Partition XII (partie 2 )

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Dans les entrailles d’Anjos, l’écoulement de la source n’est entaché d’aucuns sons humains. Personne ne garde ce sanctuaire. Loin de me déplaire, je me précipite, carafe en main, au bord de l’eau pure et la remplit. Au moment où je m’apprête à repartir, mes oreilles captent une mélopée aérienne. Je reconnais la voix cristalline de mon amie Ruka. Je profite de cette aubaine et laisse mes sens me diriger vers elle.

Dans le bassin réservé à l’Ordre – celui-là même où Caleb s’est révélé à moi – le corps nu de la guérisseuse flotte sur le dos, les yeux fermés. Elle m’évoque une fleur fragile. Sa voix m’enveloppe de délicatesse. Je n’ose pas rompre la beauté de sa chanson et me contente de contempler ses courbes. Les formes d’une femme. Si semblables et pourtant si distinctes à ceux d’un homme. Pas d’excroissance à l’entrejambe cette fois, mais une toison dorée. Je compare sa poitrine voluptueuse à la mienne, proéminence peu marquée.

Le chant meurt sur les parois. Ruka ouvre les yeux, me voit et pousse un cri aigu en s’immergeant. Quelques secondes plus tard, sa tête réapparait. Elle fixe la carafe pleine dans ma main.

— Tu m’as fait peur, m’avoue-t-elle. Je ne t’ai pas entendue arriver.

Ses iris verts brillent plus intensément que d’habitude.

— Désolée. Moi aller chercher eau pour Diego. Non, Jak, corrigé-je en me rappelant des instructions de l’Ancien.

Ruka arque un sourcil.

— Diego ou Jak ?

— Diego ordonner moi dire Jak.

La femme ricane. Elle se passe une main dans les cheveux et se redresse. J’enregistre le moindre de ses gestes, subjuguée.

— Le mensonge t’est inconnu, c’est une bonne chose. Par contre, la source d’eau potable est de l’autre côté, tu n’as pas pu la louper.

Je secoue mes lianes.

— Ta musique attirer moi… Syl observer corps de femme. Beau.

Ruka ne répond rien. Ses joues rosissent. Lentement, elle sort du bassin et se place devant moi en tordant son cou vers l’arrière. Je m’agenouille afin de compenser sa petite taille. Cernée par ses flux gracieux, j’en oublie la marque de naissance qui la défigure.

— Ruka, pareille à mille étoiles. Moi apprécier beaucoup toi !

Et j’appuie ma bouche contre sur ses lèvres charnues afin de lui prouver mon affection ainsi que Caleb me l’a enseigné. Surprise, elle écarquille les yeux. Puis elle sourit, rougit davantage et s’empare de ma main. La pose au centre de son buste. Les battements de son cœur intensifient leur rythme. Ses prunelles portent en elles une promesse nimbée de secrets. Ruka attend de moi un acte obscur, inconnu de ma race. Muette, elle guide mes membres sur sa peau claire ruisselante. Son cou frêle, son visage espiègle. Je profite de la souplesse de chaque fragment de l’enveloppe humaine. Mes doigts pressent le galbe gonflé d’un sein, frôle la protubérance colorée en son centre. Son fin duvet se hérisse. Intriguée par cette matière moelleuse si agréable sous mes capteurs, je ne remarque pas tout de suite les gémissements de mon amie. Un cri plus fort que les autres m’oblige à cesser toutes caresses.

— Moi te faire mal ?

— N… non, au contraire, souffle-t-elle. Continue…

Mon exploration se poursuit dans le creux de ses hanches, sur son ventre rebondi, y compris le nombril – signe exclusivement humain – et se termine à l’interstice de sa toison d’or. Ruka entraîne alors mon membre rugueux à l’intérieur d’une cavité dont j’ignorais l’existence. Chaude et humide à l’instar de ce souterrain. Fascinée, j’en évalue les limites en moult oscillations. S’agit-il de cet antre sacré qui leur permet de créer la vie ?

Ruka se cambre et soupire en se cramponnant à moi.

— Syl, oh Syl…

La jeune femme me couvre de baisers auxquels je reste de marbre. Pourquoi mon cœur ne s’affole-t-il pas comme en sa présence ? Je la repousse avec tact.

— Quelque chose ne va pas ? s’enquit-elle, l’air inquiet.

Je me résigne à lui confier ce qui me tracasse.

— Quand Caleb caresser moi hier, sensation étrange dans corps. Chaleur, malaise. Avec Ruka, différent. Agréable, doux, mais…

— Mais tu le désires lui et pas moi, devine-t-elle. Il t’a séduite, j’y crois pas !

Son regard se durcit, elle s’éloigne en deux enjambées. Je ne lui ai jamais connu une telle expression. Froide comme les nuits en cette saison.

— Moi désirer lui ?

La femme ramasse un voile blanc sur un rocher et s’en revêtit. Le visage impassible, son chant émet des vibrations qui m’incommodent. Déception, frustration se mêlent en un duo acerbe.

— Félicitations, te voilà amoureuse ! crache-t-elle. Puisses-tu ne jamais en connaître les tourments ! Ça explique au moins pourquoi tu m’as ignorée hier en descendant chercher ma ration d’eau.

C’était donc Ruka. Le sang a déserté ses joues pour atteindre le blanc de ses yeux. Un film brillant les scelle. Elle secoue sa chevelure trempée.

— Mais si je ne t’attire pas, pourquoi m’as-tu embrassée ?

Je me sens confuse. Ai-je mal interprété la légèreté de cet acte ? Je lui relate les propos de Caleb. La jeune femme lâche un rire sauvage, à l’opposé de ses envolées cristallines coutumières.

Le signal d’alarme choisit cet instant précis pour retentir, m’empêchant de rétorquer quoique ce soit. Je me tords de douleur face à cette intrusion stridente à l’intérieur de mon crâne de bois. Ruka n’esquisse aucun geste vers moi. Me regarde une dernière fois sans la compassion qui la caractérise avant de virevolter et s’enfuir. Au loin, des sanglots éclatent.

Et mon être saigne d’avoir blessé par méprise ma chère amie.

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