pour toi, Miss-je-sais-tout-car-tout-m’intéresse.

- Mon surnom s’allonge de jour en jour, on dirait, nota Justine.

- Je te connais, maintenant. Plus il contient d’informations, moins il te vexe. Bizarre, mais tu fonctionnes comme ça.

- C’est pour ça qu’on t’aime, ajouta Constance en la prenant par l’épaule.

Justine se sentit soudain très petite parmi ses amis de grande taille. De plus, elle était gênée par le coude de Constance qui coinçait ses longs cheveux. Cela l’empêchait de se tenir droite.

- En fait, tu préfères ce surnom parce que je sous-entends que tu n’es pas coincée, simplement curieuse, en rajouta Endrick.

- Moi, coincée ? Vous plaisantez ?

Elle fouilla le regard de Constance avec désespoir, cherchant à obtenir de l’aide. Constance resta inflexible quelques secondes puis, pour rassurer son amie, tira la langue. Des plis se formèrent sur son nez retroussé, signe qu’elle était d’humeur joyeuse.

- Je te l’ai dit, c’est ce qui fait ton charme.

Justine ne put se retenir de rougir. Une complicité naissante avait vu le jour entre elles depuis quelques semaines, chose qu’elle n’aurait jamais imaginée en début d’été. C’était simple, Constance n’avait d’affinité avec personne. Elle vivait seule et cela l’accommodait. Cependant, il lui arrivait, à travers une parole ou un geste, de témoigner l’affection qu’elle éprouvait pour Justine.

- En fait, Justine, c’est surtout au premier abord qu’on te croit comme ça… commença Endrick.

Ariane l’arrêta dans son élan, lui faisant comprendre que la blague avait assez duré. Faisant mine d’être offusquée, Justine ouvrit grand les yeux. Elle s’apprêtait à riposter, mais en entendant les cloches de l’église, elle mit fin à la discussion.

- Je ne t’en veux pas pour cette fois. File, Loukoum doit t’attendre, dit-elle finalement.

- Ce gros balourd qui ne rentre même pas dans la volière ? Il se fiche bien de moi. Je te parie qu’à l’heure qu’il est, ce goinfre se remplit l’estomac avec ses petits copains.

Justine leva les yeux au ciel en riant, ferma la porte de l’immense cage derrière elle et se glissa entre Ariane et Constance pour suivre le chemin du retour. Ils empruntèrent un sentier boisé qui se séparait en deux, l’un menant au village, l’autre aux champs ; Justine s’arrêta, déposa Pia sur sa tête et salua ses amis.

- Tu vas voir Colin, aujourd’hui ? lui demanda Constance.

Justine acquiesça :

- Il a besoin d’une autre leçon.

- Tu ne sais toujours pas pourquoi il a ce… problème ?

- Négatif, soupira la jeune fille blonde. Mais il progresse vite, on sent qu’il a envie d’apprendre.

- Si seulement Ernest le laissait aller à l’école… marmonna Endrick avec amertume.

- Encore faut-il qu’il en ait le temps. Il a trop à faire, le pauvre, grimaça Justine.

Endrick glissa ses mains dans ses poches, fixa un instant l’orée du bois puis baissa la tête.

- Dis-lui que je passerai quand j’aurai le temps.

- Compte sur moi, murmura Justine.

Elle se tourna vers Constance et Ariane, ayant conscience qu’elles s’évitaient soigneusement depuis la première fois qu’elles s’étaient rencontrées. Hormis le vide qui s’était creusé entre elles, tout le monde avait réussi à maintenir de bons rapports ; les voir s’adresser la parole uniquement lorsqu’elles le jugeaient nécessaire embêtait Justine. Une idée fleurit soudainement dans son esprit. La jeune fille savait qu’elles avaient du temps libre devant elles et, souhaitant à tout prix les voir se rapprocher, s’exclama :

- Et si vous faisiez un tour à la boutique Boule de Gomme ? Il paraît qu’ils vendent de très jolies plumes. La tienne s’est cassée récemment, n’est-ce pas, Constance ?

Celle-ci lui lança un regard noir, devinant aussitôt son petit jeu.

- Tu vas me le payer, Justine.

- Bonne idée ! répondit Ariane, toute excitée. Tu vas voir, on va s’amuser.

Constance eut à peine le temps d’exprimer son désaccord que déjà, Ariane l'entraînait par le bras en direction du village. Les deux adolescentes disparurent dans un tournant à l’ombre d’un chêne, permettant ainsi à Endrick et Justine de comploter en paix.

- Comment va Philéas ? Ça va presque faire une semaine que je ne l’ai pas vu, s’inquiéta la jeune fille.

- Je t’avoue qu’entre mes cours et les patrouilles, on a du mal à se voir. Ne t’en fais pas, ajouta-t-il, il s’épanouit dans sa formation, et je sais qu’il ne tardera pas à revenir en cours.

- Tant mieux, alors.

- On se voit tous ce soir, de toutes façons. Tu pourras lui demander directement.

- Tu as raison, répondit-elle en calant une mèche derrière son oreille.

Ils se sourirent avant de s’éloigner peu à peu l’un de l’autre. Seule à l’abri des rayons de soleil, Justine s’avançait en pas chassés, accompagnée du chant insouciant de son laurellac. Ces bois n’avaient plus de secrets pour elle, elle en connaissait chaque recoin. Pensive, elle se fraya un passage entre les branchages d’un buisson d’aubépine, gravit la pente d’une colline et longea un champ de tournesols occupé par plusieurs paysans. C’était la fin de la saison des moissons ; l’odeur du foin coupé flottait dans l’air, les céréales à pailles étaient éparpillées au sol, et les cultivateurs croulaient sous les sacs de récolte, épaulés par leur volatile dans leur travail. Justine s’amusait à les caresser en chemin, se familiarisant avec leurs maîtres qui connaissaient déjà bien Colin. En passant devant eux, elle eut droit à son lot de gentillesse habituel.

- Voilà notre jolie Justine !

- Pia se porte bien, aujourd’hui ?

- Le vieil Ernest vient de partir avec son troupeau en direction du ruisseau. Le petiot t’attend déjà !

Après leur avoir lancé un baiser avec la main, Justine recula de quelques pas avant de s’élancer vers la demeure du mentor de Colin. Petite chaumière entourée d’innombrables champs d’anzûs et de pelolaines, elle se fondait dans le décor montagnard. Ces étranges petites bêtes sur lesquelles les fermiers veillaient étaient dépourvues d’ailes : les anzûs avaient la faculté de fournir des œufs mangeables, tandis que les pelolaines fabriquaient de la matière semblable à du coton à partir du poil de leur épiderme. Justine ne regrettait pas les moutons, les oiseaux étaient bien plus mignons ; ils ressemblaient à des petits nuages ronds flottants.

En arrivant toute essoufflée devant la porte de la maison, la jeune fille trouva Colin dehors, assis à la table en bois qu’Ernest leur avait laissée pour étudier. La tête penchée sur un livre qu’il s’efforçait de déchiffrer, le front plissé, il lisait quelques mots à voix basse. Justine fut touchée par l’image poignante qu’il lui renvoyait de sa bonne volonté ; malgré ses vieux habits de paysan, ses cheveux devenus un peu plus longs avec le temps et son allure gauche, ses traits doux et son air concentré illustraient parfaitement son humble caractère.

- Je peux m’asseoir ? demanda-t-elle.

Surpris, Colin releva les yeux. Lorsqu’il la reconnut, il referma son livre et il lui laissa de la place en changeant de chaise.

- Je suis content que tu sois là.

- Il fallait bien que quelqu’un vienne s’occuper de toi.

Le jeune garçon décocha un grand sourire jusqu’aux oreilles.

- Comment vont les autres ?

- Endrick a promis de passer te voir. Ariane est toujours aussi pétillante, elle t’embrasse, d’ailleurs. Je n’ai pas vu Philéas depuis un bon bout de temps, et… Constance commence à pratiquer, sous la surveillance de son mentor, bien sûr. Elle en connaît déjà un rayon, que ce soit sur les plantes, les patients, la méthodologie…

Les yeux de Colin brillèrent soudain d’intérêt. Justine savait l’admiration qu’il éprouvait pour Constance malgré ses efforts pour le dissimuler.

- Brahms n’est pas avec toi ? s’enquit-elle après avoir examiné les environs.

- Il se repose. Contrairement à Pia… elle est en forme, aujourd’hui, s’étonna-t-il alors que l’oiseau volait autour de lui.

- Il est vrai qu’elle est tout, sauf atone, dit Justine, amusée.

- Atone ?

Connaissant le cruel manque de vocabulaire de Colin, elle l’encouragea :

- Et si on écrivait sa définition ? Ça va te faire un mot en plus à ajouter à la liste et un peu d’écriture pour aujourd’hui.

L’adolescent ne se fit pas prier ; sa plume à la main, il s'apprêtait à rédiger les phrases que lui dicterait Justine. Côte à côte, les épaules pressées l'une contre l’autre, ils passèrent une petite heure à former des mots, à feuilleter quelques pages de romans, ou encore à s’entraîner à l’oral. La jeune fille avait découvert qu’il peinait à s’exprimer, ce qui l'avait poussé à rester silencieux et distant toute sa jeunesse. Il lui avait confié ne pas vouloir passer pour quelqu’un qui manquait de personnalité. En réalité, il aimait parler, mais seulement avec concision, de manière à se manifester quand il le fallait, au bon moment. Jamais il ne se prononçait inutilement, il y avait toujours une bonne raison ; Justine ne l’avait jamais vu tourner autour du pot pour annoncer ce qu’il avait en tête.

- La nuit va tomber, murmura Colin en levant le nez de son livre. Hermance doit t’attendre.

- Toi aussi tu vas faire ton serment, non ?

- J’avais complètement oublié.

- On ira ensemble !

Il hocha la tête sans pour autant partager son excitation.

- On a un ravissant coucher de soleil, remarqua Justine, l’air ailleurs. Ça me fait penser à un poème d’Apollinaire qui disait : l’aube au ciel fait de roses plis.

- Joli. J’ignorais que tu avais l'esprit d'une poète.

- Avec tout ce que je lis, tu devais t’en douter, non ?

Colin s’enfonça dans son siège, les bras croisés.

- Je te vois plus… scientifique, plus technique qu’imaginative.

- Les deux peuvent se combiner.

- Tu es très douée, admit-il en jetant un coup d’œil au tas de parchemins sur la table. Je me demande comment tu fais pour avoir assez de temps pour moi.

- Pour toi ? J’en ai toujours, tu le sais.

- Vous êtes très occupés. Toutes ces choses importantes à faire, ensemble, au village…

Il laissa sa phrase en suspend. Inquiète, Justine pencha la tête vers lui.

- Tu me fais quoi, là ?

Colin hésita un instant, un doigt légèrement tremblant.

- Rien, finit-il par lâcher, les épaules affaissées. Je dis n’importe quoi.

- Si tu insinues que tu ne sers à rien parce que tu as été envoyé auprès d’Ernest, c’est faux, clarifia Justine, la voix chargée d’émotion. Je sais combien tu as dû te sentir exclu.

- Ce n’est pas la solitude qui me pèse le plus. J’ai juste du mal à comprendre pourquoi l’espèce de Brahms est si rare, grimaça-t-il. Il n’a rien d’exceptionnel, c’est un oiseau des champs, il m’aide à faire mon travail, ça ne va pas plus loin.

- Ernest te l’expliquera en temps et en heure. Je suis sûre qu’il a un don en particulier.

- Quand ? lâcha-t-il d’une voix faible. Quand est-ce qu’il s’en donnera la peine ?

Son regard s’était éteint.

- Essaye de créer un lien avec lui, répondit-elle, désolée qu’il fût accablé. Tu es réservé et lui méfiant, il faut que vous vous laissiez une chance de vous rapprocher…

- En fait, il se moque de moi, marmonna Colin.

- N’oublie pas que s’il a le même oiseau que toi, c’est que vous avez un caractère similaire. Vous vous renfermez tous les deux. Ouvre-toi à lui.

- Brahms est comme son maître. Inutile.

- Tu ne m’écoutes pas, s’agaça Justine.

Colin baissa la tête.

- Je ne veux plus jamais t’entendre dire que tu es inutile ! Tu fais partie des Six, bon sang, si Osmond est venu, c’est pour nous, et par conséquent pour toi ! Tout le monde se fait du souci pour toi, en bas, et je suis sûre qu'ils regrettent tous de ne pas avoir plus appris à te connaître pendant notre voyage.

Elle eut à peine fini sa phrase que sa voix se brisa :

- Tu me manques à moi.

Colin, qui s’était tourné face à elle sur sa chaise, la fixa un instant sans savoir comment réagir. Le cri du cœur de Justine l’avait désarmé. Elle n’avait jamais cru qu’en si peu de temps, elle se serait autant attachée à lui au point de lui avouer sa pensée. Ne pas avoir pris l’initiative de se rapprocher de lui avant leur arrivée la rongeait. Le jeune garçon se rapprocha d’elle et, du bout du pouce, effleura sa joue.

- C’est bon, dit-il simplement.

- Quoi ? fit Justine, déstabilisée.

- Je voulais vérifier que tu ne pleurais pas.

- Pourquoi est-ce que je le ferais ?

- Je n’aime pas te faire de la peine. J’ai eu peur que tu pleures pour un crétin comme moi.

Justine ne put s'empêcher de sourire en voyant son front plissé par l'inquiétude.

- Ça, je ne peux pas le nier, pouffa-t-elle.

Colin chercha ses mots avec beaucoup de précaution, les yeux levés ver le ciel.

- Je te demande pardon. Tu as toujours été attentive et délicate avec moi, j’aurais dû t’écouter ; je verrai ce que je peux faire avec Ernest.

- Tu as le droit de me confier ce que tu ressens, répondit-elle. Tout ce que je veux, c’est que tu ne déprimes pas dans ton coin. On est là pour toi.

- Tu es là, corrigea-t-il. Ça a toujours été toi.

Il lui avait exprimé son immense gratitude avec ce peu de mots lourds de sens. Alors qu’il souriait tristement, elle attrapa son poignet sur la table et passa son pouce dessus, comme une mère caresserait son enfant pour le réconforter. Colin était fragile, plus qu’il ne voulait l’admettre, et cela avait certainement un rapport avec son passé. Justine ressentait le besoin de l’aider dans cette épreuve tout comme lui la soulageait des mille pensées qui la hantaient en passant du temps avec elle. Elle laissa le calme de la nature les envahir avant de déclarer :

- C’est parce qu’on est amis, non ? Et que je t’aime beaucoup.

Une lueur fugace traversa le bleu des yeux de Colin. Justine crut y percevoir de l’émotion.

- Moi aussi. Moi aussi, je t’aime, répondit-il finalement d’une sincérité bouleversante.

- Allez, viens, chuchota-t-elle tout en gardant sa main entourée autour de son poignet. Ça va être l’heure.

* * *

À la lumière d’un flambeau, les six adolescents accompagnés de leurs mentors prêtaient serment de s’occuper de leur oiseau jusqu’à leur mort. Gabriel, qui tenait un bol empli de cendre, les écoutait répéter les phrases qu’ils avaient apprises par cœur pour l’évènement. Ils juraient fidélité, dévouement et protection, leur volatile sur le bras les écoutant attentivement. Justine sentait la main d’Hermance trembler sur son épaule, comme si elle revivait un souvenir profondément enfoui.

- En vous choisissant, vos oiseaux se sont engagés à s’éteindre à vos côtés, expliqua Gabriel. Si vous veniez à le perdre, vous ne pourriez être à nouveau désignés. N'oubliez pas ; cette cérémonie vous permet de concrétiser ce pacte. Maintenant, avancez les uns derrière les autres.

Justine se détacha d’Hermance et se positionna face au fils d’Osmond. Elle tapota le rebord du bol deux fois, éveillant la curiosité de Pia qui plongea sa patte dedans. Ravie que les cours de dressage lui servissent, la jeune fille observait son oiseau déposer la marque de sa patte dans sa main. Leur serment était inviolable, désormais. Les petits yeux de l’oiseau levés vers sa maîtresse brûlaient d’affection.

- Félicitations à vous tous, déclara Gabriel après que tout le monde fût passé.

Du coin de l’œil, Justine surveillant Ernest et Colin. Le vieil homme lui serrait l’épaule avec ferveur, des rides apparaissant au coin de ses yeux emplis de tendresse. Jamais elle ne l’avait vu aussi proche de son novice ; peut-être que la cérémonie lui avait ouvert les yeux. Peut-être qu’une belle relation allait finalement naître entre eux. Justine adressa un clin d’œil à Colin qui perdait ses moyens face au rapprochement de son mentor ; figé, il n’osait plus bouger.

- Phil !

Ariane s’était jetée dans les bras de son ami. Les autres adolescents ne tardèrent pas à encercler leur meneur, amusant les adultes qui discutaient au loin.

- Ça fait si longtemps ! Comment tu te sens ? Tu manges bien, au moins ? demanda Ariane.

- Une vraie maman poule, soupira Endrick en levant les yeux au ciel.

- Mais il a les joues toutes creuses ! fit Ariane d’un ton boudeur.

- Je vais bien, leur assura Philéas en levant les mains. C’est juste un rythme difficile, l’activité dans ce village est débordante.

- Tu disparais à chaque fois que je te croise. Tu me fuis ? plaisanta Ariane.

Gêné, Philéas eut un rire nerveux.

- Désolé, je dois courir à droite à gauche si je veux être dans les temps. Gabriel ne me laisse pas de répit.

- En tout cas, j’en connais un qui ne s’arrête pas non plus, lança Endrick en attrapant Colin par les épaules.

- Dit celui qui patrouille aux frontières à longueur de temps, commenta le garçon blond, une joue écrasée contre le bras de son ami.

- Je t’emmènerai avec moi, un jour, lui promit Endrick.

- Toi aussi, il faut que tu prennes du poids, ça ne va pas du tout là, soupira Ariane en détaillant Colin du regard.

- Il faudrait surtout leur couper les cheveux, à ces trois là, rit Justine.

Les garçons mimèrent un mouvement de recul, un faux air effaré au visage. Les filles, quant à elles, restaient en ligne, un sourcil haussé.

- Pas par vous, j’espère, les taquina Philéas.

- T’imagine, se faire couper les cheveux par Ariane ? pouffa Endrick.

- Constance, à la rigueur, ajouta Colin en fixant Justine pour la taquiner.

- Et moi pas ? s’indigna Justine en levant vaguement son pied pour l’atteindre.

Colin lui échappa de justesse, un rictus aux lèvres.

- C’est qu’elle est souple, ma parole, s’exclama Endrick.

- Qui vous dit qu’on ne sait pas couper les cheveux d’un garçon, Justine et moi ? s’offusqua Ariane.

- Que voulez-vous, je suis une professionnelle, les nargua Constance.

Justine ne pouvait dire le contraire ; Constance avait toujours une apparence impeccable en toutes circonstances, des cheveux magnifiquement lisses malgré l’absence de son lisseur, ainsi qu’une touche de féminité enviable.

- Vous nous supplierez de le faire quand vous ne supporterez plus cette masse sur votre tête, dit Ariane en prenant Justine par le bras. Allons, très chère, et avec dignité.

Le menton levé, les deux filles injustement traitées firent mine de s’éloigner avant d’être rattrapées par les autres. Quelques fous rires plus tard, chaque adolescent repartit en direction de son foyer respectif, heureux de s’être retrouvés ; Justine avait pris des couleurs aux joues.

- Tu parais bien plus épanouie en leur présence, remarqua Hermance en chemin.

- C’est un peu comme une famille pour moi, lui confia-t-elle.

- Je comprends. Vous avez vécu beaucoup de choses ensemble.

- Et nous allons en vivre bien plus encore, soupira la jeune fille.

- Ne te tracasse pas. Cette quête, vous la réussirez. Surtout si tu es avec eux. Ton intelligence vous sauvera, et je suis en charge de te la faire travailler.

- Ce n’est pas trop de pression pour vous ?

Hermance secoua la tête, secouant au passage son chignon épais.

- Ce serait plutôt à moi de te poser cette question, tu ne crois pas ?

Pour toute réponse, Justine claqua l’élastique autour de son poignet contre sa peau. C’était évident. La charge qui reposait sur leurs épaules était bien lourde à porter.

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