A la poursuite du gingembre

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Comment s'assurer qu'un gingembre sauvage soit authentique ? Ceux des montagnes, rouges et parfumés, dans les profondeurs de la terre coréenne ? Il n'est pas aisé de les obtenir, encore moins de le trouver. Ce fut pourtant cette nuit-là que je m'y aventurai en pyjama, délaissant le lieu douillet de mes aïeuls, plongeant au cœur de la brume accrochée aux ramures noires.

Le chemin s'était vite déroulé sous mes pieds pressés ; la brise avait soufflé ma chanson sifflée du bout des lèvres. Confiante quant à ma destination, « impossible » n'était pas dans mon dictionnaire... Je poursuivais un vieux rêve commencé dans mon quartier d'enfance, Hongdae. Ça n'avait pas été l'endroit idéal pour éduquer la jeune rebelle que j'étais et suis toujours, mais je trouve qu'au contraire mon côté social s'y était développé le plus magnifiquement possible.

Se baigner dans la foule en délire face à leurs pré-idoles ou leurs sons k-pop préférés, profiter tous les week-end d'un duel en karaoké, acheter en avance le billet pour Lotte World... Ce n'était pas que je débordasse d'argent,mais je n'étais pas pauvre non plus. Et sous l'éther mes souvenirs s'emplissaient de magie.

Quelques gouttes de pluie rattrapèrent mon enthousiasme nocturne : le schème conceptuel de mon projet avait encore une fois ignoré température, météo et obstacles naturels avant de se lancer dans pareille entreprise. Bien que trous et entrelacs ronceux se fissent nombreux, je ne faisais pas dans la dentelle : mes pas s'étaient changés en course rapide afin de trouver un abri à l'averse approchant. Rayons lunaires et eau du ciel se mêlèrent en lait trouble qu'absorbèrent les nues, opacifiant tout horizon. Mon imper en silicone peinait à faire son office. Manque d'attention, je me pris les pieds dans un rocher affleurant.

Immédiatement, je dérapai, roulai-boulai et finis dans une mare boueuse emplie d'humus pourri et de déjections animales. Une infection ! Tâchant de me relever en premier avant tout débordement émotionnel, je mis involontairement la main sur un objet rond et doux que je ne pouvais voir.

« Une pêche ? » Cela y ressemblait, au toucher. Retrouvant un sol plus ferme (et surtout moins sale), je me dépêchai de sortir de là, la chose en main. L'obscurité ne me mettait pas mal à l'aise, quoique j'avouasse imaginer de drôles de possibilités : et si la prétendue pêche était un crâne de bébé que l'on venait de tondre ? Glauque. Après tout, ce serait un fruit bien gros, plus gros que ma main qui peinait à le contenir avant de le jeter au fond du sac. Je bridai aussitôt mon inconscient et, à quatre pattes, rejoignis le plus proche arbre.

À présent, oui, il me serait difficile de trouver un abri efficace face à l'ondée dégorgeant les feuilles à mes pieds, cherchant à les noyer sous des amas de boue grumeleuse. J'étais tout bonnement trempée. Dépitée, j'enlevai mon imper', détestant la sensation de coulées de terre glissant dans ma nuque. Mon jogging-pyjam venait de se déchirer. Je jurai, songeant à la machine à coudre déréglée laissée à la maison de mes grands-parents décédés il y avait peu encore. J'étais bonne pour le faire à la main... si je me sortais de là vivante ! Ironie. Je m'en sortais toujours. D'où mon intrépidité quotidienne dont se plaignait auparavant mon entourage, avant que je ne les quittasse pour de bon.

Adossée à un tronc, guère protégée, je touchai du bout des doigts la petite urne de mon sac à main.

Cet artefact quasi archéologique (puisqu'il y avait quelques années je l'avais trouvé dans un jardin de temple abandonné), n'avait jamais délaissé ma chambre ou mes sacs dès que je partais à la recherche de trésors (tel que le gingembre rouge). En effet,l'urne chauffait toujours étrangement à chaque fois que je m'approchais de mon but, quel qu'il fût ! Cela peut paraître comique, voire ridicule, mais je ne vous demande pas de me croire. Ce genre de miracle était arrivé si souvent que j'en avais fait une fiche où je détaillais chacun de mes succès datés. Pour commencer, je n'y croyais pas moi-même. Mais sa première brûlure avait été si intense que je m'étais retrouvée avec une trace rouge contre la hanche, là où reposait mon sac, alors que les tissus n'avaient eu aucune marque ! Quand j'avais remarqué sa fascinante particularité, je l'avais laissée dehors toute une nuit. Le lendemain, elle était sur ma commode, à la tête de lit. Mes dents en avaient claqué un bon moment (je suis sujette à la spasmophilie).

Malheureusement, l'urne était glacée. C'était mal barré tout ça. Et ma lampe torche était cassée, bravo Iseul, bravo. Je songeai à ce que mon cousin ultra cartésien aurait fait en pareille situation. Ah, il ne se serait jamais mis dans une telle situation. Voilà qui m'évitait le mal inutile d'un retour aux souvenirs familiaux par le truchement de ma recherche de solutions, solutions que je peinais à trouver, à présent sous le joug oppressant de la nuit ruisselante.

« Arrête de moudre du noir » m'aurait dit en rigolant mon amie, sachant que je ne la reprenais plus sur l'erreur d'expression. Et si je tombais par hasard – mégarde – sur l'Expéditeur, la Terreur des dessous de lits de mon enfance ?

J'étais bien bête, mais il ne m'était pas facile de tirer mon cerveau vers une direction plus éclairée. Qu'avais-je sur moi pouvant m'aider ? De l'eau (mais je connaissais sur ce mont une source potable menant à une rivière et ses petites criques dans lesquelles je pourrais me nettoyer), un bois pointu taillé en arme contondante (je détestais le métal), une pochette à documents portant mes fiches, une photo imprimée de gingembre rouge, histoire de ne pas me tromper, une boule de billard. Non, ça n'était pas un porte-bonheur, mais le poids exact que je m'étais promis de ramener en racine, poids qui valait son pesant d'or.

Enfin, l'averse parut se calmer. Je m'étais juchée sur une branche basse, oasis relativement (très relativement) sèche, protégée par l'imper prisonnier sous mon séant. Mes pensées continuant à dériver, j'imaginai, dès mon retour au bercail, créer un magazine sur les mille et une manière de survivre en pleine nature, pleine nuit. Règle numéro une : Ne pas juger les aventuriers « fous » avant d'être soi-même allé tester leurs mystérieux sentiers. On peut perdre la tête pour moins que ça. Et puis pourquoi pas, Règle numéro deux : emporter avec soi son téléphone portable. Sauf si l'on était aussi timbré que moi et là, le cas est irrécupérable.

« Règle numéro trois, décidai-je à voix haute, ne pas se lancer en pyjama... »

Une sonnaille tinta.

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