CHAPITRE IX : PARTIE 2

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— C’est pas vrai ! Vous pouvez pas faire ça, bordel ! Pas vous !

Un bruit de verre brisé blesse mes canaux auditifs. Saleté d’ouïe trop sensible.

— Caleb, calme-toi !

Jak retient le jeune homme brun contre un mur. Il abandonne la lutte face à son supérieur, mais son regard en dit long sur sa pensée. Sur sa haine envers ma race.

— Mellys débloque complet, ces temps-ci ! poursuit-il en levant un bras vers moi. Elle, plus que quiconque, devrait la carboniser !

— Syl est différente. Elle nous aide à mieux les comprendre.

— Pff, arrête de croire son baratin ! Sing pense que c’est une bombe à retardement et j’adhère à sa conviction ! C’est forcément un piège du Roi des forêts !

— Aucun des leurs n’a fait preuve de pitié envers nous en des décennies. Aucun, sauf elle. Tu saisis ?

Caleb devient hystérique. Incontrôlable, il envoie son poing dans le mur. La gifle que lui donne Jak résonne dans la pièce. Muet, le garçon le dévisage, ébahi, les yeux grands ouverts.

— Je ne nie pas qu’il puisse s’agir d’un leurre, avoue le régent. Mais, utilise tes neurones ! Tu es destiné à me remplacer un jour alors commence dès maintenant à réfléchir pour le bien de notre communauté ! Si nous trouvons la raison pour laquelle Syl diverge des autres Sylvanos, nous pourrons sans doute envisager de les rendre tous comme elle. Cette guerre nous épuise jour après jour et on tient là peut-être la clé pour y mettre fin. Pense à l’avenir de nos gosses !

Caleb se dégage de l’étreinte de son chef d’un coup sec. Malgré son silence, son aura le trahit. C’est celle d’un guerrier désespéré. La rage lui permet de tenir bon. Il détourne les yeux.

— Notre peuple ne doit pas savoir qu’une Sylvanos demeure ici. Pas encore. Je leur révèlerai le moment venu. Je peux compter sur toi ?

Caleb serre la mâchoire et les poings.

— Je peux compter sur ta discrétion ? répète Jak, d’une voix plus forte.

— Ça va, lâche-moi. J’espère pour toi que t’as raison. Sinon, tu signes notre arrêt de mort à tous.

En partant, il heurte Mellys de plein fouet.

— Hey, fais gaffe, bouclettes !

— Cesse de m’appeler comme ça, putain ! jure-t-il.

Elle constate la situation tendue d’un simple coup d’œil. Moi, recroquevillée dans un coin, Jak le visage soucieux et son ami, excédé.

— Fous pas la merde, ok ? lui conseille-t-elle.

Caleb éclate de rire. Un rire amer.

— Vous avez pas besoin de moi pour ça, non ? Franchement, j’te reconnais plus, Mellys ! Toi, la guerrière prometteuse, toujours prête à tuer un de ces monstres.

— Syl est différente ! s’insurge la jeune fille.

Caleb arque un sourcil et secoue ses boucles brunes avant de braquer son regard sur Jak.

— Pas de doute, vous êtes bien pareils ! À croire que vous vous liguez contre nous !

— Caleb, soupire Jak. Maîtrise tes émotions…

— Ça va, papy ! Je m’arrache !

— Pa… papy ?

La figure du régent devient aussi rouge qu’une de ces baies rouges qui pullulent dans la région. Il lâche un nouveau soupir.

— Sing a vraiment une mauvaise influence sur lui. Pourquoi les jeunes ne respectent-ils jamais rien ni personne ?

— Parce qu’on s’ennuie grave ? tente Mellys en lui donnant un léger coup de coude dans le ventre.

— Hmpf, grogne-t-il. Reste avec Syl, le temps que je prépare l’Ancien à la recevoir.

— Euh, Irina refuse que…

— Je sais, l’interrompt-il. Tu ne peux pas lui en vouloir d’essayer de te protéger. Mais j’ai une certaine confiance en ton instinct. Syl mérite au moins qu’on s’intéresse à elle. Et depuis quand enfreindre un interdit te gêne-t-il ? lui lance-t-il avec un clin d’œil.

Après un dernier regard dans ma direction, Jak referme la porte de la salle du conseil de l’Ordre. Mellys s’installe à la grande table et m’invite à la rejoindre. Face à face, je ne parviens pas à affronter son jugement. La blessure qu’elle camoufle derrière un morceau de tissu me met mal à l’aise. Sa sauveuse se révèle en réalité être l’instigatrice des causes de son malheur. Je me questionne sur la pertinence de ma place ici, à ses côtés.

De longues secondes s’égrènent avant qu’elle ne finisse par m’adresser la parole.

— Pour ce matin, je… enfin…

Elle se tait. Mord ses lèvres. Penche la tête vers l’arrière et souffle bruyamment. Nul besoin de lire ses pensées, je devine ce qu’elle s’apprêtait à me dire.

— Pas grave. Moi comprendre.

Mellys reprend une position normale. Hoche la tête. Elle m’est reconnaissante de ne pas l’avoir laissée formuler ses excuses. J’ignore pour quelle raison elle semble détester avouer ses torts. Cerner cette espèce en voie d’extinction m’est laborieux. Leur logique m’échappe.

— Nous trouver solution un jour.

Elle opine avec un sourire éblouissant.

— Alors, qu’as-tu pensé de ceux qui nous gouvernent ?

L’Ordre. Je me remémore les différents membres.

— Le géant aux poils oranges…

— Sing, le roux. Notre meilleur guerrier.

— Oui. Lui vouloir tuer moi. Pas d’accord pour garder moi ici. Caleb, pareil.

— Mon frère adore Sing, c’est son modèle. Ils changeront d’avis, ne t’en fais pas.

Au vu de ce qu’ils dégagent, j’en doute, mais je me garde bien de lui préciser.

— Ruka, gentille. Douce. Amie, comme toi. Elle aider moi à apprendre sur vous.

— Un docteur au grand cœur, confirme Mellys. Elle apporte une touche de positivité à notre population. Sans elle, pour nous soigner, nous aimer, accoucher les femmes, nous disparaitrons et…

Elle cesse de parler, fronce les sourcils en m’observant. Renifle. Elle vient de me dévoiler une de leur faiblesse.

— Moi pas lui faire de mal, la rassuré-je.

Ses traits se détendent immédiatement. Je continue dans ma lancée.

— Harty, petit homme nerveux. Lui craindre moi.

Mellys s’esclaffe. Le bruit de son rire m’agresse moins les oreilles qu’au début. Mon corps s’habitue à son nouvel environnement.

— Le chauve ! Le plus vieux membre de l’Ordre avec Jak et notre tacticien pour chacune des batailles contre ton peuple. Doué. En revanche, tu ne le verras jamais hors de cette enceinte. Un vrai poltron ! Et Malow ?

— Pas d’avis. Lui discret.

— Étonnant pour un bavard comme lui ! Je suppose que tu l’impressionnais. C’est notre ingénieur ; il s’occupe de toutes nos installations énergétiques. Il répare et bricole. Bon, et Irina ?

— Elle douter de moi.

— Elle paraît stricte au premier abord, mais au fond elle s’inquiète toujours pour tout le monde. Elle supervise toutes nos denrées alimentaires, l’accès à l’eau, s’occupe du linge.

Je décide alors d’aborder la question qui me trotte dans l’esprit depuis plusieurs heures.

— Irina, mère pour toi ?

Mellys me fixe en acquiesçant.

— Elle m’a recueillie après la mort de mes parents et m’a élevée avec ses propres enfants. Caleb est son fils. Notre… son frère a été emporté par une maladie il y a cinq ans et son mari…

— Par mon peuple, poursuis-je.

— Oui, murmure-t-elle.

Une goutte d’eau perle le long de sa joue, aussitôt essuyé d’un mouvement de bras.

— Pourquoi eau couler des yeux ?

Mellys semble étonnée.

— Ce sont des larmes. Ça arrive lorsqu’une personne est triste. On dit alors qu’elle pleure. Les Sylvanos ne pleurent jamais ?

Je secoue la tête. Voilà une sensation que je n’aie pas encore manifestée, sans doute verrouillée derrière cette trappe à l’intérieur de mon esprit.

— Toi, triste.

— Parfois, avoue-t-elle en haussant les épaules. Nous ne nourrissons pas beaucoup d’espoirs quant à notre avenir. Si tu restes ici, tu t’apercevras vite que les gens de mon espèce sont soit démoralisés soit en colère. (Elle pose ses jambes sur la table). Ne te méprends pas, je déteste les Sylvanos. Mais pas toi. Tu m’intrigues et puis je te dois la vie.

J’abaisse mes yeux. Une légère bioluminescence resplendit le long de mes doigts. Mon cœur s’emballe. Mellys n’hésitera pas à me brûler vive si elle apprend la vérité… Quel mot pour décrire ce sentiment qui m’envahit ? À nouveau ces ténèbres, me voilà projetée devant la porte verrouillée. Je balaye cette vision et me redresse vite. Trop vite. Un vertige me surprend. Mes racines se déséquilibrent et je m’effondre au sol. Un cri retentit au loin.

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