PARTITION XI : (partie 3) 

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— Ça va ? m’interroge Mellys une fois hors de la salle.

— Oui, merci.

— Encore une vision, hein ? On dirait que ça survient de plus en souvent.

Je hoche la tête. Elle m’emmène dans la cour de l’hôtel. Dans le carré de terre qui leur sert de potager, certaines légumes et fruits sont prêts à être récoltés. Elle s’assit sur un banc tandis que je plante mes racines dans le sol. Un soupir de soulagement jaillit de ma bouche.

— Bon, ça s’est plutôt bien déroulé. Avec Caleb et Sing, ça aurait pu dégénérer en baston générale.

— Moi rester discrète. Peur ancrée en eux.

— Ils apprendront peu à peu à te faire confiance.

Je déploie mes branchages vers le ciel, mes lianes suspendues au-dessus de ma tête telle une couronne. Ma sève circule, nourrissant la moindre parcelle de mon corps. Mon écorce s’affine depuis quelques temps ; la couleur marron originelle évolue en teinte flavescente ou d’un ton beige lors d’une déshydratation.

Mellys admire le spectacle. Elle se lève, s’approche, puis appuie sa main sur mon tronc. Je penche ma tête vers elle.

— Tu ressembles à une déesse de la nature. Je souhaite que nos peuples puissent un jour trouver un compromis.Trop de sang a coulé.

— Qui est voyageur ? demandé-je en changeant de sujet.

Mes membres ont retrouvé leur place originelle.

— Un humain qu’on a hébergé quelques jours. (Elle enroule une courte mèche de cheveux autour de son doigt) Il racontait des histoires invraisemblables pour endormir les enfants. Il disait descendre au sud afin de trouver un village où Sylvanos et humains cohabitaient. En paix. Un endroit dans les montagnes, au-dessus d’une étendue d’eau à l’infini. Tu imagines, toi, de l’eau à perte de vue ? Je n’ai jamais rien vu de tel dans ma vie.

Elle hausse les épaules.

— Bref, personne n’y a cru. Un humain se baladant seul en plein territoire ennemi ne pouvait qu’être fou… Mais avec toi… Enfin, ça change la donne. Dommage, cet homme doit sûrement être mort à l’heure qu’il est.

Le grincement de la porte la fait sursauter. Caleb surgit dans la cour. Je me prépare à une nouvelle agression de sa part. Il s’avance puis s’arrête à quelques pas de moi, la tête haute.

— Caleb, laisse-la tranquille ! s’insurge ma jeune amie.

— Relax, Lys. Je suis venu… (il roule des yeux) m’excuser pour mon comportement.

Voilà qui est inattendu. Mellys garde la bouche ouverte puis fronce les sourcils, suspicieuse.

— Ouais, je sais, je m’emporte des fois comme un con, explique-t-il. OK, tout le temps. T’as le droit de m’en vouloir. La vérité, c’est que j’ai eu peur pour toi. Je te considère comme ma petite sœur et je ne veux pas revivre le cauchemar de perdre un des miens une nouvelle fois.

Mellys se blottit dans ses bras et déverse son chagrin contenu. Malgré son courage et sa force, elle reste une enfant sensible, brisée par les épreuves. Leur amour m’attendrit. Je les envie, je ne connais pas la force de ce sentiment. Caleb me contemple. Ses énergies tournoient avec lenteur autour de son enveloppe corporelle. Signe de tensions apaisées. Il ne ment pas.

— Dorénavant, je vais faire un effort pour apprendre à te connaître, Syl. Merci de l’avoir sauvée. Carlos m’a également raconté comment tu as empêché le monst… le Sylvanos de l’achever.

Il écarte sa sœur de son torse.

— Je vais rejoindre les autres. Le débat est animé en bas. À plus.

— Salut, bouclettes, le taquine Mellys en séchant ses larmes.

Il tape son épaule avec son poing. Un large sourire transfigure ses traits. Il m’envoie un signe de la main. Boum.Je peine à reconnaître le Caleb impulsif et colérique. Boum boum. Pourquoi mon cœur cogne-t-il si fort ? Aucune vision n’est pourtant venue m’importuner. Respirer calme mon agitation intérieure.

— Assez rechargée, déclaré-je.

La majorité de la population s’est retirée dans les souterrains d’Anjos. D’autres s’attardent dans la salle de réunion, des plats sur les tables.

— En fait, ici, c’est l’endroit où on mange, m’explique Mellys. On l’appelle le réfectoire. L’Ancien aime utiliser les noms de l’autre temps. Avant le Cataclysme Vert, précise-t-elle.

— Hey, Lys ! Viens t’asseoir avec nous, s’exclame Caleb assis aux côtés d’Irina, de Malowet de Sing.

Dès qu’il m’aperçoit, le guerrier repousse sa nourriture et se relève brusquement.

— J’ai plus faim.

— Fais un effort, Sing, c’est notre nouvel atout, lui conseille l’ingénieur aux yeux bridés.

— Me les casse pas toi ! M’entraîner au combat me parait plus important que de discuter avec cette put… Bref. Caleb, je t’attends au camp. Traîne pas !

En passant à mes côtés, il heurte son épaule contre mon bras sans ménagement, un sourire malsain au visage. Son chant me poignarde de milles lames. Mes instincts offensifs se réveillent d’un seul coup. Ma main s’enroule autour de son buste. Je le force à me regarder. Dans ses iris verts, j’observe le reflet des miens, étincelants.

— Toi arrêter maltraiter moi.

Chaque personne présente dans la pièce retient sa respiration. Seuls les battements de leur cœur résonnent en moi. La peur les paralyse.

— Tiens, tiens… Une bête restera toujours une bête, crache-t-il.

Mon lien se resserre davantage. Le géant retient une plainte.

— Syl…

Un murmure à peine prononcé. Cette onde mélodieuse caresse mon âme et l’apaise. Je relâche la pression. Sing se dégage, renifle avec dédain. Relève la tête en défi et quitte le réfectoire. Je le balaye des yeux puis m’incline. Une façon de demander pardon pour un mauvais geste selon mon amie Ruka.

— Syl pas faire de mal à vous.

— Tu t’apprêtais à en faire justement, critique Irina.

Mellys frappe les mains sur la table.

— Non, mais t’as vu Sing ? N’importe qui aurait envie de le frapper avec son comportement de merde !

— Surveille ton langage ! s’emporte Irina.

— Il ne cesse d’emmerder Syl depuis son arrivée, poursuit-elle en l’ignorant. À sa place, ça ferait un bail que je lui aurai envoyé mon poing dans la gueule.

Irina se redresse, courroucée. Elle pointe la sortie du doigt.

— Mellys ! Va te calmer dans ta chambre ! Tu viendras nous aider plus tard puiser l’eau de la source.

— Maman, c’est plus une gamine, tu sais ! intervient Caleb.

— Ne t’occupes pas de ça !

— Ok, ok, obéit-il.

— Alors, jeune fille, encore là ?

Mellys grogne. Elle saisit un morceau de galette, le fourre dans sa bouche. Et s’éloigne en marmonnant des insultes. Je ne peux m’empêcher de sourire.

— Tu trouves ça amusant ?

Caleb arque un sourcil dru et noir. Il mâche un morceau de viande séchée en se balançant sur son siège.

— Elle comme…

Je cherche la meilleure formulation possible. Mes doigts effleurent ma poitrine.

— Comme un baume ici, pour Syl. Moi envie de la protéger.

Caleb et sa mère se regardent puis l’homme se met debout, deux mains à plat sur la table.

— Alors deviens son garde du corps. Si elle croit en toi, nous ferons un effort. Je me charge de Sing.

Je hoche la tête. À partir de maintenant, les choses vont s’arranger. Je le sens.

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