Opération ratée

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Le phœnix rouge atterrit à nos côtés, sur la passerelle nous reliant à la pagode. Il poussa un cri d'alerte, me fichant une frousse de tous les diables. Le tigre parut le comprendre sans souci et, me lançant un bref salut de la tête, me planta là. Apparemment, quelque chose d'urgent requérait leur attention... Je ne bougeai pas du kiosque, seule. Peut-être l'attaque sur Munshin venait de s'intensifier, mais n'était-ce pas une bonne chose pour eux quatre ? Ou bien m'avançai-je un peu trop en songeant que la disparition ou la capitulation de l'empereur Sang-Je détruirait la malédiction ? En soupirant, je scrutai mes paumes sous la lumière chatoyante du soleil. Que pouvais-je y faire, si ce n'était tout leur raconter dans les moindres détails ? Depuis ma poursuite au gingembre, ou bien avant, lorsque j'avais trouvé cette urne magique ? Il me semblait que ce détail fût important. Skieuse sur la pente raide, l'avalanche d'interrogations me poursuivait de son éboulement titanesque.

Quand je retournai à ma chambre, l'Imugi Young Im m'intercepta.

« Iseul, j'ai besoin de votre aide. Laissez-moi posséder votre corps, je vous en prie. »

Mes yeux faillirent sortir de leur orbite.

« Quoi ?!? » criai-je, effrayée. Elle me fit un signe pressé et m'attrapa par la manche, m'entraînant à l'intérieur de la pièce.

« N'ayez pas peur. Nous devons aller au royaume des mortels. L'agitateur Ppaleun, un Manlidongigae, nous a volé quelque chose de précieux. Il le garde en rançon contre un objet de grande valeur. Nous ne pouvons accepter un tel méfait ! Malheureusement, nos pouvoirs sont limités chez les mortels et ce chien est féroce et rapide. Seuls mes maîtres pourraient le combattre s'ils n'étaient pas maudits. Toutefois, si je possède votre corps, mes forces seront égales à celles que je possède ici et je pourrai le défaire. Je vous en prie, faites-moi confiance. »

Quelques temps plus tard, je n'étais plus moi-même, retournée sur cette chère Terre. Le chien se trouvait en un pays que je ne connaissais pas, une ville inconnue, un quartier étrange à mes yeux non habitués : entre les cases basses, la terre rouge brûlait le regard. Les traces de l'animal étaient bien visibles ; pas un être humain n'était présent ici, dormaient-ils ?

Je marchais silencieusement (une capacité dont j'étais dépourvue en temps normal) et mon corps, tendu, semblait prêt au combat. Au détour d'un chemin, nous vîmes soudain Jujak et Chyeong-ryong face au Manlidongigae victorieux, tenant en sa main un petit sac. L'échange n'avait pas encore été fait. De l'autre côté, mes hôtes tenaient une petite flûte. C'était ça, l'objet de précieuse valeur que recherchait le mi-chien mi-homme ?

Nous étions cachées derrière un angle de maison. Mes oreilles captaient le moindre son environnant, et j'écoutai avec merveille la discussion engagée entre les opposants.

« Ppaleun, crois-tu vraiment que parce que notre empereur nous a maudits, tu peux tout te permettre ? Il est évident qu'il te fera arrêter dès lors que tu essayeras de t'enfuir.

- Ha ! Ha ha ha, vous me croyez si bête ? Lorsque j'aurai la flûte, je maîtriserai tous les corps mortels existant sur cette planète afin qu'ils me protègent. Vous ne pourrez passer outre leurs rangs, vous risqueriez de les blesser, de les tuer ! »

Mentalement, Young Im me livra la connaissance de l'interdiction pour une divinité de tuer un mortel. On ne pouvait le laisser abuser ainsi de nos vies. « Dès qu'il prendra la flûte, il viendra par ici, c'est la seule voie. Je l'attaquerai. » Bon, tant qu'elle dirigeait mon propre corps, je pouvais avoir confiance. L'Imugi m'avait dit en chemin que mes hôtes étaient au courant de son action, et qu'ils ne faisaient que jouer un rôle. Aussi, dès que l'échange fut fait, malgré leur (fausse) rage, le chien s'en vint vers nous, tel que prévu. Je (enfin... l'Imugi) bondis sur lui aussi vive qu'un serpent et en moins d'un seconde j'avais atterri littéralement sur ses épaules. De petite taille, il ne fut pas difficile de le faire tomber. Je coupai le cordon de la flûte passée autour du cou de Ppaleun et me projetai vers Chyeong-ryong et Jujak qui couraient à notre rencontre. L'homme-chien m'attrapa très malheureusement la cheville et je m'écroulai, le souffle coupée. Ses griffes entaillèrent la peau de mon mollet, me tirant un cri très convaincant. Jujak se battit avec mon agresseur mais ne reçut qu'un violent coup dans le thorax. L'Imugi me releva (toujours à l'intérieur de moi) et me jeta dans la mêlée, sans mon accord cette fois-ci. « La flûte ! La flûte ! » lui criai-je en pensée, ne la voyant nulle part. Pourtant, je ne l'avais pas lâchée ! Le chien, très rapide, métamorphosé en animal, venait de bondir hors du groupe bataillant, la gueule refermée sur l'instrument. Impossible ! Il redevint aussitôt le Manlidongigae familier et souffla quelques airs qui me poignardèrent sans prévenir. Young Im fut éjectée de mon esprit et se retrouva aux côté du dragon et du phœnix désemparés. J'étais totalement humaine. Humaine et sans défenses. Me retournant malgré moi vers mes « amis », je courus à eux, lame brandie...

Ils esquivèrent sans souci, mais moi, j'en avais beaucoup. D'abord, j'étais contrôlée, et c'était une sensation si affreuse, si traumatisante, si blessante, que j'avais l'impression de mourir à l'intérieur. Heureusement, Young Im se jetait déjà sur le voleur et celui-ci, la voyant arriver à grande vitesse, tourna les talons. De toute façon, il avait ce qu'il voulait. Les fils du marionnettiste cédèrent net ; je m'effondrai.

« P*tain quelle histoire de m*rde », jurai-je d'affilée, transpirant. Ça faisait un mal de... chien, oui, tiens, de chien. Je comprenais l'expression maintenant, parce que en fait, les chiens, ils vivent bien quand même dans les maisons, tout ça. Mais quand ils mordent ou griffent, bon sang de bonsoir, ça rigole pas. À première vue, la plaie méritait quelques points de suture. Ça ne saignait pas trop, mais la douleur me tournait la tête.

Jujak me releva et nous nous téléportâmes immédiatement à la maison de Baek ho. Ce dernier nous attendait, et lorsque sa mine s'assombrit à ma vue, je ressentis une forme de satisfaction totalement masochiste. « Ma pauvre vieille, s'il te faut être blessée au sang pour te sentir à l'aise dans ta relation avec lui, mieux vaut laisser tomber avant que ça ne parte en cacahuètes. »

Je fus laissée sous la garde du médecin personnel du tigre blanc, appelé en vitesse. Il m'administra un calmant et s'appliqua à recoudre la vilaine plaie, m'arrachant de longs hurlements que j'étouffai au creux d'un coussin. Ils ne connaissaient pas la morphine ? Ou quelque chose de plus puissant que ce que je venais de boire ? Ah oui, je m'en souviendrais de mon périple. Enfin, épuisée, on me laissa m'endormir. J'allais pouvoir rattraper mon manque de sommeil... Ô, joie...

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