Chapitre 12

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 Soulet est à la bourre. Mais c’est la valetaille qui éponge l’agacement. Un de ses hommes à tout faire nous bobarde comme quoi le grand ponte de la tartiflette-sous-vide ne va pas tarder, que son arrivée est imminente, qu’il nous est infiniment reconnaissant pour notre patience et d’autres tartines du genre. La mienne de patience, comme le solde de ton livret A, a des limites vite atteintes. En guise d’acompte et pour tromper l’ennui, je me paie un état des lieux. On est une cinquantaine à poireauter dans l’immense salle de séjour où aura lieu le concours. Quarante cons par paires, fourrés derrière des établis et des tabliers, qui montent en température à mesure que s’ébat la grande aiguille de l’horloge. Ça se trémousse et ça transpire du fion. Ils ont tous une gueule de saucier prêt à déborder, moi y compris. Rajoute à cette brigade une maigre équipe de radio, qui se trimballe tout à trac les perches, les micros, les caleçons sales du stagiaire qui assiste ahuri à son premier enregistrement, l’ego du présentateur, une table dépliante, des chaises pliantes, des câbles qui forment au sol une nuée de serpents noirs et t’auras une idée de l’agitation qui règne dans le livingue-roume.

 Dehors, preuve qu’on s’est pas fourré le salsifi dans l’œil, est postée devant les portes-fenêtres qui opèrent la jonction entre air libre et air confiné la milice privée de Soulet qui veille au grain. Leurs compagnons, qui s’ils sont allemands n’en parlent pas la langue puisque ce sont des dogues, sont occupés à se servir du vent comme chewing-gum ; la faute à leur muselière qui leur interdit provisoirement l’accès à de la becquetance plus solide. Pour autant, malgré leurs oreilles tombantes et leur mine prostrée, on sent à la façon dont ils se décrochent les mâchoires qu’ils préfèreraient se payer du mollet surchoix ! Wah là là ! La vache ! Vous devriez entendre ça ! « Y z’ont pas l’air commodes » constate avec à propos Faustine. À la façon dont ils s’agitent et grognent ; leurs propres maîtres (ils se sont douchés juste avant) ont du mal à les tenir. Décidément, mes petits lions, ça va pas être de la reine de Saba !

 Loin d’être inquiétés par les aboiements, tous les participants s’encaustiquent le manche de leur poêle pour la cent-douzième fois et découpent des tranches d’air avec leur schlass à viande en pestant contre le retard du maître de séance. C’est dangereux de pester en public : faut prendre garde à pas y aller trop fort pour que les autres ne se doutent pas de l’origine. Le temps commence à se faire longuet. Nos potes des ondes courtes brodent tellement qu’à Bayeux ils s’inquiètent d’une possible concurrence. Ils rafistolent comme ils peuvent les trous dans l’emploi du temps en faisant des élongations sur la météo qu’il fait à l’intérieur, sur le plus optimal mode de cuisson du petit salé aux lentilles, et des analyses comparatives entre les différents types de boulettes de mie de pain. La Mouflette aussi a des fourmis dans les doigts, elle a en horreur ces phases où l’indigence de l’horloge ne pointe de son aiguille que le néant qu’elle tente de percer. D’un coup elle se lève et se dirige vers une porte en bois massif sur notre gauche, donnant d’un côté sur notre pièce et de l’autre côté sur une autre pièce, ce qui est pour autant que je sache la raison d’hêtre d’une porte. Devant celle-ci se tient le plan de travail de deux compétiteurs, deux énormes moustachus qui, pour patienter, se sont faits cuire sur le pouce une saucisse de trois kilos qu’ils engloutissent en s’accompagnant d’ail qu’ils croquent à même la gousse. C’est à peine s’ils détournent le regard, tant le banquet les happe.

-  Qu’est ce qu’y te prend Faustine ? je la retiens. Tu débloques mômette ? Reviens, ça va commencer d’un instant à l’autre…

-  J’y tiens plus ! Croûtonne-ici si tu veux, moi j’m’en vas en maraude quelques minutes repérer les lieux. Y fait trop immobile par z’ici.

-  Et si ça démarre pendant que tu fais ton tour du monde ?

-  Dis-leur z-y simplement que j’m’en eus été aux cagoinsses parce que le stress qui me tracassait l’intestin.

 Faustine, on lui foutrait Kennedy à côté qu’il serait moins buté qu’elle. Quand elle a une chose en tête faut absolument qu’elle aille au bout de la carmagnole. Aussi embrassé-je le parti (et non son féminin pluriel) de la laisser déambuler dans la cathédrale du veau-en-gelée.

-  Vas-y Limace, j’assure l’intérim.

-  Te fous pas la rate au couille-bout-rond, me rassure-t-elle. Espère bien que dès que ça s’agite je débarque illico pour t’aider à faire la sauce.

 Sur ces vénérables promesses, l’Agile se faufile entre les deux poussahs, dont les lèvres graisseuses luisent autant que le crâne d’un bonze par grand soleil, et s’engouffre par la porte dérobée.

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