Chapitre X: note fondamentale. (Partie 1)

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Leur boîte de fer – une voiture m’a appris Jak – roule à bonne vitesse sur le chemin fangeux et montueux. Les roues se soulèvent régulièrement dans les airs avant de se redéposer avec force sur le sol. Je les suis de près malgré l’énergie colossale nécessaire pour une telle course. Pour rien au monde, ils n’auraient réussi à me traîner à l’intérieur de cet engin. L’expérience de l’ascenseur m’a suffi – les espaces étroits, très peu pour moi.

Mes racines adoptent une cadence de rotation phénoménale. Derrière la vitre, l’Ancien m’observe avec attention, un air étrange sur le visage. Il semble impressionné. Admiratif. Je détourne la tête d’un geste bref. Encore un mot sorti de nulle part dont je comprends le sens d’instinct.

J’utilise mes sens pour détecter si un des miens se trouve à proximité. Même si mon lien a été rompu avec eux, je reconnaitrai les signes de leur présence. Deux sentinelles armées veillent sur les lieuxsur chaque côté de la voiture, assis en équilibre sur le rebord de la fenêtre. L’un d’eux bande un arc pourvu d’une flèche embrasée tandis que l’autre serre une longue lame de métal enduit d’un produit poisseux. Ils gardent le lance-flamme – Jak m’a mise au courant du nom de leur artillerie – à l’intérieur pour ne l’utiliser qu’en dernier recours. Je feins de ne pas remarquer que la flèche est pointée droit sur moi. Un coup d’œil m’a suffi à reconnaître le garde présent lors de mon arrivée à Anjos ; il avait alors craché son dégout sur le sol. Visiblement, son avis sur moi n’a pas changé d’un poil (Mellys m’a initiée à certaines de leurs expressions étranges).

L’épisode pluvieux a cédé sa place aux rayons bienfaisants du soleil. J’en profite pour recharger mes batteries sans cesser d’avancer. Le véhicule utilise le même procédé grâce à des panneaux étincelants situés sur le toit. Les technologies humaines me dépassent. Je n’en ai nul besoin pour assurer ma survie ; la nature m’a dotée de tous les atouts dans ce but. Comment ces frêles créatures ont-elles pu dominer un jour le monde ?

Nous approchons de la cascade dont a parlé Diego. Le bruit sourd de la chute d’eau emplit mon espace vital. Si cela ne tenait qu’à moi, je ne m’approcherais pas davantage afin de ne pas endommager mon ouïe. Cependant, le secret de Diego m’intrigue. Encore une centaine de mètres et nous atteindrons la grotte… Le temps presse ; malgré le soleil, maintenir le rythme exige de brûler une puissante énergie et je puise dans mes réserves. Déjà, je ralentis. Les humains gagnent en distance. Les voilà hors de ma vue, mais le moteur a cessé de fonctionner. Au détour d’un virage, je les aperçois s’extraire de la voiture. Jak me fait signe de les rejoindre. Je reste un peu à l’écart, histoire de ne pas générer de tension supplémentaire inutile. Le garde ne me quitte toujours pas des yeux. À croire qu’il attend le moindre faux pas de ma part.

Le régent donne les directives de chacun.

— Jeff, Carlos, surveillez les lieux devant l’entrée. Syl, lance-t-il en se tournant vers moi. Ton peuple connait-il cette grotte ?

Il désigne la cascade d’un doigt. Je l’observe un instant, gênée par l’incessant vacarme. Dans un des coins, la roche est fissurée. La Largeur du trou permettrait à un homme d’y entrer. En ce qui me concerne, je suis moins convaincue. Je secoue la tête vers Jak.

— Bruit douloureux pour Sylvanos.

— Vous ne supportez pas les sons forts ?

Un éclat curieux brille dans ses iris gris. Il se met à frotter sa barbe, geste récurrent à chaque fois qu’il réfléchit. Je contracte mes membres. Voilà une information qu’il aurait mieux fallu continuer à dissimuler. Une erreur en entraînant une autre, mon silence ne fait que confirmer sa supposition.

— On va pas coucher là ! Allez, on se bouge ! s’impatiente l’Ancien en trottinant vers la chute d’eau à l’aide d’une canne.

— Celui-là alors... soupire Jak. En route !

Comme je le pressentais, l’étroitesse de la brèche limite l’accès aux grands prédateurs. Diego et Jak tente de résoudre le problème en me demandant de me baisser, mais cela ne suffit pas. Le soleil commence à décliner et la nervosité des humains augmente de minute en minute. Une dispute éclate : l’un voudrait retourner à la base, l’autre décide de ne pas quitter les lieux tant que je n’ai pas vu les « peintures » sur les murs. Malgré la relative sécurité que nous offre la résonnance désagréable de la cascade, je ne peux affirmer avec certitude qu’aucun Sylvanos ne patrouille dans les environs. Hypothèse que je soumets aux deux hommes.

— Nous entendre de loin, ajouté-je. Vous repérables. Cibles faciles.

Ils se regardent puis opinent.

— Bon, comment on s’y prend ? chuchote Jak. Je n’ai aucune solution à proposer. À moins que tu ne puisses te rapetisser, il n’y a aucun moyen pour toi d’entrer là-dedans.

De rage, il lance une pierre dans l’eau avant de souffler, la tête dans les épaules.

— Rapetisser ? répété-je en tapotant ma bouche avec mon doigt.

Diego m’étudie avec minutie. Je sens peser sur moi son regard inquisiteur. Ai-je fait quelque chose de mal ?

— Diminuer ta taille, pour devenir plus petite, m’explique-t-il en haussant les épaules. Reprends-toi, mon vieux ! crie-t-il à son ami. On dirait une femmelette, toujours à se plaindre !

Contrairement à Jak, un rictus amusé étire les lèvres de l’Ancien. Alors qu’ils reprennent leur vive discussion, une idée affleure en moi. J’ignore si j’en suis capable ou si cela marchera, mais je décide de tenter l’expérience. Toutefois, j’encours le risque de mourir. J’espère que l’intérieur de la caverne en vaut le coup ; je déteste me retrouver sous terre…

Le trajet a déjà puisé dans mes réserves, le processus ne prendra que peu de temps. Je ferme les yeux et entame une hibernation en accéléré. Dans cette région du monde, au climat stable, nous ne nous servons jamais de la stase. C’est une première. Après quelques respirations, ma sève se concentre au centre de mes principaux organes. Les battements de mon cœur ralentissent, Mes extrémités se rétractent ; un phénomène de transpiration expulse l’eau hors de mon corps. Cela suffira, je crains de ne plus pouvoir me déplacer si je persiste. J’ouvre les yeux. Les humains me dévisagent avec une expression hébétée. Ils ne s’attendaient visiblement pas à ce tour de passe-passe. Désormais d’une taille similaire, je m’engouffre avec des mouvements lents dans l’orifice sombre de la falaise. Jak me suit, une torche à la main.

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