Une terrible attaque ébranla, peu de temps après, la royauté. Bien entendu, il s'agissait des renards de basse-terre. Hyeonmu, haineux, m'expliqua qu'il ne les supportait pas à cause des horreurs qu'ils avaient fait subir à sa race, sur Terre. Je ne compris pas bien. Sa race ? Jujak, mi-figue mi-raisin, m'informa : les renards adoraient la tortue bouillie dans sa carapace, en eau de mer, accompagnée d'algues vertes et de divers crustacés. Cette soupe était tout bonnement délicieuse. Je déglutis, ne sachant comment réagir. Toujours était-il que les soldats de Munshin eurent trop à faire pour remarquer l'infiltration de trois anciens lieutenants à la nuit tombée. Seul Hyeonmu resta avec moi, pour une raison aisément compréhensible.

 Durant tout un soir, puis une nuit et enfin une aube douloureuse, le temps me parut un caramel séchant peu à peu : avaient-ils été attrapés ? Étaient-ils morts ? Allions-nous voir arriver chez nous l'empereur en personne, ivre de vengeance ? La tortue noire tâchait de me rassurer : il pouvait ressentir si ses amis étaient en danger.

 « Tu devrais te reposer, ils ne vont pas tarder à revenir.

 - Non, si je dors maintenant, je ne pourrais plus me réveiller. » J'avais des cernes épouvantables et une voix d'outre-tombe. La nuit blanche et l'angoisse, très peu pour moi.
 En pleine nuit, aux résidences de Sang-Je, Baji venait de rencontrer secrètement Baek ho. Abasourdis, les amis du tigre blanc le regardait discuter de l'attaque comme si tout avait été préparé.

 « Vous... Tu... es l'instigateur de... (Jujak prit une grande inspiration, profondément choqué.) Heureusement que la tortue n'est pas venue... oh oui, je comprends mieux maintenant. »

 Chyeong-ryong était moins conciliant :

 « Tu as fomenté avec l'ennemi ?? Mais ils vont nous déchoir, nous trahir ! Tu sais leur caractère, ce sont des voleurs, d'impitoyables mercenaires !

 - Chhht ! Tais-toi, dragon ! lui jeta dans un murmure impérieux le concerné. Ayez plus de manières envers l'impératrice ! »

 Cette dernière secoua la tête :

 « Ce n'est pas important. Vite, suivez-moi ! Sang-Je est retourné à sa chambre, je vais lui administrer un somnifère dans un thé, tu pourras enfin le maudire en toute tranquillité, Baek ho... » Elle eut un doux sourire, un peu tiré, car elle était clairement épuisé. Sans un mot, les trois la suivirent. Cachés près des fenêtres – les gardes ayant été attirés ailleurs – les anciens lieutenants pouvaient observer, à travers le voile des fenêtres, l'impératrice s'approcher de son mari. Ce dernier faisait les cent pas, l'arme au flanc, l'air furieux et inquiet.

 « Je dois aller les rejoindre. Cette attaque est bien menée, ah oui ! Il y a un espion parmi nous, c'est certain, et nous devons le trouver...

 - Empereur, je vous en prie, calmez-vous, si vous sortez, vous pourriez tomber dans un traquenard. N'oubliez pas, ici, vous êtres protégés, seul vous et moi pouvons accéder à cette pièce. »

 Il soupira profondément et accepta la tasse chaude proposée, la buvant d'une seule traite.

 « Merci, ma chère, vous au moins serez toujours de mon côté... » À peine avait-il terminé sa phrase qu'il s'effondrait. Aussitôt, Baji rompit le sort et les trois divinités purent entrer. Ils se positionnèrent autour du corps.

 « Par la force qui m'est accordée, je te déchois, empereur de Munshin, je te déchois et t'envoie dans un corps mortel pour l'éternité ! Sous mon pouvoir et ma volonté et sous celles de mes amis, tu ne te rappelleras plus de rien et disparaîtras de notre monde. Va et laisse libre ta place ! »

 Le corps, lentement, se consuma ; une lumière tournoya brièvement au-dessus puis s'évanouit. Un lourd silence suivit l'acte et chacun s'agenouilla. Le tigre blanc leva un bras puis le rabaissa sur sa poitrine : chaque être vivant du royaume de l'au-delà prenait connaissance du changement d'empereur ; les légendes du royaume des mortels furent changées et Sang-Je s'effaça, laissant le nom de Baek ho apparaître. Les mémoires se modifièrent, les statues également. La malédiction s'effaça.
 « Oh ! » Hyeonmu bondit, m'éveillant d'un demi-sommeil pâteux.

 « Qu'esss... koi ?

 - Ils... ils ont réussi ! Baek ho est notre empereur à présent ! La malédiction est rompue ! »

 Ma poitrine contint mal l'assaut d'un palpitant paniqué. Joie ou chagrin ? Je n'arrivais pas à différencier. Une sorte de gouffre entre lui et moi venait de s'installer, irréversiblement. Jamais il ne me choisirait comme impératrice à ses côtés ! Je n'en avais pas la puissance, la volonté, le courage...

 « Et... et la femme de Sang-Je ? L'ont-ils... ? »

 La tortue revint à mon visage puis sourit doucement :

 « Nous en saurons plus lorsque le dragon et le phœnix seront revenus. »

 J'eus un pincement douloureux. Ainsi, je ne verrais pas mon beau tigre... mystérieux et insaisissable.

 Quelques heures plus tard, les deux lieutenants revinrent enfin. En vérité, ils ne l'étaient plus. Baek ho venait de maudire les deux fils de l'empereur et d'installer à leur place ses amis. Ce qui était une très bonne chose, au vu des mauvais actes commis au nom de leur statut ! Hyeonmu, quant à lui, devint le maître incontesté des faunes et natures en tout genre, et s'en satisfit fort bien, puisqu'il n'était véritablement à l'aise qu'en ce domaine (je l'avais bien remarqué lorsqu'il jouaient le rôle de guide). Et moi... moi, j'appris, en coup de foudre destructeur, que Baek ho avait fait de Baji son impératrice, et qu'ils étaient amoureux depuis si longtemps qu'il n'avait jamais songé une seule fois à une autre femme... Sachant la colère de ses amis envers les renards de basse-terre, et leur vieille rancune, due à l'affront subi lorsqu'ils avaient été maudits, il avait gardé secret leur plan d'utiliser leurs ennemis, ce qui réduisait les risques de fuite, au vu de l'ébriété courante du dragon.

 Finalement, en partie grâce à mon aide, leur temple retrouva couleurs et visites ; je poursuivis ainsi ma vie, cette fois entre mon monde et l'au-delà, espérant un jour oublier mes amours vains. Mon vœux s'était exaucé, à quoi bon pleurer ? Un jeune homme vint un jour prier au temple alors que j'étais au jardin. Une pêche à la main, j'allais à sa rencontre en souriant.