PARTITION XIII: partie 4

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Assis sur un lit bordé de voiles, l’Ancien lance des objets sur une femme rondelette vêtue d’une blouse blanche, pareille à celle de Ruka. Je l’ai déjà croisée dans son sillage.

— Allez tire-toi ! Dis à Ruka que j’ai pas besoin d’un tuyau sur ma queue pour pisser !

L’assistante secoue ses cheveux frisés, étouffe une plainte et me bouscule avant de sortir hors de la chambre de Diego. En pleines ruminations, il ne m’aperçoit pas.

— Diego pas content !

Sa tête pivote dans ma direction, un air satisfait sur le visage.

— Ah, Syl ! Tout va mieux maintenant. Approche, approche !

En le rejoignant, j’en profite pour ramasser ses livres et les poser sur sa table de chevet. Je m’assois près de lui. Il m’examine longuement.

— Je me doutais que tu évoluerais de cette manière un jour ou l’autre… Tu es parmi nous depuis un certain temps et j’ai bien remarqué tes récents rapports avec Caleb… Tu ne laissais pas notre doctoresse indifférente non plus. Souhaitais-tu nous ressembler ?

À ces mots, je me renfrogne.

— Tu veux en parler ?

Je passe ma langue sur mes lèvres humides, ramollies par ma mue. Puis je lui révèle mes actes de ce qui pour moi s’est déroulé la veille.

— Tu aimes ces deux personnes, comme tu aimes Mellys.

— Moi aimer vous aussi.

Il s’esclaffe. Son rire se termine par un raclement de gorge suivi d’un crachat. D’une couleur identique à celle de mes branchages.

— C’est réciproque. Mais, vois-tu, l’amour peut prendre plusieurs formes. Amitié, filiation, une attraction…

— Comment reconnaître ?

— La personne dont tu tombes amoureuse réchauffe ton cœur, tu veux te réveiller à ses côtés, le voir heureux.

Je réfléchis un instant.

— Envie de protéger comme une mère. Caleb faire battre cœur fort avec chaleur. Envie de voir Ruka heureuse, elle manquer à moi.

L’Ancien sourit. Ses mains enserrent la mienne.

— Fais confiance à ce que tu ressens… Laisse-toi guider par ton…

Son conseil est coupé le fracas de la porte qui s’ouvre à la volée et par une voix familière tonitruante.

— Alors comme ça, tu maltraites mon assistante ? Tu crois que…

Ruka se fige en me voyant sur le lit de son patient. Personne ne l’a encore mise au courant de mon état. Sa colère déserte son visage, seule demeure sa curiosité professionnelle.

— Syl ? murmure-t-elle. Incroyable.

Elle me rejoint et s’empresse de me tâter en tournoyant autour de moi. Lorsque sa main affleure un de mes seins, elle plante ses iris émeraudes dans les miens. Pendant un instant, je retrouve ma chère amie. Des souvenirs agréables remontent à la surface pour moi comme pour elle : ses joues se teintent de rouge. Elle détourne le regard en premier.

— J…je suis rassurée que tu ne sois pas…

Sa voix se brise. Elle se sépare de sa blouse et me l’enfile.

— Ton corps nu se rapproche désormais du nôtre, m’explique-t-elle en boutonnant le vêtement. Il ne serait pas convenable de te promener comme ça.

À l’étroit dans ce morceau de tissu, je grommelle. La sensation sur ma peau me déplaît.

— Taratata ! Je vais demander à Irina quelque chose de plus approprier à te mettre. En attendant, tu restes ici ! (Elle lève son doigt devant ma figure) Pas de balade dans le couloir !

Et la jeune femme, irrésistible dans son rôle de souveraine, tourne les talons. Mon sourire ne faiblit pas, même en me reconcentrant sur Diego.

— L’amour te va bien.

Mais son air badin disparaît aussitôt. D’une main, il ouvre le tiroir du meuble accolé à son lit. En retire le vieux journal découvert dans la grotte.

— J’en ai déchiffré une grande partie… Que ça à faire de toute manière, marmonne-t-il. Stacy Keller – l’auteur de ces écrits – était une scientifique spécialisée dans la botanique. L’étude des végétaux. Unique survivante d’une chute de météorite – tout comme toi – elle a fait face à des phénomènes inexpliqués concernant les plantes autour d’elle. (Il secoue le journal) L’origine du Roi y est consignée, j’en suis certain. J…je crois… je crois que le Cataclysme Vert est parti d’une expérience qui a mal tourné. Toutes nos réponses consignées dans ce petit carnet…

— Pourquoi connaître passé ? À quoi lui servir aujourd’hui ?

Il me dévisage comme si j’avais dit une monstruosité.

— Enfin, c’est évident ! Si nous savons de quelle manière est né le Roi, alors nous pourrons le détruire. Du moins, c’est une possibilité non négligeable. N’es-tu pas curieuse de découvrir tes origines ?

Je secoue la tête.

— Seul futur intéresser, Syl.

Diego se renfrogne subitement, adossé contre son épais oreiller, et plonge dans sa lecture. D’un geste de la main, il me congédie. Notre conversation semble achevée. J’hésite sur la conduite à tenir ; Ruka ne revient pas. J’inspecte ma tenue – la blouse dissimule à peine le tronc – avant de quitter la pièce. Malgré l’interdiction de Jak, j’ai bien l’intention de rejoindre mon peuple. Il me faut convaincre mon ancien compagnon du danger des Flamboyants pour l’ensemble de nos communautés.

— Personne ne m’écoute, à ce que je vois !

Mes racines se figent. Je me retourne au ralenti dans le couloir de l’ancien hôtel. Ruka se dresse du haut de son mini gabarit, les prunelles féroces et assombries. Elle me rejoint en quelques pas pressés. Sur son épaule repose un tissu marron qu’elle me lance à la figure. Je le hisse jusqu’à mon visage penché de biais. Comment suis-je censée revêtir cela ?

— Je t’avais demandée de ne pas sortir… ainsi ! (La jeune femme agite sa main en balayant mon anatomie). Tu es… indécente !

Ruka, sourcils froncés, pince ses lèvres. Toutefois, son chant ne recèle pas la hargne qu’elle s’évertue à afficher. Au contraire, il ondoie autour de ma peau en une rengaine sensuelle. Un appel à fusionner. Le docteur s’approche et enroule l’étoffe autour de mes épaules et de mon tronc avec dextérité, de manière à ce que ma poitrine soit masquée. Le fragment de météorite luit dans la pénombre du couloir.

Ruka recule et m’examine avec attention. Puis elle tape dans ses mains avec un grand sourire.

— Voilà qui est parfait ! (Son regard se fixe derrière moi) Qu’en penses-tu, Irina ?

Je virevolte. L’intendante d’Anjos sort d’une des pièces, un bac de linge dans les bras. Peu encline à m’offrir un semblant de gentillesse, elle demeure fidèle à elle-même ; froide et « pète-sec » comme la surnomme ses enfants.

— Lys disait donc vrai…

— Mellys pas menteuse, m’insurgé-je, le poing levé.

Irina me mitraille des yeux. Ses énergies tourbillonnent autour d’elles, menaçantes. Elles mes rappellent des serpents prêts à attaquer.

— Je la connais mieux que toi, merci !

Elle nous dépasse sans rien ajouter d’autre. Ruka lève les yeux vers le plafond.

— Elle pas m’aimer.

— Bah, elle est jalouse de ton lien privilégié avec sa fille adoptive, grommèle-t-elle une fois Irina hors de vue.

— Jalouse ?

— Oui, elle a peur que Mellys te préfère à elle, quoi.

Je caresse la joue de mon amie. Ses prunelles fuit les miennes.

— Toi jalouse de Caleb ?

Sa peau vire à l’écarlate. Chère Ruka… si facile à désarçonner. Elle repousse ma main d’un coup sec. Fronce les sourcils. Quelques secondes passent avant qu’elle ne se décide à parler.

— Peut-être, avoue-t-elle. Je ne t’ai jamais considérée comme une aberration de la nature, moi, poursuit-elle en insistant sur ce dernier mot.

— Pour être franche, je ne comprends pas son revirement… et puis… (elle me jette un regard froid) qu’est-ce que tu trouves à ce petit con égoïste ? On dirait Sing en plus jeune !

Elle serre ses poings contre son ventre. Sans attendre ma réponse, mon amie s’enfuit en courant.

Je soupire. Les rapports humains sont-ils tous aussi compliqués ? songé-je avant de réaffirmer ma détermination à exécuter mon plan.

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