CHAPITRE X : (partie 2) 

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— Syl, on dirait que tu as vieilli de cent ans… tout va bien ?

Non, pas du tout. Je lutte pour me maintenir en éveil. Une soif indescriptible me torture et esquisser un pas me demande un effort surpuissant.

— Faire… vite. Besoin énergie.

Une voix rauque, éraillée, sort de ma gorge asséchée. Des épines semblent la parsemer. En revanche, mon audition n’a pas perdu son acuité.

— Si elle pouvait crever celle-là, murmure à l’entrée une des sentinelles. Et une Sylvanos de moins, une !

Cet homo-sapiens – Carlos d’après Jak – commence à me taper sur le système. Si leur clan venait à me trahir, ce sera ma première victime. Je ne disperse pas plus longtemps mes forces ; la colère en nécessite trop pour ma condition actuelle. L’Ancien m’enjoint à m’immobiliser. Focalisée sur la marche, je n’avais pas pris le temps d’évaluer mon environnement. La galerie étriquée a laissé place à une vaste caverne. Les flammes projettent des ombres mouvantes sur les parois. Parois recouvertes d’images. Subjuguée par ce témoignage d’un passé révolu, j’en oublie ma fatigue sur-le-champ. Diego effleure l’un des murs.

— J’avais trente ans lors du Cataclysme Vert. Aujourd’hui, j’approche les quatre-vingt-dix ans. Un exploit selon Ruka qui ne se doit qu’à mon métabolisme et surtout de nombreux café, mais ça, c’est mon petit secret, s’esclaffe-t-il avec un clin de l’œil comme s’il s’agissait d’une blague.

Je ne sais pas ce qu’est du « café », mais je me garde de l’interrompre. Seuls ces dessins m’intéressent. Il racle sa gorge et reprend son sérieux.

— Un ou une humaine a assisté à la destruction du monde par les végétaux en se cachant ici. Malheureusement, c’est aussi devenu son tombeau… Son squelette se trouve au fond.

De ma place, je ne distingue rien. Je me reconcentre sur la paroi et cherche à allonger mes branchages. En vain. Je ne tiendrai plus longtemps ainsi.

— Bref, la personne qui vivait là a retranscris l’origine de cette apocalypse, j’en suis persuadé. Moi, je ne me rappelle que de ce gigantesque nuage argenté avant que tout bascule. L’humanité n’était pas prête pour ce genre d’attaque. En moins d’un an, nous avons été ravagés.

L’Ancien se tait, les traits exprimant une souffrance silencieuse. Il balaye le plafond des yeux avant de les fixer sur moi. La tristesse a remplacé la vivacité que j’y lisais auparavant.

— Je te fais l’impasse des jours difficiles qui ont suivi. L’adaptation s’est révélée compliquée pour beaucoup d’entre nous. Après une accalmie d’une dizaine d’année, ton peuple est apparu et le carnage a repris de plus belle. Jak pense que ces peintures ne sortent que de l’imagination d’un humain désespéré. Cela n’a aucun sens. On dirait que l’auteur avait prévu que plus personne se saurait lire dans le futur…

Une quinte de toux l’oblige à s’interrompre. Le régent se précipite vers lui afin de le soutenir.

— Nous ne pouvons pas rester ici. L’humidité t’es néfaste et Syl se meurt.

— Une minute, requiert-il. Syl, Ruka m’a expliqué que l’origine de ta cicatrice étoilée sur ta poitrine venait d’une chute de météorite, je me trompe ?

Je secoue mes lianes et caresse lentement ma blessure. Je parviens encore à ressentir la chaleur intense lors de la pénétration du fragment.

— Ta divergence a débuté à ce moment précis, non ? J’ai tout de suite établi un rapprochement avec cet endroit. Que penses-tu de ça ?

Il lève la flamme en direction du mur et révèle une tâche rougeoyante. J’esquisse un pas. Un deuxième. Ma vue se brouille. Mais pas avant d’avoir reconnu le feu du ciel chuter sur des silhouettes humaines. Qu’est-ce que ça signifie ? Je perçois mon nom résonner dans le lointain. Des yeux vairons se penchent sur moi.Diego.J’étouffe. J’enfonce mes racines dans une flaque d’eau et parviens à percer la roche friable dans un ultime effort. Le liquide vital remonte le long de mes vaisseaux. Juste assez pour survivre et quitter cet endroit. Le sol gondole. Alors que je soupire de soulagement, l’Ancien ramasse quelque chose à mes pieds.

— On dirait une petite valisette comme on en trouvait à mon époque… enterrée ici depuis tout ce temps. Merde, la serrure est rouillée.

Il saisit sa canne, en ressort une fine lame dissimulée à l’intérieur du bâton puis l’utilise pour frapper le mécanisme d’ouverture. Un choc plus tard, la valise s’ouvre. L’écho se répercute sur les parois. Dans ma condition, cela équivaut à des centaines de dards plantés dans ma tête. Je glisse le long du mur suintant d’humidité.

— Impossible ! Nom de nom, Jak ! s’écrie Diego en soulevant un objet ancien. Un journal ! Abimé, mais lisible en majorité. Grâce à Syl, nous allons enfin découvrir la vérité… J’aurai besoin de ta vue pour m’aider à le déchiffrer. Elle est en meilleur état que la mienne.

Absorbé par cette trouvaille, ils semblent avoir oublié ma présence.

— Je ne lis pas aussi bien que toi, rétorque Jak.

— Non, mais aucun autre n’a cherché à apprendre.

Je lève un bras vers eux. Inutile, ils m’ignorent.

— À quoi ça leur aurait servi ?

— À des instants comme celui-ci, répliqua Diego en secouant le journal.

Je hulule une suite de sons rauques afin de les mettre un terme à leur débat. Alors que Jak m’aide à me relever, Diego range l’ouvrage dans sa veste.

— Allez, on dégage de là ! Nous devons ramener Syl à l’extérieur.

Un bras autour de mon bassin, le chef d’Anjos me soutient comme il peut jusqu’à la sortie. Je ressuscite sitôt les rayons du soleil posés sur moi. Les sentinelles reniflent avec dédain en apercevant ma croissance. Une quinte de toux accable le patriarche. Les gardes se détournent de moi pour lui apporter leur aide. Il crache sur la roche et repousse ses hommes.

— Ça va, lâchez-moi. Jak, besoin de fumer un de tes fameux roulés.

— Pour te voir crever ? Hors de question. Je demanderai à Ruka de venir t’examiner ; ta toux empire.

Diego marmonne des jurons qui dépassent ma compréhension. Nous nous mettons en route sur le sentier qui ramène à la voiture. J’avance à pas lents à la suite du groupe ; il me distance d’une bonne longueur.

Épuisée, mais alerte, j’avise soudain les alentours. Mes lianes tentaculaires s’élèvent autour de mon visage. L’amputation d’une partie de mes capteurs sensoriels et de ma sphère frontale m’a certes affaiblie, néanmoins cela suffit.

Quelque chose cloche.

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