Le prévot (5/5)

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Bonjour, aujourd'hui c'est le dénouement de l'histoire. Saalyn va révéler le nom du meurtrier. Si vous voulez encore chercher par vous même, je vous conseille de revoir d'abord ce qui précède.


Je brandis l’arme que j’avais ramassée dans la menuiserie et la montrait à tout le monde. Elle était magnifique, en métal poli, à la garde délicatement ouvragée. Un bel objet qui avait dû attirer la convoitise de tous ceux qui l’avaient vu.

— Il appartient au menuisier, s’écria une voix dans l’assistance.

— En effet, c’est là-bas que je l’ai pris. Mais ce n’est pas l’arme du crime. Celle-là possède une garde, or le stylet qui a provoqué la mort en est dépourvu. Pas plus que le poignard de mon apprenti n’en est responsable, large, plate, courte et fragile, elle n’aurait jamais pu laisser une blessure telle que celle que j’ai retrouvée sur la victime.

J’avais remarqué, lors de ma première visite chez Tranisanar que sa maison avait été belle autrefois, mais qu’elle manquait visiblement d’entretien. Mais je constatai également que certains éléments avaientt été réparé. Des réparations récentes, toutes datant à peine de moins d’un an. La porte, deux volets, quelques lattes du toit, une partie du plancher. Toutes ces réparations ont un point commun. Elles sont faites en bois. Et c’est de la belle ouvrage. Je peux vous garantir des douzaines d’années avant que ce toit fuie à nouveau. Cet individu nouvellement arrivé dans le village faisait donc ce que vous auriez dû faire. Il s’occupait de Tranisanar. Il a fait en sorte qu’elle puisse vivre dans un logement décent.

Mais pourquoi ?

La menuiserie, comme certains d’entre vous le savent, est construite sur les terres de Tranisanar. Jusqu’à présent, elle a toujours refusé de vendre ce petit lopin de terre à qui que ce soit. Terdar n’a jamais donc pu l’acquérir légalement. Était-il furieux de cet état. Aurait-il tué cette vieille femme par vengeance. C’était une hypothèse intéressante. Mais elle ne tenait pas. C’est à vous qu’elle refusait de vendre. Le menuisier n’avait pas les moyen d’acheter le terrain qu’il occupait. En gardant ces terres en réserve, elle le protégeait. Mais si Terdar avait tué Tranisanar, il se mettait à la merci de son héritier. Celui-ci aurait pu l’expulser de son commerce sans qu’il puisse s’y opposer. Mais Terdar est un étranger au village, arrivé il n’y a que quelques mois. En attirant les soupçons sur lui on ne trahissait pas le groupe. Mais est il vraiment un étranger ?

Je vous ai dit que Terdar boitait ? En fait, il présente la même maladie que Tranisanar, mais sous une forme plus légère. Atténuée. Tranar et Terdar sont parents. Vous faites partie de ses héritiers. Je me trompe ?

Le menuisier mit longtemps à répondre.

— Non, dit il enfin, vous ne vous trompez pas.

— Donc une partie des biens de Tranar vont vous revenir. Combien, la moitié ? Le tiers ? Plus ?

— Pour un neveu, comme il y a un autre neveu en présence, cela ne peut pas dépasser la moitié, remarqua le prévôt.

— Oh ! Je crois que Terdar n’est pas un neveu de Tranar. S’il était un neveu, le village le connaîtrait et ne le traiterait pas en étranger. Non, c’est autre chose.

Terdar hésita longtemps avant de répondre.

— C’était ma mère, dit-il enfin.

Un brouhaha s’eleva dans la salle.

— Et oui. Terdar était le fil de Tranisanar. Cette femme, que vous considériez comme une imbécile, a réussi à votre insu à pondre un œuf, à le couver, à élever un enfant et à lui donner un métier. Et parce qu’il a quitté le village pendant son enfance et qu’il n’est revenu qu’adulte, vous l’avez considéré comme un étranger. Mais il est des vôtres. Il est le fils de Tranisanar, ainsi que de l’un d’entre vous d’ailleurs. Et à ce titre, il allait hériter de la totalité des biens de la victime. Cela le désigne comme un coupable potentiel. Mais pourquoi aurait il tué. Son commerce marchait bien, sa mère n’avait plus que quelques années à vivre et il pouvait déjà utiliser ses biens de son vivant. Et depuis son retour, il donnait suffisamment d’argent à sa mère pour lui éviter de continuer à vendre. »

Je me replaçai au centre de la salle afin d’être vue de tout le monde.

« Il en reste que Terdar n’est pas le seul proche de Tranisanar présent ici.

— Mais vous avez dit que son neveu ne pouvait pas l’avoir tué, objecta le prévôt, qu’il avait un abili.

— C’est vrai. Mais les connaissances de la victime ne se limitent pas à son fils et son neveu. En fait, je peux même affirmer qu’elle connaissait très intimement une grande partie de ce village. Les hommes tout au moins. Et je pense à une personne qui par son métier utilise des outils qui ressemblent à des stylets, sans en être, une personne trop faible pour manipuler un poignard et qui a dû empoisonner la victime pour pouvoir la tuer et ceci parce qu’elle souffre même handicap, à un degrés moindre. Une personne qui savait qu’il fallait planter le poignard à gauche pour percer le cœur. »

Après cette envolée lyrique, je me tus, laissant planer le suspense. J’avais vu suffisamment de conteur pour savoir comment faire monter la tension de la salle. Je remarquais que quelques regards convergeaient déjà vers la personne que je considérais comme coupable.

« Et qui mieux que sa sœur pouvait savoir une telle chose, dis-je enfin d’une voix douce, parce qu’elle présente la même particularité. Une sœur aigrie parce que pour être née en second, elle n’a hérité de rien. Même la maison qu’elle habite ne lui appartient pas. Une sœur enfin, qui manipule des aiguilles à tricoter toute la journée et dispose d’outils ressemblant à l’arme du crime. »

Je m’interrompis. Dans la salle, le brouhaha qui avait cessé quand je donnais mes explications avait repris de plus belle. La couturière était maintenant le centre de l’attention de tout le monde. Son fils la regardait d’un air interrogateur.

« Elle ment, dit-elle enfin, je n’ai jamais tué ma sœur. »

Mais ses dénégations arrivaient trop tard. Elle n’avait pas réagit assez vite. Elle se rendit compte que personne ne la croyait.

« Mais enfin, s’écria-t-elle, vous n’allez pas croire une inconnue ? Une étrangère qui essaie de masquer son propre crime en accusant quelqu’un d’autre ?

— Quel intérêt aurai-je eu à tuer Tranisanar, répliquais-je, je ne la connaissais pas. Elle ne représentait rien ni pour moi ni pour mon apprentie. Je n’avais aucun intérêt dans cette histoire.

— Moi non plus, tout ses biens vont aller à ce… »

Elle ne se résignait pas à appeler Termansadar par son nom. Elle se contenta de le désigner de la main.

« Mais vous l’ignoriez, répondis-je, s’il n’avait pas été là, c’est votre fils qui aurait hérité de tout.

— Qu’est-ce qui nous dis qu’il est réellement le fils de ma sœur. Vous avez très bien pu vous entendre pour capter l’héritage tout les trois. »

Je ris tant l’accusation était stupide.

« Silence ! cria le prévôt. »

Aussitôt tout le monde se tut.

« Votre exposé était très intéressant, dit il, mais avez-vous des preuves ?

— Toutes celles que je viens de vous énoncer, répondis-je. Peut-être Terdar a-t-il des documents attestant de sa filliation.

— Il n’y a aucune preuve là-dedans. Ce n’était qu’un faisceau de conjecture, certes très convaincant, mais étayé par rien. »

Je le regardais, surprise d’une telle affirmation. Il allait rendre son jugement. Et cette meurtrière allait s’en sortir.

« Vu les faits que nous à rapportée Maître Saalyn, je déclare les deux étrangères innocentes des accusations portées contre elles, annonça-t-il. Toutefois, les éléments fournis, même s’ils convergent vers une conclusion qui semble évidente, ne sont pas suffisante pour statuer sur la culpabilité de Velenesar. Je me contenterai donc pour cette séance de transmettre son héritage à Termansadar dès que celui-ci m’aura fourni les documents attestant de son identité.

— Je vous les amènerai dès cet après-midi, dit le menuisier.

— Bien. Je déclare la session terminée. »

Il ponctua ses paroles d’un coup de son marteau sur son socle.

Saalyn regarda un instant les deux cousins qui s’étaient rejoints. Ils ignoraient qu’ils étaient parents et ne s’étaient jamais fréquenté. Ils allaient devoir apprendre à se connaître. Je rejoignis ma pentarque qui discutait avec le prévôt. Et à vivre avec une meurtrière fratricide.

« C’était une excellente présentation, me félicita-t-il.

— Qui ne débouche sur rien hélas.

— N’en soyez pas si sûr. Elle échappe à la justice impériale. Mais elle ne va pas pour autant s’en sortir.

— Je ne comprend pas.

— C’est pourtant simple, répondit Muy. La maison qu’elle habite appartenait à sa sœur. Maintenant, elle est au fils de la victime. Je me demande combien de temps elle va encore y rester. »

Avant de mettre fin à cette enquête, j’avais un dernier point à régler.

« Quand vous êtes arrivé, vous avez tout de suite identifié Muy comme une personne d’autorité, demandai-je, comment avez vous fait ?

— Grâce à sa bague, répondit le Diacarasen.

— Sa bague ? J’ignorai qu’elle fut connue hors du mon pays. Nous sommes si insignifiants.

— Est-il possible que vous ignoriez ce qu’elle signifie ?

— Elle me vient de ma mère, répondit Muy. C’est elle qui me l’a donné et depuis elle est le symbole de mon statut.

— Elle l’était bien avant que vous ne la possédiez. Ce genre de bague était porté par les membres de la lignée royale du Vornix. »

Je restais bouche bée. Muy manifestait peu ses émotions – sauf la colère – et ne dit rien. Mais je soupçonnais qu’elle n’en était pas moins intéressée.

« J’ignore comment elles sont arrivées jusqu’à vous. Mais si vous voulez un conseil, cachez la. Certains pourraient bien vouloir s’en emparer pour se prévaloir de ce prestigieux empire et justifier ainsi des conquêtes. Si j’ai bien compris, vous venez d’un petit pays. Je ne pense pas que vous pourriez résister à une puissance comme l’Ocarian ou le Diacara.

— Je vous inquiétez pas trop, répondit Muy, si des envahisseurs venaient nous saurions les recevoir. Nous sommes petits, mais pas sans défense.

— Je vous le souhaite.

Sur ces dernières paroles, nous nous quittâmes.

Il était temps de rentrer. Nous étions reconnues innocentes du crime et les villageois ne firent aucune objection à notre départ. Nous rentrâmes à la maison de Meldisenek pour y récupérer nos affaires et nos montures. Nous adressâmes nos salutations à nos logeurs. Jamais, malgré les accusations de leurs concitoyens, ils n’avaient manifesté la moindre hostilité à notre égard. Je profitais de cette dernière occasion pour lui acheter une ceinture neuve, la mienne commençait à porter le poids des années.

Une dernière salutation à Jamanored, notre guide à travers toutes cette enquête et nous partîmes.

Ça faisait trop longtemps que nous étions loin de l’Helaria. J’avais hête de rentrer à la maison.


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