CHAPITRE IX : accord de l'Ancien. PARTIE 1 

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Derrière la fenêtre de ma nouvelle chambre – Jak m’a accordé le privilège de bénéficier d’une pièce à l’étage avec vue sur l’extérieur – je laisse mes sens me porter dans la forêt. Loin d’Anjos. Hors de ma prison. Malgré ma soumission, je n’ai pas le droit d’aller et venir à ma guise. Pour ma sécurité, m’a dit Jak. Je crois plutôt qu’il a agi pour leur sécurité. Le danger que je représente est bien trop grand pour me permettre une totale liberté. J’ai rapidement compris, après les conclusions de l’Ordre, que la population ignorait ma présence dans leur unique refuge. Qu’arrivera-t-il lorsqu’ils découvriront leur redoutable ennemi dans leurs murs ? Ma possible origine me sauvera-t-elle alors ? Humaine… Mon regard se perd à l’horizon. Là où mon père se dresse fièrement. De lui, je n’aperçois qu’une masse sombre dépassant la cime des arbres. Nous a t-il tous dupés ? J’aurai tellement aimé l’interroger sur ma naissance. Mon existence repose-t-elle sur un mensonge ?Je fouille ma mémoire à la recherche du moindre indice sur mon passé. Quel est mon premier souvenir ? Mes yeux se ferment, des images défilent :

Moi, agenouillée devant le Roi, à l’instar de mes congénères. Notre conscience noyée dans la sienne. Mais avant ? Je navigue dans le néant, ce vide absolu. Au loin, une lueur. Un rai de lumière se découpe dans l’obscurité. Des murmures s’élèvent en volutes autour de lui. Je m’approche d’une trappe. Impossible à ouvrir malgré ma force. Dans mon propre esprit se dissimule un secret bien verrouillé. Je colle mon œil à l’orifice entrebâillée. Soudain, je suffoque. Me retrouve de nouveau dans la chambre. De l’air, j’ai besoin d’air frais.

J’active le mécanisme d’ouverture de la fenêtre. Il résiste, résiste jusqu’à ce que la poignée de fer orangé finisse par céder. Le morceau dans ma main, mais la vitre toujours fermée, je pousse un cri d’exaspération et lance l’objet inutile contre le mur qui jouxte la porte.

Des coups frappés sur le battant retentissent. Je m’immobilise. Une jeune femme entre et observe le bout de métal sur le sol. Elle relève la tête vers moi, un tissu noir bandé autour de son œil. Mellys. Propre et coiffée, j’ai failli ne pas la reconnaître.

— Qu’est-ce que t’as fait cette poignée pour mériter un tel sort ?

Ses cheveux courts lui octroient une aura solaire. Le ciel se reflète dans son iris valide. Elle saute sur le lit, et se retrouve allongée sur le dos, bras étendus. Sa tunique immaculée lui va à merveille.

— Fenêtre coincée. Moi contente de voir toi.

Elle m’a manquée, je ne peux le nier. Encore un sentiment étranger aux Sylvanos.

Mellys se redresse, le corps posé sur un coude.

— Ils voulaient pas que je t’approche. Pour mon bien soi-disant. Pff. (Elle se relève). Enfin, je suis pleine de ressources. Alors, raconte ! Qu’a décidé l’Ordre ?

Elle a agrippé mes branchages et les secoue de haut en bas. L’énergie et l’extraversion de cette créature me touche, moi qui ressens encore si mal les émotions. Mon séjour parmi leur communauté les développe. Surtout depuis la révélation de Ruka. Elle ne cesse de le convoquer dans son cabinet pour d’autres examens. Elle a paru fortement intriguée par ma cicatrice quand je lui ai parlé de son origine. Cet accident m’a changée. En échange de ma bonne volonté, le docteur enrichit mon vocabulaire. Je connais de plus en plus leurs mots, leurs coutumes.

— Alors ? C’est secret ou quoi ?

Mellys s’impatiente. Que suis-je censée lui dire ? Ma vision me perturbe encore.

— Moi devoir rester ici.

— Mais… tu vas nous aider hein ? Je veux dire, à concilier les deux espèces.

Je détourne mon regard de son joli visage. Tant de naïveté l’habite.

— Moi condamnée à mort par Sylvanos. Prisonnière par humains. Moi aucun pouvoir.

Elle recule d’un pas, son front se plisse. Ses membres tremblent. Si transparente.

— Donc, tu ne vas rien faire. Tu préfères abandonner. Je te croyais différente !

— Tout ça, nouveau pour Syl. Pas comprendre qui je suis alors comment aider ?

Elle ne répond pas. J’effleure son tissu noir d’un doigt et le relève d’un coup sec. Une cicatrice barre son œil mort. Tressaillement le long de mes nervures. Elle s’écarte de moi et replace son bandeau, gênée.

— Un cadeau d’une Sylvanos. Après avoir tué mon père et ma mère devant mes yeux quand j’étais enfant. Elle allait me tuer et puis, je sais pas. Bref, je te laisse. Faut que je vois Jak.

Je ne la retiens pas. Des réminiscences douloureuses m’accablent.

Meurs, meurs ! Sale Marcheuse !

Je secoue la tête et m’effondre sur le sol. Mellys… l’enfant que j’aie sauvée dix années plus tôt. Après avoir décimé sa famille. Elle ne me pardonnera jamais si je le lui avoue.Jamais.

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