Partition VIII : dans les profondeurs d'Anjos (partie 1)

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Recroquevillée sur moi-même dans leur cage étroite, ma sève circule anormalement vite. Nouvel à-coup avant une brusque descente. Je retiens de justesse un son guttural. Ne pas montrer ma détresse à ces humains qui me jaugent avec dégoût, arme bien en vue. Le monde tangue autour de moi, ma respiration saccade. Mellys vient se coller à mon tronc.

— L’ascenseur a souvent des ratés. On est presque arrivés, me chuchote-t-elle.

Après une ultime secousse, Jak coulisse la porte. Si j’espérais calmer l’anxiété qui me ronge en quittant cette machine infernale, je me trompais lourdement. Un couloir exigu éclairé par des torches m’accueille. La fumée s’échappe par des orifices situés au plafond. Un mince filet d’air s’engouffre dans mes lianes. Oppressée, je tends un branchage vers le trou insondable. Si loin du soleil.

— Ce sont des bouches d’aération, m’explique la jeune fille. Ils nous permettent de recycler l’oxygène. Pour mieux respirer.

— Dur vivre sous la terre. Moi pas bien.

— La faute à qui ? maugrée un des gardes en nous dépassant.

Je ne relève pas l’insulte voilée. Malgré la perte de mes sphères, leur rancune à mon égard m’agresse avec force. Leur haine se déploie autour d’eux comme une aura. Leur survie dépend uniquement de ces émotions, j’en ai bien conscience. Leur seul moteur à leur réveil : continuer la bataille coûte que coûte.

— Syl n’est pas comme les autres ! objecte mon amie.

— Quoi, tu l’appelles déjà par son p’tit nom ?

— Laisse, Mellys, lui conseillé-je. Moi représenter mon peuple. Eux forcer d’en vouloir à moi.

Le garde crache sur le sol. À mes pieds racines. Irina lui crie dessus. Il baisse la tête, s’excuse puis se mure dans un mutisme complet. Ses mains tremblent. Je sais reconnaître un homme en colère quand j’en vois un. Il n’hésitera pas à me tuer si par malheur je me retrouvais seule avec lui.

— Au fait, Lys, Rio te réclame, tu lui as promis d’aller le voir une fois rentrée, rappelle Irina à la jeune fille.

— Mais, je peux pas laisser Syl, j’ai…

— Tu la retrouveras plus tard, l’interrompt la femme d’un ton qui n’exige aucun refus.

Mellys s’immobilise et serre ses poings contre son corps. La teinte de ses joues tourne au cramoisi.

— Écoute ta mère ! renchéris Jak.

— C’est pas…, s’emporte Mellys avant de souffler son mécontentement. Pff, oubliez pas qu’elle est notre seule chance dans cette histoire, alors lui faites-pas de mal ! T’inquiètes Syl, on se revoit bientôt.

Je hoche la tête. Elle m’envoie un signe de la main puis disparaît au détour d’un couloir. Sans elle, je me sens plus tendue. Comme un animal pris au piège. Notre groupe continue la marche en silence avant de s’arrêter.

Jak déverrouille une porte de fer munie d’une ouverture à barreaux à moitié rongée par la rouille. Le grincement des gonds résonne à travers la galerie.

— March… euh Sylvanos, voici la chambre où tu resteras confinée jusqu’à ce que nous statuions sur ton sort.

J’entre à l’intérieur d’une petite pièce – tout est si étroit chez eux – et m’immobilise, mon effroi dissimulé sous un masque apathique. Une couchette, une table, un bassin empli d’eau. Aucune fenêtre. Un minuscule conduit d’aération. Un liquide poisseux suinte le long de mon visage de bois, cela n’était jamais arrivé. Est-ce le manque de lumière ?

Un claquement tonitruant retentit soudain coupant court à mes interrogations. Jak a refermé la porte derrière moi. J’agrippe les barreaux et fixe le chef sans comprendre. Une suite de sons graves sort de ma bouche.

— Je reviendrai te chercher. L’Ordre doit d’abord se réunir.

Puis il s’éloigne, suivi des autres. Seule Irina, une torche à la main, me scrute encore d’un air préoccupé. La flamme dessine des ombres mouvantes sur son visage flétri par le temps et l’inquiétude permanente.

— Tu as peut-être sauvée Mellys, mais ça ne veut pas dire que je t’accorde ma confiance. Si tu lui fais du mal, je t’exécuterai moi-même, me menace-t-elle avant de me tourner le dos et de rejoindre son espèce.

Une mère prête à se sacrifier pour son enfant, quitte à se transformer en monstre. Un déchirement intérieur me surprend.

Cours, Mia, va t’en ! Va chez ton oncle ! Je t’aime, ne l’oublie jamais !

Maman !

Surtout, ne te retourne pas !

Encore ces images dans ma tête. Et cette douleur… Ma cicatrice étoilée au centre de ma poitrine irradie. L’écho de la voix de cette femme plane dans la pièce quelques secondes. Puis se meure.

Je me retrouve seule, plongée dans l’obscurité. Prisonnière. Mes doigts resserrent leur emprise sur le métal qui se tord sous la pression.

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