Partition III : dissolution à l'unisson

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Dix années plus tard… 80 après CV.

C’est l’effervescence au pied de l’Arbre-Roi. Tous les Sylvanos se préparent à vivre la plus grande des célébrations : la naissance d’un des nôtres. Pour l’occasion, la forêt a revêtu ses plus beaux atours : des milliers de lucioles illuminent nos ramures dans la nuit étoilée, les cocons bioluminescents pulsent à l’unisson et des mélodies subtiles s’exhalent des feuilles des arbres. Ce soir est un soir rare chez nous. Rare et unique. Nous n’enfantons pas de la même manière que les humains. Pour cause, nous sommes asexués malgré une complémentarité indéniable mâle et femelle. Créer un nouveau-né Sylvanos demande une grande abnégation. L’ultime sacrifice que nous ne sommes pas tous prêts à accomplir, d’où le nombre encore faible de jeunes Sylvanos à ce jour. Notre vie quasiment immortelle grâce au Roi ne nécessite pas de concevoir souvent. Et pourtant, il nous pousse de plus en plus souvent à cette pratique…

Le couple à l’origine de cette célébration s’avance au centre de la ronde qui s’est formée. Ils sont heureux ; tous mes capteurs sensoriels et télépathiques le ressentent. Nous observons notre compagnon à la dérobade. Il nous serre contre lui, les yeux pétillants. Nos iris se croisent. Nous connaissons son vœu le plus cher : fusionner en connectant notre sphère frontale, danser en laissant les flux d’énergie nous enlacer jusqu’à nous dissoudre pour laisser la place à un nouvel être : jeune, fort et androgyne. Pur produit de l’esprit du Roi et de nos corps denses.

Nous repoussons doucement notre compagnon. Ce genre d’union m’effraie encore. Il le sait, alors il se détourne et contemple avec admiration le spectacle qui se joue devant tous. Si fiers, si beaux. Alors que mon âme n’est que froideur et distance. Nous nous éloignons sans bruit à travers la forêt. Personne ne remarque notre absence sauf notre binôme. Son inquiétude nous frappe en plein cœur un instant alors nous lui transmettons des pensées rassurantes et il se calme rapidement. Malgré tout, il craint le châtiment que le Roi des forêts nous infligerait si ma divergence venait à se savoir. Nous dissimulons tant bien que mal mes sentiments inconvenants loin des racines synaptiques qui nous permettent de nous relier à tous les Sylvanos.

Nous apprécions nous aventurer dans les contrées au-delà de notre territoire. Frôler l’un des derniers bastions humains à plusieurs kilomètres de l’Arbre-Roi. C’est notre secret le plus tabou, mais nous les observons parfois à leur insu. Leur terre est noire, morte, brûlée. Pour se protéger de nous, de la nature hostile. Au centre de ce champ circulaire stérile, un grand bâtiment de l’ancienne civilisation s’impose. Immuable. Des pans de roche taillée qui menacent de s’écrouler. Sur le toit, des bandes brillent sous le soleil, mais s’éteignent la nuit tombée et des colonnes étranges tournent avec le vent. Comme des lianes… Les Hommes entrent et ressortent régulièrement. Difficile de croire que tout leur peuple demeure à l’intérieur. Alors, nous les scrutons à la dérobée sans jamais intervenir dans leur vie. Depuis notre accident avec le feu du ciel, dix ans plus tôt, les programmations mortelles du Roi influencent de moins en moins nos actes même si cela tient plus d’une lutte intérieure que d’une réelle libération. Nous ne sommes pourtant pas dupes. L’Arbre-Roi doute de notre fidélité ; nous avons déjà reçus quelques avertissements voilés par télépathie dans notre cocon régénérateur. Il attend sans doute le faux-pas qui nous condamnera à l’exil.

Sur le chemin du retour, un hurlement retentit et son écho se propage le long de nos racines. Ces dernières accélèrent la cadence vers le lieu d’où a émané ce son strident. Une centaine de mètres plus loin, un feulement menaçant se dégage de l’arrière d’un énorme tronc d’arbre. Nous activons notre vision thermique en puisant dans l’énergie de nos sphères. Un jaguar accule un jeune humain contre l’arbre. Sa torche est sur le point de s’éteindre. Paniqué, il lui jette des cailloux et du bois sec qui ne font que provoquer davantage la fureur du félin affamé. Ses feulements deviennent grognements. Qu’il le dévore ! Cela fera un parasite de moins sur Terre. L’ordre insidieux paralyse nos mouvements et nous attendons avec impatience le moment où il se fera déchiqueter par la bête sauvage. Le garçon lève soudain la tête vers nous, son soulagement face à cette aide importune rapidement chassé par le désarroi de tomber sur une Sylvanos. Quel prédateur choisira-t-il pour écourter sa misérable vie ? La flammèche de la torche éclaire son visage. Un tissu sale et noir couvre son œil droit tandis que l’autre se plisse en nous fixant.

— Je ne… veux… pas… mourir, pas maintenant…pas avant de… nous murmure-t-il comme une supplication.

Ses genoux s’effondrent sous son poids. Nous ne bougeons toujours pas. Pourquoi le ferions-nous ? L’aider, c’est se condamner. Le jaguar se prépare à attaquer sa proie. Nous nous détournons pour reprendre notre route.

— Pardon, maman…

Nous nous figeons. Une réminiscence nous emporte : maman, qui va me protéger maintenant ?Soudain, nous ne contrôlons plus notre corps. Après un demi-tour sur nous-même, nos doigts boisés s’allongent à toute vitesse vers l’animal et s’enroulent autour de son cou, suspendant son saut en cours. Puis, nous le tirons vers nous de toutes nos forces et le catapultons au loin sur le sol. Assommé par le choc, il s’éloigne clopin-clopant dans la jungle. Nous reportons notre attention vers le garçon, hébété. Il nous fixe avec une stupéfaction grandissante tout en se remettant debout. Sous son débardeur détrempé, des formes se dessinent. Ses cheveux courts et sales nous ont induites en erreur dans l’obscurité. Il s’agit d’une femelle. Elle nous scrute prudemment de son œil unique, à l’affut du moindre geste belliqueux de notre part. Quand elle constate que nous ne lui voulons aucun mal, elle soupire en fronçant les sourcils.

— Pourquoi m’as-tu sauvée ?

Que pouvons-nous répondre à cela ? Nous n’en connaissons pas nous-même la raison. Ou bien peut-être que si… Au fond de nous se dissimulent des mémoires secrètes qui remontent parfois à la surface et menacent notre intégrité de Sylvanos. À cause d’une simple humaine en voie d’extinction ! Une vague de chaleur brute se déclenche dans notre sève, nos muscles végétaux se tendent, notre visage se crispe. ANNIHILER. Notre bouche se tord en une grimace et, enfin, des mots en sortent.

— Toi partir ! Ou nous… tuer… toi !

Le hululement qui nous sert de voix effraye la jeune fille. Elle nous regarde une dernière fois, à la fois méfiante et intriguée par notre comportement, puis s’élance entre les arbres. Nos mains s’enfoncent profondément dans la terre humide et nous lâchons un long cri guttural. La tension retombe peu à peu, nous laissant exténuées.

Note : je ferai un travail descriptif de ce peuple une fois le premier jet entièrement terminé...

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