Le neveu

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Après avoir remercié le prêtre de Silanca, je décidais d’aller voir le neveu. Avant de le quitter je me renseignai sur l’endroit où il vivait. Comme à chaque fois qu’il venait en ville, il logeait chez sa mère, en plein cœur du village. Elle habitait dans la même rue que celle où nous logions, Muy et moi, en étant bien plus proche de la place. C’était une maison sans étage. Elle n’était pas la plus belle du village, mais elle était bien entretenue. Quoiqu’ils fassent, les occupants vivaient bien.

Comme toutes les stoltz, l’hommee qui m’ouvrit semblait jeune. C’est l’inconvénient avec mon peuple, impossible de connaître leur âge à partir des traits de leur visage. Mais c’était bien l’homme que nous cherchions. Il avait cette raideur caractéristique des militaires qui leur donnait une telle prestance même revenus au civil. Il nous introduisit dans la pièce principale. Elle était très simplement meublé. Une table au centre, quelques chaises autour et un buffet avec de multiples tiroirs. En partie ouvert, on pouvait voir les pièces de tissus, fils, rubans qui en débordaient. La maîtresse des lieux était donc repriseuse ou couturière. Cette pièce était son lieu de travail, ce qui expliquait son austérité.

Assit face à la porte, la mère du soldat était assise une chaise en train de travailler. Pour le moment, elle tricotait. Juste à côté d’elle, sur la table il y avait un livre partiellement déroulé. Comme elle avait les mains occupée, ce ne pouvait pas être elle qui le lisait. Il s’agissait donc de son fils. Il en avait même l’habitude puisqu’il utilisait cette technique qui consistait à enrouler le chapelet de perle sur un second cylindre pendant qu’il déroulait le premier tout en lisant, une technique un peu dure à acquérir mais qui permettait d’éviter d’emmêler le fils voir de le casser. Son ouvrage était de qualité, chaque perle était maintenue en place par un nœud, ce qui minimisait les pertes en cas de rupture.

« Asseyez-vous donc, nous proposa la couturière, mon fils me faisait la lecture. »

Je notais l’information. Elle confirmait que son fils savait lire, ce qui était rare dans ce genre de petit village. Il fallait aller dans les grandes villes du pays pour avoir une proportion significative de gens instruit. C’est d’ailleurs ce qui m’avait surpris le plus en voyageant hors de l’Helaria la première fois. Dans la pentarchie tout le monde possédait une instruction de base et je ne comprenais pas pourquoi il n’en était pas de même ailleurs.

« Je suis Saalyn, me présentais-je. J’enquête sur la mort de Tranisanar.

— On dit que c’est vous qui l’avez tué, remarqua le neveu.

— Ma compagne et moi sommes innocentes de ce crime. Nous ne connaissions pas la victime. Nous n’étions jamais passé par ce village avant.

— Si ma tante n’était rien pour vous, pourquoi vous intéressez-vous à sa mort ? Vous auriez pu facilement vous enfuir.

— Parce que le responsable a tout mis en œuvre pour nous désigner. C’est devenu une affaire personnelle.

— Je comprends. Même si je pense que vous perdez votre temps.

— Vous pensez que nous ne trouverons pas le meurtrier ? »

— Je pense que trouver ce meurtrier n’en vaut pas la peine. »

Que voulait-il dire par là ? Qu’il ne voulait pas que sa tante soit vengée ? Ou que découvrir son meurtrier allait faire plus de dégâts que le meurtre lui-même. Je n’eu pas le temps d’approfondir mes réflexions. La femme, Velenesar ainsi que nous l’avait apprit Jared pendant le trajet depuis le temple, interrompit un instant son ouvrage.

« Comment allez-vous procéder ? demanda-t-elle, il n’y a aucun témoin de ce crime.

— Détrompez-vous, il y en a au moins un, intervint Muy, le coupable a été témoin du crime.

— Mon amie débute dans le métier, la repris-je, elle n’a pas appris à interprêter tous les signes. En plus du coupable, il y a plein de témoins de ce crime. On peut aussi compter la victime ainsi toute la nature autour de la maison.

— Ce genre de témoin ne parle pas, remarqua Vesar.

— Oh si ! Ils parlent ! Ils utilisent juste autre chose que des mots. »

Le neveu buvait toutes nos paroles comme du petit-lait. Il avait l’air passionné par ce que je racontais. Le fait de venger sa tante sembler le laisser indifférent, mais l’enquête elle-même le passionnait. S’il avait été helariasen, il aurait à coup sûr postulé à la corporation des guerriers libres.

« Comment savez-vous tout ça ? On apprend quelque part à faire parler la nature ?

— Je ne crois pas. Mais pendant plusieurs siècles j’ai escorté des caravanes sur les routes. Parfois, lors des voyages, il y avait des crimes ou des vols. Un de mes chefs était très doué pour trouver le coupable. J’ai appris en le regardant opérer. »

Il hocha la tête, satisfait de ma réponse.

« Et vous, repris-je, que faites-vous comme métier ?

— Je suis douanier. Je patrouille le long de la frontière du nord.

— Vous ne faites pas l’est ? Il n’est pas loin pourtant, remarqua Muy.

— Pour quoi faire ? Quelle menace pourrait bien arriver depuis le domaine d’un gems. »

La remarque était pertinente. Panation Tonastar, la gems dont le domaine jouxtait l’empire, était le plus efficace des garde-frontières qui soit. Une route traversait son domaine, reliant l’Ocarian au Cairns. À plusieurs reprises, j’y ai escorté une caravane. Ça a toujours été une période de repos. Les gardes du domaine, bien qu’invisible étaient efficaces. Et les pillards qui avaient voulu profiter de l’isolement des lieux avaient mal fini. Ils étaient devenus … En fait, je ne savais pas ce qu’ils étaient devenus. Et je ne tenais pas à le savoir.

« Vous êtes un militaire, repris-je, vous êtes donc souvent absent.

— Ma garnison est basée à une vingtaine de longes à l’ouest d’ici. »

Il faut une journée de voyage pour parcourir une telle distance. Et autant pour le retour. Autant dire qu’il ne lui est pas possible de s’absenter discrètement pour venir trucider sa tante. Mais au fait… « Vous êtes ici depuis combien de temps, demandai-je.

— Je suis arrivé aujourd’hui. » Tiens donc, il était en ville peu de temps après le meurtre. Avec ce que je connais de l’empire, il ne devait venir ici qu’une fois par an. La coïncidence était troublante. « Viter en profite pour me donner un peu d’argent, expliqua la couturière.

— Et pour sa tante ? Vous partagiez avec elle.

— Et puis quoi encore, s’exclama le soldat. Tatie était si belle quand elle était jeune. Elle faisait tourner la tête à tout le village. Elle en a bien profité. Et nous, on n’a rien eu. Le retour de bâton a été violent quand elle a vieilli.

— N’exagérons rien. Si tous les villageois l’aidaient c’est surtout parce que c’était un bon coup au lit.

— Maman, elle est morte. On ne parle par comme ça d’une morte. Même si elle avait cette réputation.

— Tu as raison. On ne parle pas comme ça d’une morte. Viter a le sens des convenances, expliqua Velenesar.

— C’était ma tante et je l’aidais du mieux que je pouvais. Mais une solde de militaire ce n’est pas énorme. Ma mère aussi à besoin d’argent et elle passe avant. Le village est trop petit pour entretenir une couturière à plein temps.

— Si j’en juge par la maison, ça n’a pas toujours été le cas, remarquais-je.

— Autrefois il y avait des caravanes qui passaient par là, expliqua la mère. Ma mère vendait presque toute sa production aux voyageurs. Elle vivait bien. Maintenant, elles préfèrent une voie plus à l’ouest. Quant à Tranar, c’était l’abondance, il lui suffisait d’écarter les jambes pour voir l’argent affluer. Mais elle le flambait. L’état de dénuement dans lequel elle se trouvait, elle en était un peu responsable.

— Le Cairns n’est pas le royaume le plus joyeux qui soit, continua le fils, les marchands préfèrent l’éviter quand ils peuvent. Depuis qu’il a envahit le royaume voisin, plus personne ne passe par ce village. »

Je les comprenais. J’avais vu , au cours de ma carrière, la montée en puissance de ce royaume. C’était la pire chose qui soit arrivée à cette partie du continent. J’espérais au fond de moi qu’il ferait un jour quelque chose qui inciterait la Diacara à l’envahir pour le rayer de la carte. Mais je pensais l’empereur trop avisé pour intégrer ces malades mentaux à son territoire et son sens moral lui interdisait de les exterminer.

Je saluais les deux villageois.

« Je vous remercie de cet entretien. Il a été très instructif.

— C’est moi qui vous remercie de nous consacrer ce temps.

— C’est normal. »

Normal en effet. On nous avait promis la mort si on n’arrivait pas à s’innocenter.

Je saluais nos hôtes et nous sortîmes tous les trois. Une fois dehors, je jetais un coup d’œil à la maison. « Qu’en penses-tu ? me demanda Muy.

— Lui n’a pas l’air d’un meurtrier, répondis-je. Mais il n’a pas l’air d’aimer sa tante. Quant à elle, elle est bien trop menue pour agresser quelqu’un au couteau. La victime était grande, malgré son handicap. Elle aurait pu se défendre aisément. Et toi, qu’as tu trouvé sur ces deux là ?

— Rien. J’ai sondé son corps. Il a le cœur à droite comme tout le monde.

— Il n’a donc pas hérité de cette particularité. Peut-être ignorait-il que sa tante la possédait. »

Jared regardait ma pentarque, les yeux grands ouverts sous l’étonnement.

« Comment avez-vous pu savoir ça sans le toucher ?

— J’ai certaines compétences, répondit simplement Muy.

— Mais vous ne pouvez pas faire de la magie sans votre gemme.

— Un peu, dis-je à sa place, elle ne peut pas lancer de sorts puissants, mais des petits tours comme ceux-là restent à sa portée. »

Muy interrompit la digression d’un revers de la main. Elle ne voulait pas que j’en révèle trop sur ses capacités. Elle avait raison. Mais plus l’admiration pour la petite stoltzin de notre guide augmenterait, plus mon travail serait facile. Je profitais du lien télépathique qui nous unissait pour le lui dire. Elle était d’accord avec moi… dans certaines limites.

Je m’adressais à notre guide pour avoir son avis.

« Jared, que pensez-vous de cette discussion ? demandais-je.

— Ce sont de mauvaise gens, répondit-il. Tranisanar n’était pas une sainte, mais elle ne s’est jamais comportée comme ça. Ce n’était pas une catin.

— Je m’en doutais un peu. Le champ ou les caravanes s’arrêtaient est situé à l’opposé du village, près de là où on dort. Ils ne devaient même pas connaître l’existence de cette maison isolée.

Muy massa son épaule blessée qui la démangeait, ce qui lui arracha une grimace de douleur.

« Quelle est la suite des opérations ? demanda-t-elle.

— Je propose d’aller examiner le corps.

— Tu l’as déjà fait ?

— Non, je l’ai regardé rapidement. Là, je veux dire examiner. En profondeur.

— C’est toi l’experte.

— Merci. »

Je me tournais vers Jared.

« Vous savez où ils ont transporté le corps ?

— Chez le menuisier.

— Le menuisier, quel étrange choix ? remarquais-je.

— Pourquoi. Il faut bien lui faire un cercueil pour l’enterrer. »

Dans ce genre de petit village, les gens avaient plusieurs compétences. Il était possible que cet homme sache aussi embaumer les corps. Ou tout au moins les préparer.

« Guidez nous, dis-je. »

Désireux de bien faire, il partit au petit trop vers la place centrale. Nous lui emboîtâmes le pas, à un rythme plus lent. Voyant qu’il nous distançait, il ralentit pour nous laisser le rattraper. Il nous mena à travers les ruelles vers ce qui tenait lieu de morgue dans ce village.

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