PARTITION XI: (PARTIE 4) 

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Note de l'auteure : en relecture, il y aura une partie ajoutée avant ce chapitre qui parlera d'une expédition dans l'ancienne ville... 


De fait, une évolution positive a bien eu lieu. Des humains curieux m’approchent davantage chaque jour en délaissant leur méfiance des débuts. Certains discutent même avec moi. Mon apprentissage auprès de Ruka et de Diego commence à porter ses fruits : vocabulaire enrichi, tout comme l’adaptation à leur façon de vivre. Par exemple, je ris à leurs blagues au bon moment même si je ne saisis pas toujours pourquoi c’est drôle. Ils m’acceptent dans leur réfectoire, tant que je demeure auprès des membres de l’Ordre ou de Mellys. Sing tolère ma présence, mais préfère m’ignorer, ce qui me convient parfaitement. Harty, le petit homme nerveux à la peau sombre, tacticien de l’équipe, ne se mêle jamais à la population. D’après Jak, il souffre de phobie sociale. Tout l’effraie. Je n’ai fait qu’empirer les symptômes. Malow, inventeur et génial bricoleur d’Anjos, ne cesse de parler. Un véritable « moulin à paroles ». Sa simplicité d’esprit n’a d’égal que son intelligence. Je l’apprécie beaucoup. Et pour finir...

— Syl, tu m’écoutes ?

Caleb. Sa voix grave, aux intonations éraillées, me ramène au présent. Ses iris sombres me fixent sans sourciller. J’esquisse un sourire timide. Il détourne le regard. Nos rapports ont pris un virage à 180 degrés, malgré une certaine distance que je ne parviens pas à briser.

Je le suis à travers le dédale éclairé par des torches. Le plafond effleure mes lianes et parfois, je dois me pencher pour pouvoir me faufiler dans les boyaux.

— Comme je te le disais à l’instant, il existe deux sources dans les profondeurs d’Anjos : une qui fournit le peuple en eau pure et une autre qui nous permet de nous laver.

— Laver ?

— Ouais. Les humains puent s’ils se nettoient pas de temps en temps. Certains feraient bien de s’en rappeler, marmonne-t-il. Je suppose que tu n’en as pas besoin ; ton parfum reste le même en toute circonstance.

Je ne peux ni le contredire ni confirmer ses propos ; l’odorat ne fait pas partie de mes atouts et reste limité. J’ignorais que je dégageais une senteur quelconque.

La galerie débouche sur une immense caverne. Une eau transparente s’écoule lentement de la paroi. Des gouttières en détournent le flux et permettent son accumulation dans quelques bassins. Penchées au-dessus, deux femelles homo sap... – non, je ne peux continuer à les nommer ainsi – deux humaines recueillent le précieux liquide dans des gros récipients de terre cuite. À notre arrivée, elles cessent tous mouvements – leur chant soudain erratique – puis reprennent leur tâche en apercevant Caleb à mes côtés. Leur tension s’est évacuée dans un long soupir. Éradiquer une peur aussi enracinée que la leur à mon égard prendra du temps, peut-être toute une vie. Jak a réussi à les convaincre de ma soumission à leurs règles et la majorité s’en accommode. Par confiance. Cependant, je sais que tout le monde ne partage pas cet avis. Des flux discordants bouillonnent sous les apparences à priori sereines de certains. Ils sont inconscients de leurs attaques à mon encontre, mais je dénombre chacune d’entre elles et les sauvegardent dans un coin de ma tête. Je fuis la compagnie de ces humains comme les vers qui rongent mon bois.

— Tous les bras disponibles sont réquisitionnés dans le but de servir la communauté, récite mon guide d’un ton las. Ça fait plusieurs mois que tu vis ici et, maintenant que les autres s’habituent à ta présence, l’Ordre estime que ta force aiderait au transport de nos réserves d’eau. On appelle ces travailleurs "les porteurs et porteuses". C’est bon pour toi ?

J’opine sans émettre d’objection. Au sein de mon peuple, l’harmonie dépend du partage, de sorte à ce que personne ne soit oublié. Ou inutile. Un pincement enserre mon cœur. Je ne participerai plus jamais aux célébrations autour de l’Arbre-Roi, lorsque nos mille et une voix résonnaient à l’unisson. La mélodie générée était capable d’accélérer la croissance de la nature, de nous emporter dans le courant de la vie partout sur la planète sans remuer la moindre racine. La connexion à la Terre et ses êtres vivants comblait mon âme. Excepté lorsque la composition musicale se heurtait à la grille énergétique humaine. Désaccord criard sur la partition globale qui nous renvoyait en écho notre propre vulnérabilité. Bien à l’abri derrière une allégeance corrompue par la programmation de mon Père. Toutes nos failles m’apparaissent désormais clairement. Sans compter les cauchemars dont l’ampleur grandit chaque nuit un peu plus et dont je peine à m’extraire…

Une main saisit la mienne. Je relève la tête en sursaut et observe Caleb d’un air étonné. Mes yeux font des allers et retours entre son visage et ses doigts. Il n’avait encore jamais osé me toucher. Gêné, il secoue ses boucles d’ébène.

— Tu m’as l’air ailleurs aujourd’hui, laisse-moi te faire visiter les bains avant de commencer ton travail, se justifie-t-il en me tirant à l’intérieur d’une ouverture dissimulée au fond de la caverne.

Une fois la porte de pierre franchie, je me fige. Des volutes de brouillard fumant s’élèvent au-dessus de vastes bassins. Dedans, quelques hommes et femmes s’y baignent. Nus.

Caleb ne délaisse pas son emprise sur ma main. Mes capteurs détectent la moiteur de sa peau, sa chaleur aussi. Boum. Mon cœur s’affole.Boum boum. Je ne crains ni le chaud, ni le froid, toutefois, cet endroit m’étouffe. Pour quelle autre raison me sentirai-je si… étrange ?

— Une fois par semaine, à tour de rôle, la population vient se laver ici, m’explique-t-il. L’eau est alimentée en eau chaude par ce conduit ici, probablement relié au volcan à une dizaine de kilomètres. Comme tu le vois, la pudeur n’existe pas ici. Les règles sont très strictes et toute violence sexuelle est punie de mort. Ou de bannissement. Ce qui revient au même dans ce monde, conclut-il en haussant les épaule.

— Sylvanos ont pas de sexe.

— Ah ?

Le jeune homme descend son regard sur le renfoncement de ma poitrine, puis plus bas, à la séparation de mes jambes racines. Une moue déforme son visage. Que cherche-t-il donc ?

— Mais comment vous vous reproduisez ?

Je l’éclaircis sur le sujet de la danse des amours et il hoche la tête sans autre commentaire. Il me traîne ensuite sans un mot vers un autre bain à l’écart de l’autre. Moins spacieux, mais pourvu d’escaliers, son eau pure s’écoule en clapotis apaisants.

— Celui-ci est réservé à l’Ordre, mais Mellys et moi avons le droit de l’utiliser.

Sans autre préambule, il retire ses vêtements un à un jusqu’à arborer un dos constellé de micro gouttes déposées par l’humidité ambiante. Je contemple le corps humain masculin. Ruka m’en a enseigné les rudiments, mais je n’avais jamais eu l’occasion d’en étudier un. Ses fesses se colorent d’une teinte plus claire que le reste de son corps. Lentement, il me fait face. Attend ma réaction. Je reste de marbre, mais ne parviens pas à m’arracher à l’excroissance de chair qui pend entre ses jambes. Un sourire éclaire ses traits.

— Je suis ton premier homme nu, hein ?

— Oui.

— Alors, t’en penses quoi ? fanfaronne-t-il avec un clin d’œil avant de pénétrer dans le bassin.

Une chaleur – dont l’origine n’a rien à voir avec les eaux bouillonnantes – se répand à l’intérieur de mes joues. Boum. Encore ?

Il émerge sa tête du liquide. Ses cheveux mouillés, lissés, atteignent ses oreilles. Ses prunelles cherchent à m’aspirer. Je retiens un soupir. Quel sortilège cet homme m’a-t-il jeté ?

— Je te perturbe ?

— Moi… pas…

Il éclate de rire. Les parois le renvoient en écho jusqu’à mes oreilles. Je grimace. Il cesse aussitôt et m’observe.

— Syl, murmure-t-il. En ma compagnie, ton armure se fissure à mesure que les jours défilent. Le remarques-tu ?

Il attrape une sorte de petite pierre dans un bol et se frotte avec sans me quitter du regard. Une mousse légère parcourt sa peau, recouverte par endroit d’une toison brune.

— …

— Viens, approche un peu. J’vais pas te manger.

Je doute qu’il puisse s’y risquer, mais je préfère ne rien rétorquer, me contenant d’exécuter sa demande. Je m’agenouille près de lui, sur la roche humide.

— J’étais aveuglé par ma haine, poursuit-il, obnubilé par le combat, déchaîné par la violence. Je reconnais l’influence désastreuse de Sing. Mais tu m’as démontré, tout comme Jak et Mellys, une autre voie. Maintenant, j’entrevois ta beauté.

Il tend un bras vers mes cuisses, caresse mes mains rugueuses posées dessus. Mes lianes dansent autour de mon visage. Sans m’en rendre compte, j’ai activé leur bioluminescence.

— Tu ne parles plus ?

— Tu troubles moi. Pas savoir pourquoi.

Il porte les doigts à ses lèvres. Boum boum. Ma sève augmente sa vitesse.

— Dis-moi, connaissais-tu l’amour ou le désir chez toi ?

— Signification différente de vous. Compagnon pour la vie, liés par sphère.

Je touche le creux vide à mon front.

— Maintenant, fini. Syl seule.

Il ne répond pas. Sa main continue son exploration le long de mes hanches, ma poitrine. Il semble déçu ou surpris par sa dureté.

— J’aimerai apprendre à mieux te connaître. Ton visage n’est pas si différent du mien…

Il s’immerge un instant puis se soulève hors du bassin. Attrape un tissu et s’enroule dedans, puis m’aide à me relever. Il dépose un baiser furtif sur mes lèvres. Surprise, je recule d’un pas.

— Toi vouloir manger ma bouche ?

De nouveau, il s’esclaffe tout en s’habillant à la hâte.

— C’est un geste d’affection chez les humains. Ça veut dire que je t’apprécie. (Il marque courte pause). Beaucoup. Bon, je dois filer. Je vais dire aux porteuses que tu travailleras désormais avec elles. (Il m’envoie un signe de la main). À plus tard, Syl !

Il arrête sa marche devant la porte qui sépare les deux bassins.

— Si tu entres dans ma chambre, je ne te repousserai pas.

Puis sans un regard, il disparaît dans l’obscurité. Il semblerait que la distance entre nous est désormais abrogée. Dans un état second, je ressasse cet entretien imprévu de longues minutes jusqu’à ce que la faim me tiraille et que la vapeur des lieux m’oppresse. Mes pas me portent vers la première salle. Hagarde, je croise une femme – ou peut-être est-ce un homme ? – N’écoute pas un mot de ce qu’elle me raconte et me met au travail en obéissant aux instructions des humaines près de la source.

Je ne me reconnais plus.

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