PARTITION XVI : partie 2

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Nous marchons côte à côte en silence. Le drame nous a ravis nos mots…

Nous atteignons les portes d’Anjos à l’orée du crépuscule. Dans la pénombre croissante, les gardes ne remarquent pas, de prime abord, le cadavre dans mes bras. L’un deux nous hèle.

— Ola, qui va là ? C’est toi Mellys ?

— On… on l’a retrouvé… déclare-t-elle d’un timbre altéré.

— Parle plus fort ! Où sont Rio et les autres ? Qui est à tes côtés ?

Mellys s’éclaircit la voix.

— On l’a trouvé ! s’écrie-t-elle avant de tomber à genoux sur le sol. On l’a trouvé, répète-t-elle dans un murmure.

Les grilles s’ouvrent. Les sentinelles s’approchent et relèvent l’ado. Enfin, Carlos m’aperçoit.

— Qu’est-ce tu fous là, Syl ? Jak nous a interdit de te laisser pénétrer la cité ! Alors tu ferais mieux de te…

Il s’interrompt en discernant ma précieuse cargaison.

— J… c’est…

Ses cordes vocales ne produisent plus le moindre son. Il s’approche de moi avec une lenteur déconcertante et caresse les cheveux bruns de l’enfant. Ce geste qu’il affectionnait tant. Je le lui remets avec respect.

— Sonnez la cloche des morts, hurle-t-il, l’émotion au bord des lèvres.

J’entends des pas affolés s’éloigner puis une vibration puissante et grave. Les ondes sonores résonnent dans mes cellules par vagues successives sans toutefois entraîner de souffrance physique. La mienne se situe ailleurs… au-delà.

Les lamentations d’une femme déchirent le voile imperceptible qui recouvre l’assemblée.

— Mon bébé ! Mon bébé !

Elle arrache la dépouille des mains de Carlos et le berce avec ferveur. Sa douleur est contagieuse ; elle part d’un flux rouge sang qui se transmet à tous les chants alentour.

Sous mes racines, la terre meuble se met à trembler. Mon visage se tourne vers la forêt environnante, hors de la zone stérile. Des silhouettes armées de torches en émergent et nous rejoignent. Jak est à leur tête.

— On a entendu la cloche, déclare-t-il simplement, la voix rauque d’avoir trop crier.

Il m’a aperçue, néanmoins, il n’en fait pas mention.

Tout le monde encercle la mère endeuillée, la soutenant en silence.

Il est temps pour moi de m’éclipser. Les doigts de Mellys s’agriffent aux miens alors que son regard fixe la scène avec un calme étonnant. Une colère contenue s’exhale pourtant de son chant et ne demande qu’à exploser.

Je dégage ma main sans qu’elle n’en ait conscience et m’apprête à partir quand un nouveau cri s’élève dans mon dos.

— Tout est de ta faute, Sylvanos !

Je ferme les yeux. Exactement le genre de reproches auxquels je m’attendais.

— Il te faisait bien trop confiance, mon petit Rio ! (Sa phrase s’entrecoupe de sanglots tonitruants). Tu l’as tué !

Je pivote lentement vers cette femme dont la tristesse est légitime. La décapitation de Sing a découlé d’une douleur identique.

L’enfant dans ses bras, son aura flamboie de haine. Cette perte a arraché l’ultime parcelle d’espoir en elle.

— Pourquoi tu ne réponds rien ? crache-t-elle. Parce que tu es coupable ! (Elle s’adresse aux personnes présentes). Va-t-on laisser le crime de mon garçon impuni ? La chair de ma chair ?

Une rumeur parcourt la cour et se transforme bientôt en grondement.

— Syl n’a pas tué Rio ! On l’a trouvé ensemble ! s’insurge Mellys comme à l’accoutumée.

— Peu importe ! Son espèce l’a fait : ces monstres ! Si elle n’avait jamais les pieds ici, Rio… Rio serait toujours en vie !

Je ne rétorque toujours rien. Elle a malheureusement raison. L’enfant ne me craignait pas le moins du monde. Peut-être minimisait-il le péril qu’il courait hors de ces murs ? Mais que connaissait un gamin de six ans du danger ?

— Si tu dois punir quelqu’un, insista ma jeune amie, punis-moi ! Jak m’avait défendue de venir avec eux hier. (Elle se mord les lèvres). Mais je n’en fais toujours qu’à ma tête ! Rio a pu me voir me glisser dans le trou de la grille. (Elle baisse les yeux) Près de la souche pourrie. Et il m’a suivie…

Cet aveu doit lui en coûter. Elle vient de mettre un point final à ses escapades en solitaire. Jak la dévisage, bras croisés sur le torse et sourcils froncés. Quant à la mère, elle secoue la tête.

— Cela ne change rien de toute manière, se résigne-t-elle, d’un ton las.

Ses traits s’affaissent, comme vieillis de dix ans, et elle pénétre dans le vieux bâtiment avec la dépouille de son enfant.

— Jak, s’exclame un des gardes, Lily a raison ! Syl doit être punie ! Même si elle n’est pas responsable du meurtre de Rio !

— Sing aussi s’est fait trucider, poursuit Carlos. Et Caleb est rentré dans un sale état, mais refuse d’en parler ! Tu nous caches quelque chose ! Putain, tu nous as dit que les Flamboyants avaient attaqué Syl !

La clameur s’amplifie. Jak soupire. Me regarde sans ciller.

— Syl restera sous étroite surveillance dans sa chambre pour cette nuit. L’Ordre se réunira pour statuer sur son sort et nous ferons part de notre jugement à la communauté dès l’aube. Et vous aurez droit en prime à un topo sur l’échec d’hier. Et maintenant, reprenez votre poste ! crie-t-il.

Une fois l’audience dispersée, il me fait signe d’approcher.

— Pourquoi attendre demain ? lui demandé-je. Je peux partir tout de suite.

La surprise se lit dans ses yeux. Il frotte sa barbe derrière laquelle transparait un léger sourire.

— Tu es fascinante. Je regrette que les autres ne le remarquent pas. Je suis content que la folie ait quitté ton cœur ; dommage que tombes si mal. Quelle tragédie…

Il étouffe un bâillement, porte la main à son front. À la lumière de la torche, ses cernes m’apparaissent sombres et creusées.

— Pour répondre à ta question, disons que Diego se faisait du mouron pour toi. Le pauvre n’en a plus pour longtemps et je crois que ta présence lui ferait du bien. Mellys, approche !

Il nous entraîne dans le hall de l’hôtel.

— Syl, monte voir l’Ancien et reste dormir dans sa chambre. Par contre, je te défends de rendre visite à Caleb !

Un éclat fugace d’un châtiment traverse mon esprit avant de s’évanouir au sein de ma pensée nébuleuse.

— Je ne compte pas le revoir, affirmé-je, amère. Ruka ?

— Je lui passerai l’information, mais ne t’attends pas à un miracle. Te revoir risquerait de la briser. Mellys, tu rejoins le peuple au réfectoire.

— Mais…

— Tout de suite !

Mellys ravale un juron, serre ses poings puis se détourne en courant. Alors que je m’apprête à le quitter à mon tour, il saisit mon coude, l’air inquiet.

— Que comptes-tu faire au-dehors ?

— Trouver le havre de paix dont parlait le voyageur.

Il opine.

— Je souhaite que tu réussisses. (Il semble hésiter, sa main frotte ses lèvres) Si c’est le cas, se lance-t-il enfin, comptes-tu partager cette information avec nous ?

— …

— Écoute, je suis navré de ce qui s’est passé hier… Tu connais l’estime que je te porte, Syl. En revanche, ton bannissement par les autres membres de l’Ordre, sans compter le vote populaire, est quasi certain. J’espère seulement que tu ne leur tiendras pas rigueur de…

— Je reviendrais pour vous y emmener, soupiré-je.

Des êtres chers – mes seuls amis bipèdes – résidaient à Anjos, leur absence créerait un vide dans ma vie. Je devais agir vite, le Roi ne s’arrêtera pas avant d’avoir décimer toute leur population. Déjà une nuit de perdue…

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