Scéne 04 : Espionnage aux sanitaires

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  Il les observait caché dans le noir derrière un pas de porte. Le garçon n’osait pas entrer dans la pièce. Trop de responsabilités allaient s’abattre sur ses épaules quand il ferait ce premier pas. Le moment était important et il allait devoir attendre le moment propice. Celui ou il pourrait asseoir son autorité. 

        Décidément les dossiers personnels de l’Agence B sont des modèles d’exactitude. Les individus que j’ai devant moi ressemblent totalement à leur descriptions. 

    Les premiers dossiers rédigés par William MacGally à la création de l’agence ont imposé un modèle d’excellence qui a été suivis ensuite à la lettre. Après tout l’homme qui avait réussi à reconnaître la vraie nature de John J Christ était, sans aucun doute, le mieux placé pour s'acquitter de cette tâche. 

    Mais après “la grande évasion de 1987” et la “fuite spatio-temporelle de 1992”, face à la multiplications des incidents de toute sorte, l’agence B c’est mise à recruter tout individus possédant plus ou moins des compétences extraordinaires. Devant le surcroît de travail généré par cet apport massif de sang neuf, MacGally avait, avec regret, abandonné sa fonction de responsable du personnel qui avait été déléguée à une équipe dédiée à cette tâche. 

    Ainsi étaient nées les "Ressources Extra-Humaines". C’est en consultant leurs archives, que le garçon avait trouvé ceux qu’il observe maintenant. 


    Même s'ils sont relativement connus au sein de l’agence, on ne peut pas dire qu’ils ont une bonne réputation. C’est le groupe des parias. Ceux que l’on ne choisit jamais pour intégrer son équipe, même si elle a sérieusement besoin de renforts. On ne peut pas leur faire confiance pour s'acquitter d'une mission, même facile. Les rares fois ou l’on les a envoyés sur le terrain pour évaluer leur valeur, ils ont fait des bourdes incommensurables. 

    Devant l’ampleur de leur contre performance individuelles l’un des responsable des Ressources Extra-Humaines avait eu l’idée étrange de les rassembler pour voir s'ils pouvaient annuler leur tendance mutuelle à créer des catastrophes. Monumentale erreur ! Ce projet devait se révéler encore plus apocalyptique que prévu, multipliant leur capacité de nuisance au delà du concevable. 

    Leur équipe potentielle est donc restée à l’état de projet. Un de ces projets maudits que tout le monde s’accorde à vouloir faire tomber dans l’oubli. 

    Il est impossible de les chasser de l’agence. Il est hors de question, pour garantir la quiétude du monde connu de relacher de tels zigotos dans la nature. On les a donc cantonné dans leur quartier en attendant de trouver une autre solution. 

    Mais même dans ce cas ils se sont révélés ingérables. Leur disputes sont aussi fréquentes que dangereuses pour ceux qui y assistent. Lors du pôt de départ de Michel, l’un d’eux a fait exploser le bol de punch. Arguant qu’il faut combattre l’alcoolisme parce qu’il pousse les hommes vers le péché et les détournent de la foi chrétienne. Pour faire plaisir à une créature minuscule qu’ils auraient prétendument rencontrés au détour d’un couloir, ils avaient décidé de transformer un étage du casernement en aire de jeu aquatique avec toboggans et jets d’eau. Une nuit, pour chasser un moustique, l’un deux a même pulvérisé le mur d’une chambre en essayant de l’écraser. 

    On les a donc chassés du confortable bâtiment principal pour les reléguer aux “Sanitaires”. Un bâtiment de deux étages situé au fond de la cours près du mur d’enceinte. Un hangar datant du siècle dernier dédié à l'hygiène des troupes stationnées là à l’époque. C’est là au milieu des nombreux carreaux et accessoires en faïence blanche qui composent le décor, que ces parias se sont enfin fait oublier.

    Si John J Christ et les membres fondateurs de l’Agence, représentent l’équipe “A”, les individus que le garçon est en train d’observer, en sont assurément le point le plus éloigné. C’est pour cette raison qu’ils sont désignés par la dernière lettre de l'alphabet. Ou peut-être aussi, parce c’est la première lettre du mot zéro... 

    Leur intégration comme groupe étant restée inachevée, ceux qui ont l’infortune de se rappeler de leur existence les appellent : “Projet Z”. 


    C’est de ce groupe de “bras cassés”, que je dois faire une équipe, pense le garçon hésitant toujours à rentrer dans la pièce.

    Pourtant, chacune des personnalité composant cet assemblage disparate possède des habilités et un potentiel qui pourraient faire des merveilles en mission. 

    Par exemple cet homme qui porte une robe de prêtre avec son visage buriné couvert de cicatrice, ses cheveux blanc en bataille. Ses sourcils broussailleux, les poils qui sortent de ses oreilles et ses yeux bleus délavés sont le signe d’un certain âge. Et pourtant, il est bien plus vieux qu’il n’y paraît. 

    C’est un ancien inquisiteur espagnol né en 1497 qui doit sa longévité à une malédiction prononcée contre lui en 1536. Ezequiel Delgado manie aussi bien l’énorme 357 Magnum qui pend sous son aisselle que la croix accrochée à sa ceinture de corde. Celle-ci est en fait un artefact divin appelé “Illumination de l’impie” qui lui permet de pratiquer des exorcismes. Le missel qui ne le quitte jamais est rempli d’incantations faisant appel à des formes de magies puissantes et oubliées. Malgré sa jambe de bois, ce prêtre combat depuis des siècles, à sa manière, les forces du chaos. Certes il a tendance à voir le mal partout et se révèle souvent incontrôlable. Mais il a chassé à lui seul plus de démons et autres créatures maléfiques que n’importe qui sur terre. 

    La jeune femme à ses côtés est elle aussi remarquable. Pas seulement par la beauté envoûtante et érotique que lui confèrent ses immenses yeux bleu surplombant un corps jeune et athlétique aux mensurations parfaites. Ni parce qu’elle porte des vêtements sombres et anciens de style gothique. Tout compte fait, en 1999,  ces habits aristocratiques de l’époque victorienne ne sont pas passés de mode auprès des fans de Marylin Manson ou Anne Rice. 

    Ce qui rend Elvirah Heartgraves véritablement exceptionnelle, c’est qu’elle est à la fois un vampire et une succube. Il a fallu la conjonction de nombreux événement impossibles à reproduire pour permettre la conception et ensuite sa naissance de cette créature improbable. De son héritage vampirique elle a gardé des canines aiguisées mais n’a pas besoin de boire du sang humain. Pour s’emparer de la force vitale de ses victimes il lui suffit de les toucher. 

    De l’autre côté de la pièce, assis sur le canapé, devant le téléviseur qui laisse s’échapper les notes du “Te Deum” de Marc-Antoine Charpentier*, se tient un personnage tout droit sorti de la bible. Avec sa robe de bure au tissage grossier, sa barbe bien taillée, son visage au regard doux, surplombé par des cheveux noirs aux boucles longues, il ressemble à un portrait idéalisé de Jésus de Nazareth. 

    Ceux qui connaissent John J Christ savent combien ces dessins, que l’on trouve dans les magazines catholiques, sont éloignés de la vérité. Et là encore, celui qui reconnaîtrait Jésus ferait une belle erreur. Car si cet homme est bel et bien, un personnage biblique, il s'agit en fait de Judas Iscariote.

    Se rend il compte de ce qu’il a fait ? Des conséquences de sa trahison ?

    Même si les événements qui risquent de se produire sont la conséquence d’actions effectuées il y a bien des années, le Garçon sait que les erreurs les plus terribles n’ont pas encore été commises. S’il a décidé de venir ici, c’est justement pour essayer d'empêcher l'inéluctable suite d’événement qui devrait conduire l’humanité vers son déclin. 

    Est-il vraiment possible de contrer le phénomène d'élasticité ? Est-ce que je ne fais pas un pari impossible à gagner ? 

    L’esprit du Garçon tourne en boucle comme s'il était qu’un simple humain. Il déteste se retrouver ainsi à suivre les contingences d’un héritage de pensées influencées par les doutes et les émotions. C’est ce qui fait de lui un être vivant, mais, ces tergiversations heuristiques lui font perdre son temps. Elles émoussent la mécanique de précision de son intellect. La logique, la raison, c’est ce qu’il doit rechercher pour contrer cette inacceptable dérive émotionnelle.

    Même si Judas a déjà trahi, va t’il recommencer ? Il pensait bien faire et pour l’instant il a raison. N’est-il pas trop tôt pour condamner quelqu’un qui pour l’instant est potentiellement innocent ? 

    C’est sur cette dernière pensée qu’il referme son raisonnement. Même si, intrinsèquement c’est encore un doute, la logique de pousse à retarder toute forme de pensée parasite jusqu’au moment opportun. 

    Et puis j’ai un autre problème à régler... 

    Cet autre problème se tient debout contre un mur derrière le canapé. Sa forme n’est pas très discernable, éclairée par la lumière tremblotante du tube cathodique qui lui fait face. Mais sa stature ne passe pas inaperçue. Sa tête touche presque le plafond de la pièce situé à plus de trois mètres du sol. Sa silhouette est enveloppée dans une cape avec capuche de couleur kaki qui ressemble plus à une bâche qu'à une véritable pièce de vêtement. La largeur de cette couverture n’arrive pas à cacher la nature mécanique du robot vaguement humanoïde qui la porte. 

    Deux diodes lumineuses de couleurs rouges brillent sous l’ombre de la capuche qui masque son visage et lui font une sorte de regard démoniaque. De discrets jets de vapeur s’échappent des jointures de ses membres et de derrière son cou. C’est un assemblage mécanique créé pour un conflit qui n’a pas encore été déclaré. Une machine destiné au combat liée à l’âme humaine d’un héros défunt. Maxblaast est un Golem de guerre !    

    Heureusement pour le garçon, en arrivant dans cette époque, cette machine a perdu ses capacités mémorielles. Si ce n’était pas le cas, la mission du garçon aurait été impossible à mener. Cette bonne fortune lui donne l'opportunité de pouvoir agir, mais, Il va falloir faire attention au moment où sa chance va tourner. Le jour où ce golem se rappellera de sa mission, celle du garçon sera annulée et il devra disparaître au plus vite.


    Les personnages qui vont composer ce drame sont maintenant en place et le Garçon sait qu’il va devoir quitter le confort des coulisses pour entrer à son tour dans la lumière. Malgré sa volonté de ne pas céder aux émotions, ce n’est pas sans un certain trac qu’il se prépare à endosser son rôle...

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