Partition II: Requiem pour sève et sang

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Calcinée. La terre fume toujours alors que le ciel est en proie aux pleurs. Le vent emporte au loin l’odeur des chairs brûlées des deux camps et le sol absorbe le sang des Hommes. La bataille fait rage entre les Sylvanos et les derniers survivants d’une humanité pourtant révolue. Requiem pour sang et sève, cette dissonance viscérale menace notre avenir sur cette planète devenue émeraude. Notre peuple ressemble à une seule et même entité, assujettie au Roi, l’Arbre-Monde. Nos mouvements se coordonnent avec une parfaite synchronie. Impossible pour l’ennemi de déjouer nos stratégies élaborées, au timing parfait. En revanche, nous ne comprenons absolument pas les leurs : désordre, pulsions, actions irréfléchies semblent les diriger. Ce qui, parfois, nous décontenance au point qu’ils puissent ôter la vie de certains sylvanos. Mais, en ce jour, la victoire penche largement de notre côté. Nous accusons des pertes minimes. Quant à eux… aucun survivant. Pourtant, d’autres viendront. Ils reviennent toujours, même si leur nombre diminue sans cesse. Il ne restera bientôt rien de ce peuple honni, sinon un peu de poussière nourrissant la terre.

La pluie cesse bientôt comme pour sonner la fin du massacre. Alors que nous nous apprêtons à rejoindre notre sanctuaire, des silhouettes attirent notre attention quelques mètres plus loin.Tuer. La féroce loi de Sa voix s’immisce dans notre esprit. Cette programmation s’active à la vue du moindre humain et prend le contrôle de notre corps. Un signe de tête vers nos camarades et nous nous élançons à la poursuite des rescapés. Ils ne repartiront pas vivants d’ici. Nos racines décollent hors du sol, donnant l’impression que nous lévitons. Nos lianes lavande scintillantes se déploient autour de notre visage en ondulations sauvages, tels des serpents, afin de capter le plus de fréquences sonores possibles. Les Sylvanos jouissent d’une ouïe redoutable. Notre sphère située sur notre front, ainsi que notre chevelure végétale bioluminescente recouverte de capteurs sensoriels nous conférent la capacité d’entendre des choses quasi inaudibles pour une oreille humaine. Le chant de chaque être vivant gravite autour de lui tel un flux sonore coloré qui nous révèle ses secrets.

Derrière des fourrés, se tiennent un petit groupe d’humains acculé en contrebas d’une falaise. Trois. Un mâle adulte et sa femelle serrent contre eux leur rejeton femelle. Petite et aux cheveux couleur du soleil, de l’eau ruisselle sur ses joues alors que sa mère implore notre clémence. Détruire. Tuer. Aucune pitié. Un sourire mauvais étire le trou béant qui nous sert de bouche. Un de nos doigts en rameaux s’allonge d’un seul coup et vise le crâne du mâle. Il n’a pas le temps de l'éviter.Un craquement sinistre retentit et notre branchage traverse une substance molle et gluante avant de percer l’arrière de sa boîte crânienne. L’écho se répercute sur les rochers, figeant d’horreur les deux humaines. Une fois mon arme corporelle revenue à sa taille normale, nous poussons au paroxysme l’humiliation en léchant la substance visqueuse imprégnée dessus.

L’enfant se met soudain à hurler. Quel son insupportable ! Agressées par cette voix suraiguë, nous lançons une seconde attaque vers la fillette. Sans un bruit, la femelle adulte s’érige en rempart devant elle, bras écartés. Sa poitrine soubresaute alors qu’une tâche sombre s’étend sur le tissu humide de sa tenue. Le sacrifice. Un mot que nous connaissons, mais que nous n’accomplirions que pour un seul être : notre Père. Nous retirons notre doigt meurtrier d’un coup sec. L’humaine s’effondre, dévoilant la petite, choquée et démunie, un œil blessépar notre assaut.

— Maman ! sanglote-t-elle.

La main de la femelle se soulève avec lenteur et essuie le sang qui souille la joue de son enfant.

— Fuis… fuis !

Mais la fillette ne s’enfuit pas. Elle repose la main inerte de sa mère, saisit une grosse branche et nous fixe avec un regard menaçant. Tant de haine dans ses iris bleues, tant de désespoir et pourtant une telle volonté de vivre… Croit-elle nous effrayer avec ce bout de bois ? Nous ne craignons rien, excepté le feu. Nous avançons vers elle dans le but d’en finir quand, sans aucun préambule, un élancement douloureux se manifeste sur notre cicatrice et une vision nous déconnecte de la réalité. Pas encore ! Pas maintenant !

Une femme aux yeux d’un vert profond natte mes longs cheveux bruns avec douceur.

— Maman, je vais mourir moi aussi, comme tous les autres ?

— Je te protègerai, c’est mon rôle. Toi, vis du mieux que tu peux. Ne pense pas à ça.

Ellipse.

La femme – ma mère – est étendue sur le sol, des marques violacées autour de sa gorge. Ses iris vertes, voilées par la mort, ne me contempleront jamais plus. Elle m’a abandonnée dans ce monde désolé, fauchée par cette plante aux fleurs blanches qu’elle aimait tant.

— Mamaaaaan ! Tu n’as pas le droit de mourir ! Qui va me protéger maintenant ?

Un rugissement accompagné d’un choc nous tire de cette transe involontaire. La petite homo sapien nous frappe à plusieurs reprises avec son arme de fortune.

— Meurs, meurs ! Sale Marcheuse !

Nous soulevons d’une main son petit corps agité et comprimons son petit cou gracile. TUER. Tuer. Tuer.Tuer. L’injonction habituelle diminue tant en intensité que notre envie irrépressible d’étrangler cet être disparait. Nous l’observons à présent avec curiosité. Cette eau qui jaillit de ses yeux, qu’est-ce donc ? Tout à coup, au loin, retentit une note grave et puissante. Les humains rappellent les siens. Bien nombreux ceux qui ne répondront pas à cet appel. Nous lâchons la fille et la regardons courir hors de nos frontières. Ceci a été mon premier geste de pitié envers cette race révolue. Mais aussitôt l’acte perpétré, l’appel des miens devient plus fort et, sans plus de pensées pour cette famille brisée, je pars les rejoindre.

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