Trois

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La première semaine de formation fut une rude période d'adaptation pour les cadets. Le rythme était difficile à suivre et certains entraînements semblaient plus durs de jour en jour, probablement à cause de la fatigue de la veille.

Le troisième jour, ils furent réveil­lés en pleine nuit pour une simulation en cas d'at­taque soudaine de l'ennemi. Le principe consistait à être prêt en trente secondes et à atteindre en quelques minutes seulement le poste qui leur était attribué. Une sirène retentit dans les chambres et un message personnel tomba sur les Holocoms, leur indi­quant le rôle à jouer. Le résultat ne fut pas brillant, mais pas catastrophique non plus, comme le souligna l'adjudant Kerrel, l'officier en charge de ce genre d'opération.

Le quatrième jour fut un peu plus calme. Après la séance de sport matinale quotidienne, ils eurent un cours sur les différentes appellations des officiers supérieurs, leurs fonctions, les salutations d'usage dans la Police Spatiale et le maintien d'un astro-policier avec les postures de convenance. Spiros remarqua à quel point il était difficile de se tenir parfaite­ment droit, ne serait-ce que vingt minutes. Julius, voûté à cause de sa grande taille, avait autant de difficultés que les autres.

— La jeunesse d'aujourd'hui manque vraiment de maintien, déplora l'instructrice en charge du cours. Redressez-vous, pour l'amour du ciel ! Ventre rentré, torse bombé, épaules relevées ! Soyez fiers d'être des policiers ! Vous, là !

— Oui ? répondit Spiros d'une petite voix.

— Plus en avant, le postérieur ! lança-t-elle en frappant de sa baguette la fesse droite du cadet.

— Ouille ! s'écria-t-il. Mais ça fait mal !

— Pas autant qu’à moi ! À présent, tout en conser­vant cette posture, vous allez marcher par rangs de trois autour de la salle ! Et en rythme !

— QUOI ? s'exclamèrent les cadets d'une seule voix.

Bien que les résultats fussent pour tous peu convaincants pour cette première leçon, Julius connut un certain succès comique dans sa démarche en bâ­ton.

— Ne soyez pas rigide à ce point, monsieur Derry. Un peu de souplesse, tout de même.

— Oui, madame.

L'instructrice, madame Bolivard, était une femme d'un certain âge dont les connaissances étaient particulière­ment centrées sur les bonnes manières en société. Elle ne faisait pas partie de la Police Spatiale mais ses talents étaient très appréciés et fort utiles. C'est elle qui avait instauré les bases du maintien au sein du corps défensif à sa création, basées sur la disci­pline militaire de l'Ancien Monde.

Pendant que la rudesse de ces traitements mettait le moral des troupes à rude épreuve, un événement inattendu vint perturber leur quotidien.

Spiros et Julius étaient au réfectoire pour déjeuner lorsque la diffusion d’un match de football inter-quartiers se déroulant sur Terre Nouvelle cessa soudainement.

— « Nous interrompons notre programme pour un flash spécial, indiqua la présentatrice. Des vaisseaux en provenance de la Lune noire ont été repérés par les satellites de surveillance ce matin à 11 heures, heure locale[1], dans la bordure interne de la ceinture d'astéroïdes. L'alerte a aussitôt été donnée et une patrouille de la Police Spatiale a immédiatement été dépêchée sur place. Selon nos dernières informations, un combat a été engagé avec l'ennemi mais la patrouille de police n'étant pas encore revenue sur Neyria, nous ignorons encore les détails de cette intervention. Il semblerait toutefois qu'aucun site minier à proximité n'ait été victime d'une quelconque attaque, contrairement aux événements des mois précédents où deux sites miniers et trois convoyeurs avaient été pillés. Il est à noter que c'est la première fois que l'ennemi s'approche autant de Terre Nouvelle. Le Grand Conseil a cependant tenu à assurer à la colonie que la Police Spatiale a la situation en main et que des mesures de sécurité et de surveillance au niveau planétaire vont être mises en place dans les semaines à venir. Il n'a toutefois pas tenu à donner plus de précisions. »

— Tu as entendu ça ? lança Spiros à Julius.

— Oui. Ils n'ont jamais été aussi proches de la planète. Mais je ne pense pas que Terre Nouvelle soit leur préoccupation. Ils ne s'attaquent qu'aux minerais, ils doivent en avoir besoin pour une raison particulière.

— Je pense que la Lune noire n'a pas les ressources nécessaires pour eux, dit un cadet de la même promotion assis en face d'eux. Mais pourquoi exploiter nos sites plutôt que d'en créer eux-mêmes ?

— Là est la question, Homar, répondit Julius. Nous ne savons rien de cet ennemi, si ce n'est qu'il semble venir de cette lune sombre apparue entre Yaakov[2] et Yohanan[3] il y a quatre ans.

— Il s'agit peut-être d'extraterrestres voisins qui n'aiment guère notre compagnie, suggéra Spiros avec humour.

— Je pense pour ma part qu'il s'agit de terriens, comme les premiers colons, qui veulent nous envahir, répondit Homar.

— J'en doute, rétorqua Julius. S'ils voulaient nous envahir, ils l'auraient fait dès le début, nous n'avions absolument rien pour nous défendre. Nous aurons beau élaborer toutes les théories possibles, nous serons toujours loin de la vérité. Espérons seulement que cette mission en cours aboutira afin d'en apprendre plus sur eux.

Les deux cadets venaient de terminer leur déjeuner lorsqu'ils reçurent sur leur Holocom un ordre de rassemblement dans la salle de cours habituelle.

— Cela me semble insolite, marmonna Julius. Nous avions un exercice de tir en apesanteur. Une information importante à nous transmettre, sans doute…

— C'est de l'autre côté du bâtiment, dit Spiros. Nous devrions nous dépêcher.

— Je suggère de passer par le couloir C-4 à côté des bureaux des officiers, suggéra Julius. Ça sera plus rapide.

— Bonne idée.

Sur le chemin pour se rendre à l'auditorium où étaient donnés habituellement les cours théoriques, ils croisèrent un grand nombre d'astro-policiers non gradés qui se rendaient également dans d'autres salles de conférences, ainsi que plusieurs officiers qui sortaient d'une grande salle de réunion et qui parlaient en petits groupes. Il y avait parmi eux le capitaine Ferne et l'adjudant Kerrel. Leur mine sombre n’augurait rien de bon.

Spiros entendit soudain une voix familière :

— Spiros ?

Il se retourna et sentit son estomac se retourner. Il ne s'attendait nullement à retrouver cette personne ici. C'était une jeune femme de leur âge, aux cheveux noirs qui lui tombaient sur les épaules et aux yeux clairs. Elle portait une tenue d'officier primaire[4] et un casque sous le bras.

— N… Niki ? C'est… c'est toi ?

Il comprit alors pourquoi son ami Néro s'était montré si mystérieux. Ainsi, c'était elle dont il parlait. Elle-même semblait étonnée de le voir. Julius crut même percevoir un certain mécontentement dans l’expression de son visage.

— Bah oui, c'est moi ! Qu'est-ce que tu fais ici ?

— J'ai commencé la formation la semaine dernière. Et toi, tu es…

Il s'attarda sur la tenue de la jeune femme et sur son casque. Un insigne spécial était peint au-dessus de la visière.

— … pilote gradé ?

— Eh oui ! Pilote sergent, chef de la seconde escadrille à bord de l'Odysséas.

— N'est-ce pas la patrouille qui est partie en intervention dans la bordure interne de la ceinture ? demanda Julius.

— Tout à fait, répondit-elle.

— Mais depuis quand es-tu là ?

— Oh, ça doit bien faire une heure que je suis rentrée de mission.

— Non, je veux dire, que tu es dans la Police Spatiale ?

— Eh bien, dit-elle en réfléchissant, ça remonte à trois ans, quand je me suis retrouvée toute seule. J'ai quitté mon poste chez M:Tronic du jour au lendemain et j'ai eu envie de faire quelque chose de complètement différent, qui me permette d’oublier certaines choses et certaines personnes…

— Ah oui, je vois…

Julius décelait maintenant une certaine tension entre Spiros et cette jeune femme. À l'évidence, quelque chose de difficile s'était passé entre eux.

— Je dois y aller, dit-elle. J'ai la maintenance de mon appareil à effectuer. On se verra plus tard.

— Euh… ouais, d'accord.

Elle s'en alla en direction des hangars, sous le regard stupéfait de Spiros.

— J'en conclus qu'il s'agit de la personne dont ton ami voulait parler, n'est-ce pas ? risqua Julius d'un air détaché.

— Oui, on… on s'est connus à l'école autrefois. On a… flirté un peu, sans rien de vraiment concret.

— Il m'a semblé comprendre certains sous-entendus dans ses dires. Je pense qu'elle voulait te faire passer un message.

— Je crois qu'elle m'en veut que notre histoire ne soit pas allée plus loin. Je… n'étais pas vraiment motivé à cette époque.

— Avais-tu peur de l'engagement ?

— Je ne sais pas. Je vivais aussi des moments difficiles à ce moment-là.

— Si tu le désires, nous parlerons de ça plus tard, sinon nous allons rater le briefing.

— En tout cas, elle a l'air d'avoir tiré un trait sur le passé.

— Je ne pense pas, le contredit Julius. Vos retrouvailles l'ont beaucoup gênée.

— Qu'est-ce qui te faire dire ça ?

— Ce ne sont pas les pilotes qui effectuent la maintenance des appareils, mais l'équipe technique dans les hangars. C'était une excuse pour couper court à la conversation, en somme.

En effet, une fois seule et hors de vue des deux cadets, Niki s'écroula contre un mur, sa tête enfouie dans ses mains et les larmes aux yeux. Pourquoi lui, ici ? Pourquoi maintenant, alors que tout commençait à aller mieux dans sa vie ? C'était comme si le passé l'avait rattrapée et agrippée pour lui faire du mal. Tant de souvenirs remontaient à la surface. Elle sentit son cœur se serrer dans sa poitrine.

Niki essuya ses larmes d’un revers de manche. Elle voulait rester forte. Elle n'avait pas fait tous ces sacrifices afin de grimper les échelons de la police pour laisser ces vieilles histoires la hanter.

***

La salle de classe était remplie des trois promotions d'aspirants. Lorsque les derniers prirent place, trois officiers, dont l'adjudant Kerrel, entrèrent et se placèrent face à eux. Les élèves se levèrent et les saluèrent. L'un des officiers, une femme aux cheveux blonds attachés en chignon serré, s’approcha du pupitre et prit la parole :

— Bonjour à tous ! Je me présente, pour vous les cadets des promotions CPS-5[5], CPS-6 et CPS-7 qui ne me connaissez pas encore, je suis le sous-lieutenant Farris, habituellement en poste sur le vaisseau-amiral Odysséas aux côtés du capitaine Ferne. Nous vous avons rassemblés aujourd'hui pour une réunion exceptionnelle suite aux événements qui se sont déroulés il y a quelques heures à peine dans la ceinture d'astéroïdes. En ce moment même, l'ensemble de la Police Spatiale est réuni pour le même briefing. Tous les officiers et moi-même sortons à l'instant d'une rencontre avec l'état-major suite au rapport qui a été établi par la patrouille envoyée lors de la dernière intervention. Les données de ce rapport nous ont permis de découvrir des informations importantes au sujet de notre ennemi. Je laisse la parole à l'adjudant Kerrel, qui vous en dira plus à ce sujet.

Ce dernier s'avança et prit la place du sous-lieutenant.

— La patrouille d'intervention est entrée en contact avec les vaisseaux ennemis ce matin à 11 h 32, heure de Centralville. Ces derniers se composaient d'un transporteur lourd et de trois chasseurs. Le transporteur avait à son bord des véhicules terrestres et des containers avec du matériel de construction. Il est évident que leurs intentions étaient de se poser sur Terre Nouvelle afin d'établir probablement un relais de communication ou une base terrestre. Les chasseurs ont pu être neutralisés rapidement, il s'agissait seulement de drones. Le transporteur a ensuite été abordé par notre équipe mais son équipage venait de s'enfuir à bord de navettes de secours pouvant entrer en vitesse luminique après avoir déclenché un système d'autodestruction que nos agents à bord n’ont pu arrêter. Ils ont cependant réussi à sortir avant l'explosion, emportant des informations extraites de l’ordinateur de bord. Ces données ont pu révéler des renseignements précieux sur l'ennemi et en particulier sur ses origines.

Il fit une courte pause, voyant l'ensemble des cadets exprimer leur surprise. Tous étaient avides de savoir enfin d’où provenaient les assaillants.

— L'ennemi n'est en aucun cas une quelconque race extraterrestre, théorie établie d'après de nombreuses rumeurs infondées qui ont circulé.

Quelques rires fusèrent alors dans l'assistance.

— Il s'agit bien d'êtres humains en provenance de la terre de nos ancêtres. Ils ont réussi à venir jusqu'ici et ont établi une base sidérale d'une taille impressionnante sur une lune de Yohanan, la fameuse « Lune noire », qu'ils nomment « Lunar Centaury » et qui, jusqu'à présent, était difficile à observer avec précision étant donné sa position.

Les cadets furent encore plus stupéfaits. Certains se levèrent même pour poser des questions.

— C'est impossible ! s'écria l'un. Comment ont-ils pu construire un tel édifice ?

— On nous a appris que les autres vaisseaux comme le Myriam[6] avaient été détruits lors de leur départ ! renchérit un autre. Comment sont-ils venus jusque dans le système Promesso ? Et la construction d'une superstructure de la taille d'une lune est de l'ordre de l'impossible, même avec la technologie de la colonie !

— Du calme, jeunes gens ! s'écria le sous-lieutenant Farris en levant les mains. Nous n'avons pas les réponses à tout cela pour l'instant. Laissez finir l'adjudant Kerrel, s'il vous plaît !

Ce dernier adressa au sous-lieutenant un signe de tête.

— Merci, sous-lieutenant. L'ennemi a donc pu construire une base à l'intérieur même de cette lune dont la superficie est de près de douze millions de kilomètres carrés pour neuf cents kilomètres de diamètre. Bien que certaines structures se situent à sa surface, le gros de la base se trouve en dessous, où est stockée une impressionnante panoplie de vaisseaux de guerre dont certains ne nous ont pas encore été dévoilés. Ils utilisent également une technologie énergétique basée sur la théorie des « particules noires » : des magnétrons lancés dans des convertisseurs d'antimatière. Il semble que ce soit grâce à cela qu'ils aient pu rejoindre notre système en moins de temps qu’il n’en a fallu à nos parents avant eux. Malgré ce panel d'informations, plusieurs questions restent en suspens et nous espérons pouvoir obtenir des réponses dans un futur proche.

— Nous n'avons pu faire aucun prisonnier ? demanda Spiros en levant la main.

— Pas un seul, malheureusement, répondit Kerrel. Nous aimerions pouvoir mettre la main sur l'un d'eux lors d'une prochaine confrontation.

— Quelles sont nos intentions à présent ? demanda une jeune fille assise derrière Spiros.

— Nous allons dans un premier temps rester en alerte moyenne et organiser des patrouilles de surveillance dans toute la ceinture, répondit Kerrel. Leur proximité est bien évidemment inquiétante. Leur station est pour le moment immobilisée en dehors de nos périmètres mais je crains que s'ils venaient à dépasser la ceinture à nouveau, nous ne soyons pas en mesure de les stopper.

— Quelle a été la réaction du Grand Conseil ? demanda Julius. Va-t-il rester sur ses positions de non-violence ?

— Le Conseil reste ferme à ce sujet, affirma l'adjudant. L'armement ennemi va être minutieusement étudié afin de concevoir une défense efficace et d’améliorer nos systèmes IEM. Mais en aucun cas nous ne concevrons des armes de destruction. Je vous ai donné les principales informations, je laisse la place au caporal Prieg.

Celui-ci s'avança à son tour et leur donna seulement de nouvelles consignes à suivre. La bonne nouvelle était qu'ils allaient pouvoir effectuer des surveillances à bord de véhicules lunaires et spatiaux avec des agents qualifiés, tâches définies comme étant des « exercices sur le terrain ».

— Qu'est-ce que t'en penses, toi ? demanda Spiros à Julius en sortant de la salle.

— Mis à part leur origine et leur technologie énergétique, nous n'avons rien appris de vraiment concret sur eux, répondit-il en réfléchissant. J'ai déjà entendu parler vaguement de cette théorie sur les électrons noirs. Elle avait été établie par un scientifique sur Terre quelque temps avant le départ de la colonie. Cependant, nous ignorions que les terriens survivants avaient développé cette technologie. Je serais curieux d'en savoir plus. Où vas-tu ?

Spiros se dirigeait vers l'entrée alors que leur prochain cours se déroulait de l'autre côté.

— Je fais un détour, dit-il doucement, le sergent Kerrel est devant l'escalier. J'ai oublié de lui remettre mon rapport, hier.

— Mais on a un cours sur l'espace dans dix minutes !

— Je sais, je sais ! Je te rejoins là-bas, je file avant que…

— Cadet Merig ! s’écria au loin l’adjudant Kerrel.

— Et merde…

— L’adjudant t'a aperçu, me semble-t-il. Je t'attends devant la salle ?

— Merci de rester me soutenir… Je pense que j'en ai pour un moment.

— Très bien. À plus tard.

[1] Le cycle temporel dans l'espace suit les heures terrestres selon le fuseau de Centralville afin que les structures sur les autres planètes soient synchronisées avec celle-ci.

[2] Yaakov : sixième planète du système Promesso.

[3] Yohanan : septième planète du système Promesso, considérée également comme la plus volumineuse.

[4] Les grades de la police spatiale sont divisés en trois groupes : primaire pour caporal, sergent et adjudant, secondaire pour sous-lieutenant, lieutenant et capitaine, et tertiaire pour commandant, colonel et général.

[5] CPS-5 : promotion des cadets de la Police Spatiale dont font partie Julius et Spiros.

[6] Le Myriam était le vaisseau-mère de la Septième Colonie, baptisé ainsi en hommage à Marie.

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