PARTITION XII: à un demi-ton du paradis.

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Tu es une fausse note dans la polyphonie des Sylvanos.

La puissante voix gronde. Son timbre résonne. Ensorcèle mes cellules. Je flotte dans les airs devant un mur végétal. Ce dernier se meut dans une danse chaotique, un entrelacs de lianes, de tiges, de branches souples.

Expérience ratée !

Pourquoi je ne parviens pas à bouger ? Mon corps agit telle une marionnette, contrôlé par des fils invisibles. Des liens indéfectibles malgré la perte de ma sphère de contact. Bras et jambes écartés dans les airs face à mon Père. Lentement, l’agglomérat ondulant s’ouvre. Un œil resplendit ; Joyau ambré à la pupille quasi inexistante.

Aucune autre dissonance n’entachera la partition. Notre opus ne fait que commencer…

Notre opus ? Je me risque à regarder vers le bas. Des Sylvanos fusionnent. Encore. Le phénomène rare devient fréquent ces derniers temps. Des vrilles luminescentes s’élèvent alors que les corps dissous par l’union forment un nouvel être.

Nous viendrons t’absorber. Tu les rejoindras en moi.

Je ramène mon attention vers le Roi. Un à un, d’anciens Sylvanos, et certains esprits de la forêt dont j’ignore tout, émergent en tournoyant. Ils dévoilent à tour de rôle des membres, des visages, des yeux, une bouche, mais tous chantent à l’unisson :

Rejoins-nous, rejoins-nous…

Le tourmentde ces mille et une voix me disloque. Me brise en fragments. Alors, une bouche démesurée m’avale.

— Sors de ma tête ! hurle une dernière fois ma conscience.

Je me réveille en sursaut, haletante. Le soleil trône déjà haut dans le ciel. Mes branchages ont envahi les murs de chambre lors de mon sommeil agité. Je les rappelle à moi. Des morceaux de murs se décollent, la poussière tournoie. Je dois sortir d’ici. J’ai besoin d’évacuer les tensions.

Mes racines, réduites pour plus de facilités au sein d’Anjos, courent dans le couloir et s’immobilisent devant la porte de Diego. Je frappe trois coups.

— Entrez !

À l’intérieur, l’Ancien est entouré de cinq enfants. Bruyants. Un d’eux repose sur les genoux de Mellys, en face du fauteuil.

— Ah, pile au bon moment, ma chère ! Approche donc.

L’Ancien révèle un sourire à moitié édenté. Ses rides profondes creusent son visage, il ne lui reste que quelques touffes éparses de cheveux blancs sur son crâne, mais ses yeux perçants vairons pénètrent mon esprit à chacune de mes visites. Il se penche vers les petits humains, un doigt posé en travers de sa bouche.

— Notre amie a les oreilles fort sensibles. Aussi, je vous demanderai de parler doucement. Compris ?

— Oui, grand-père ! acquiescent-ils ensemble.

— Bien ! Syl, installe-toi. Je m’apprêtais à leur conter une histoire de mon époque. Ils sont assez grands désormais pour l’entendre.

Je reste debout, immobile. J’ai toutes les difficultés du monde à me relever après m’être assise. Il amorce son récit sur la vie d’autrefois. De temps à autres, les enfants me dévisagent avec curiosité. Je leur renvoie un sourire. Je les sens se détendre peu à peu.

— Bien sûr, je n’avais que dix ans à l’époque. Au moment du Cataclysme Vert. Ma mémoire s’est érodée avec le temps, mais je rappelle pourtant le confort de mon quotidien comme si c’était hier. Imaginez un monde où vous mangez à votre faim, où vous dormez sans craindre d’être tué dans votre sommeil. Tout était possible. Certaines régions de la planète connaissaient toutefois la guerre…

— Avec la nature ? l’interrompt le garçonnet brun, à la peau aussi foncée que l’écorce d’un arbre, assis sur Mellys.

— Non, Rio. Les humains se battaient contre d’autres humains.

— C’est idiot. Pourquoi ? l’interrogea une fillette au visage constellé de petites taches beiges, une longue tresse blonde dans le dos.

— Parce que l’Homme a une fâcheuse tendance à détruire tout ce qui se trouve autour de lui, soupire-t-il. À cause de différences, de la peur, de croyances non partagées, d’argent – une notion dont je vous parlerai plus tard – etc. Tellement de raisons pour déclarer la guerre. Tellement d’excuses. Après le Cataclysme Vert, il nous a fallu réapprendre à survivre face à une végétation hostile. Nous sommes très peu à avoir survécu à la première vague de massacre. J’ignore si d’autres bastions comme le nôtre existent, mais je l’espère de tout mon cœur. Les humains ont commis des erreurs, mais nous ne méritons pas de nous éteindre. Il nous fallait sans doute une bonne leçon pour ne pas reproduire nos fautes passées. Voilà pourquoi, aujourd’hui, Syl a reçu l’autorisation de vous rencontrer. Pour apprendre de son peuple et trouver une collaboration future entre nous. Pour votre paix à vous.

Tous les yeux se tournent vers moi.

— C’est la première fois que je vois une Sylvanos en chair et en os, déclare Rio. Tu as l’air gentille.

— Maman me répète tout le temps de ne pas t’approcher. Que tu es une méchante, se lamente un roux, plus petit que les autres.

Je reste muette. Que puis-je répondre à cela ?

— Elle m’a sauvée la vie plusieurs fois, tu sais. Elle a bon cœur, dit Mellys.

Rio saute sur ses pieds et tends ses mains potelées vers moi. Si minuscules. Je les laisse parcourir mon visage. Puis mes lianes.

— Tu es l’amie de Mellys. J’aime Mellys, tu es donc mon amie aussi. J’aime tes cheveux bizarres.

Un hululement amusé s’échappe de ma bouche.

— Toi vouloir voir quelque chose cool ?

Tous les enfants hochent la tête, excités. Ils se regroupent autour de moi. Je me concentre puis dresse mes lianes violettes au-dessus de ma tête tout en activant leur bioluminescence. Ainsi que dans mes longs doigts. Ce spectacle provoque des exclamations dans tous les sens. Émerveillés, ils se mettent à explorer mon corps de bois.

Une fois, les petits partis accompagnés de Mellys, Diego m’adresse la parole.

— Ils t’apprécient.

— Eux rafraîchissants. Leur innocence réchauffer mon cœur.

— C’est vrai. Je compte sur eux pour améliorer l’avenir de ce monde. Si tu es venue pour le journal, je n’ai pas encore totalement terminé sa restauration. En revanche, je sais qui en est l’auteur : une scientifique du nom de Stacy Keller.

Je secoue la tête et lui relate mon cauchemar.

— Différent. Comme réel.

Le patriarche des humains fronce les sourcils et croisent ses mains sur ses genoux. Il toussote puis se racle la gorge.

— Tu en as souvent ces derniers temps ?

J’opine.

— Tu crois que le Roi va tenter quelque chose pour venir te chercher ?

À nouveau, j’acquiesce.

— Moi, pas vouloir mettre en danger vous. Moi, partir chercher aide.

— Je ne comprends pas.

— Moi trouver idée. Besoin repartir dans la forêt.

Diego secoue un doigt en l’air et saisit sa canne de l’autre main. Je lui sers d’appui afin qu’il se relève.

— Ah, il ne faudrait jamais vieillir, se plaint-il. À quel âge es-tu censée mourir ?

— Syl vivre longtemps, mais moins que Sylvanos pas banni. Pas vieillir. Roi dire à nous fleurir ou pétrifier.

— À la grotte, celle que tu as tuée…

— Absorber énergie à elle. Pétrifier elle avant fleuraison. Mort prévue de toute façon.

Le vieil homme Le vieil homme attrape la carafe d’eau et se verse à boire. Seules quelques gouttes tombent au fond du verre.

— Rhaa zut, les enfants ont bu ma ration de la journée… Saletés de Schtroumpfs ! vocifère-t-il, les bras en l'air.

Le récipient glisse de sa main sans qu’il parvienne à le rattraper. Les débris jonchent le sol un peu partout autour de nous. Je les balaye d’un coup de branche.

— Laisse. Quelqu’un s’en chargera.

Le vieil homme parait soudain las. D’un pas hésitant, il se dirige vers une seconde pièce que je n’avais jamais remarquée.

— Je vais me reposer maintenant. Pourrais-tu m’apporter un peu d’eau ? me demande-t-il avec un clin d’œil. Si tu croises quelqu’un, dis-leur que c’est Jak qui t’envoie.

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