Espoir

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Seul au milieu des collines bleues qui se dessinaient et s’effaçaient au gré du vent, leur bateau sillonnait la plaine d’eau vers sa destination. Installée dans son carré, Naioji laissait son regard se perdre dans l’immensité de la mer, à la recherche du calme que les deux Eraiens lui refusaient.

« Je n’y arrive pas ! lança Vallia à Ashron.

— Concentres-toi à la fin ! Ça va naturellement venir, tempera Ashron en matérialisant une flamme azurée dans sa main. Fixe la. »

Après avoir lancé un regard agacé à son compagnon, l’Eraienne suivit son conseil et scruta la flamme dansante.

« Imagine l’origine de cette Via, imagine qu’elle provient d’un long court d’eau de source invisible.

— Je ne peux pas m’empêcher d’imaginer cette source.

— Ne la recherche pas, tu ne trouveras rien. Ce qui nous intéresse, c’est ce qu’il y a après »

L’exercice imposé par Ashron s’éternisait depuis plusieurs heures. Malgré quelques progrès, la vision du cycle n’apparaissait pas à Vallia, qui ne pouvait s’empêcher de manifester sa frustration par des reproches.

« J’en ai marre ! pesta l’Eraienne. Je ne suis pas comme toi !

— Tu n’es pas concentrée, voilà tout. Je le vois à la manière dont tu fixes la flamme. Tu es bien trop impatiente.

— Et comment as-tu fait toi ?

— La peur, répondit Ashron en baissant le regard. Tu sais, la première fois que je l’ai vu, il m’a tellement éblouis que j’en ai perdu la raison.

— Adony, répondit Vallia en prenant la main d’Ashron. Je me souviens. Et pourtant, tu as réussi. Tes yeux ont progressé jusqu’à le voir pour t’adapter. Mais moi je ne l’ai jamais vu.

— Tu te trompes, regarde ma main, rétorqua Ashron en rallumant la flamme azurée. Ce que tu vois est une matérialisation du cycle, l’un de ses aboutissements. »

Ashron se leva en tendant la main vers Vallia. Cette dernière resta assise, les yeux intensément accroché à la danse du feu naissant. Puis elle les ferma, ne cherchant plus à voir quelque chose d’invisible, mais à l’imaginer. Le cycle, l’écoulement de la vie, l’origine de toute chose sur Rae prit forme dans son esprit. Un enchevêtrement infini de courts d’eau se forma, se relia et s’écoula dans son esprit.

Puis elle ouvrit les yeux, vierges de pupille et de sclérotique, ne laissant place qu’à des iris intensément azurées. Face à elle, plus rien n’était comme avant. Les formes l’entourant ne semblaient que souvenir, seuls les écoulements du cycle étaient limpides, sans ambiguïtés. Soudain, son esprit lui fit mal, et la força à fuir ce spectacle en refermant ses paupières.

« Tu l’as vu, n’est-ce pas ? demanda Ashron en la serrant dans ses bras.

— Je crois oui. C’est tellement beau, tellement effrayant, balbutia l’Eraienne en grelotant.

— Je sais »

Un long instant fut nécessaire à Vallia pour se remettre. Son esprit bien entrainé lui permit de ne pas sombrer, mais quelques séquelles restaient perceptibles. Elle due rester un long moment les yeux fermés. Ses iris devaient se remettre d’avoir vus l’origine de la vie.

Ashron l’avait laissé se reposer pour rejoindre Naioji qui fixait toujours la mer.

« Qu’est-ce que tu regardes? lui demanda-t-il en la voyant soucieuse.

— Rien de spécial, répondit-elle en détournant le regard. Alors, elle a réussi?

— Oui. Souhaiterais-tu en faire de même ?

— C’est beaucoup trop dangereux. Contrairement à vous qui ne comprenait pas avec quoi vous jouer, je ne veux pas perdre la raison.

— Et comment pourrions-nous éviter ça ?

— Je ne sais pas.

—Alors cherche. Car ce pouvoir sera nécessaire pour sauver Rae.

— Est-ce qu’il va arriver la même chose à ma planète ? La même chose que sur Era ?»

Ashron resta muet, ne préférant pas en ajouter à la peur que ressentait déjà Naioji.

« Va-t-on aussi subir un massacre ? Comme vous ?

— je ne sais pas.

— Et que peut-on faire pour éviter ça ?

— Je ne sais pas.

— Au début, j’étais tellement contente d’en apprendre plus sur ta planète et la Via. Mais maintenant, je me rends compte que j’aurais préféré ne pas savoir qui est Skyva. Je me disais qu’avec vous, tout irait bien. Mais il est peut-être déjà trop tard.

— Il n’est jamais trop tard. Ton père et Asianus vont fédérer les Raeien face à la Communauté.

— Mais est-ce que cela suffira ?

— Je ne sais pas.

— Tu m’as l’air de ne pas savoir grand-chose, dit Naioji en esquissant tout de même un timide sourire.

— Garde espoir. Sans ça, ton esprit sombrera.

— Facile çà dire.

— Facile ? dit Ashron en se redressant. Je n’ai pas toujours été ainsi tu sais. Avant, j’étais dans l’autre camp, dans la Communauté. »

Les derniers morts d’Ashron firent instinctivement reculer Naioji. L’espace d’un instant, son esprit vit Axem en face d’elle. Mais il s’estompa rapidement et le sourire d’Ashron le remplaça.

« J’étais Executor Prima de la Communauté de Skyva. Je fus le premier Eraien à être possédé. Abandonnant tout espoir à ses désirs, je suivis sa volonté sans sourciller. La grande Exécution fut ma première œuvre : La prise du pouvoir des Axems sur Era.

— C’est horrible.

— J’étais conscient et obligé. Le contrôle de Skyva s’exerçait sur mon esprit affaiblit par la peur. Garder espoir en toute circonstance est une émotion que je n’ai pas su avoir.

— Mais que s’est-il passé alors ? Comment as-tu fait pour te débarrasser d’elle ?

— Guidomex et Adony, répondit Ashron avec fierté. Un jour, le choix m’a été donné de les tuer ou de les sauver. J’ai alors choisi.

— Qui sont-ils ? demanda Naioji absorbée par le récit de l’Eraien.

— L’un d’entre eux est retenu sur Raylia. L’autre n’est plus là, plus dans l’Ervilia. Suite à ma décision, j’ai fui avant de me rebeller contre la Communauté.

— Et après ?

— J’ai erré pendant longtemps, cherchant à récupérer ce que j’avais perdu.

— Et tu l’as retrouvé ?

— Oui et non, répondit l’Eraien la voix grave. J’ai perdu et gagné beaucoup. »

Relevant le regard, Ashron perçut la tristesse des yeux de Naioji. Une profonde gentillesse émanait de la Raeienne. Sans qu’il ne puisse le maitriser, sa bienveillance toucha son esprit, au point qu’une larme ne s’échappe d’un œil.

« Ne t’en fais pas, reprit-il pour l’apaiser. Chacun d’entre nous a perdu beaucoup. Et nous perdrons encore, c’est certain. Mais nous devons aller de l’avant, par respect pour ceux qui ne peuvent pas ou ne sont plus »

Les derniers mots d’Ashron pesaient lourds et chaque syllabe appuyait sur les frêles épaules de Naioji. Seule le sentiment qu’il cherchait à lui transmettre l’aida à ne pas s’écrouler, à ne pas sombrer dans l’angoisse.

L’espoir.

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