Prologue.

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« (…) Il existe deux types de puissances sur notre terre, sur Hoeraughnir. Certains, profanes ou religieux, les appelleront magie, d’autres don ou malédiction. Mais ces mots n’ont de connotations que pour ceux qui l’emploient et ceux qui sont d’accord avec l’image véhiculée de ces puissances.

La magie sous-entend une notion surnaturelle, incontrôlable, dans le langage courant. On l’imagine démesurée, surpuissante – c’est effectivement le cas de le dire –, fantasmagorique et vivante dans son entité même. La magie a une connotation religieuse et – ou – mystique. Le don et la malédiction sont deux penchants dichotomiques d’une même pièce qui tourbillonne sur sa largeur. L’une exprime une offrande, un côté positif qui proviendrait des dieux – qu’importe qui ils sont –, tandis que l’autre image un éclair, une volonté d’un quelque diable de nourrir la discorde et le chaos sur Hoeraughnir. Quoi qu’il en soit, une magie, un don ou une malédiction, vous en conviendrez, ces termes sont placés sous le joug d’une nature divine, du moins sont causés par un phénomène surnaturel qu’un homme, qu’une femme ne peut contrôler.

Or, aucune de ces deux puissances dont je parle ne sont comparables à ces définitions. Certes, la puissance, par définition, est impressionnante… puissante (pardonnez le pléonasme). Ces puissances, diamétralement opposées, en fait, puisqu’elles ne sont pas, vous l’apprendrez par la suite, issu du même moule et qu’elles ne provoquent pas les mêmes conséquences, sont par beaucoup d’aspects des capacités hors normes que l’on peut considérer comme bénéfiques à l’homme et au monde. Et, en conséquence de leur force unique qu’un homme ne devrait posséder si l’on restait logique et puritain, de nombreux effets néfastes éclaboussent les âmes et les corps de nos… possesseurs de puissance. Ainsi, les deux puissances seraient à la fois magie, don et malédiction. Mais elles sont à la fois beaucoup plus et beaucoup moins que cela.

J’ai eu l’occasion en de nombreuses reprises de côtoyer l’unique possesseur sur l’Hoeraughnir d’une des puissances et la chance d’être l’un des possesseurs de l’autre. Ainsi, je peux vous parler sans crainte d’une bavure si énorme qu’elle fausserait la confiance que vous avez posé en moi en ouvrant l’ouvrage. Evidemment, je n’ai pas la science infuse. Prenez garde à chacune des paroles de ma personne qui vous semblera incongrue ou qui ne résonnera pas en vous. Elle est peut-être – sans doute – fausse. Et il se trouve que mon ouvrage de pensées sera désuet et complètement absurde d’ici quelques dizaines ou centaines d’années. Mais réfléchir à l’avancée de la pensée des hommes à travers le cours du temps n’est pas notre sujet premier.

Petit retour sur la géographie Hoeraughnirienne, très rapide en somme puisqu’elle n’est pas notre questionnement du jour ; en 376, année durant laquelle je me suis rendu sur le continent principal – le seul, pour beaucoup d’Hoeuraghniriens – en tant que dévoué explorateur qui raffole plus que tout de découvrir de nouvelles contrées. Bien sûr, ce terme n’est usité que par les habitants de ce continent, tout comme mon continent principal, s’approchant plus d’une île que d’un mastodonte de terre qui accueille les peuples dont je vais vous parler, est celui sur lequel je suis né.

Ce continent abrite deux peuples ; deux états en fait. L’un, l’Hymolites est un empire puissant et très avancé technologiquement et socialement parlant, tandis que l’autre, le Calistr, base sa puissance non pas sur la conquête et la domination scientifique, mais sur la croyance de son peuple en son souverain légitime, mort depuis des centaines d’années. Ce qui explique sans doute l’état dans lequel je l’ai trouvé…

Le Calistr abrite un autre personnage important, celui qui m’amène à développer mes apprentissages aujourd’hui. Les Calistrais connaissant son secret, se tenant donc sur les doigts d’une main humaine, l’appellent le Voyageur. Il est le détenteur, lui et son disciple, seules traces de cette puissance phénoménale puisqu’elle est unique, d’un pouvoir ancestral, pour ce que je sais, qui existe depuis la création de notre monde, qui lui permet de passer les voiles mystiques de l’espace et de disparaître de la surface de l’Hoeraughnir. Pour aller où ? L’idée est là, si l’on part du principe qu’il n’existe que notre monde, cet être, ce Voyageur disparaît purement et simplement pour se retrouver… nulle part. Alors, peut-être existe-t-il un autre endroit, que l’Hoeraughnir ?

Mais ce mémoire n’est pas là pour débattre de la possibilité d’un Autre. Excusez mes élucubrations de vieux fous, chers lecteurs, et contentez-vous de suivre le fil de la découverte de ces puissances.

Ainsi, le fait de disparaître serait-il magie, don ou malédiction ? Les trois à la fois, et aucun des trois. Ce phénomène est surnaturel, pas de tout, mais si l’homme qui le possède est un homme tout à fait ordinaire, et si l’homme provient de la nature, du cosmos, est-il possible que ce soit en fait un phénomène naturel ? Et non complétement délirant ? Et s’il est le seul à le posséder, cela reste-t-il normal ou devient une action dépourvue de logique et d’accroche ?

Si le Voyageur disparaît vers un Autre, cela est une bénédiction, un don, car il a la capacité de découvrir un Autre, quelque chose de différent, d’incroyable pour le pauvre explorateur que je suis. Et le Voyageur est un homme qui peut vivre un millénaire, mille années environ. Sa puissance est telle qu’elle lui arrache sa mortalité pour le mettre à l’égal d’un dieu, du moins du point de vue du continent principal. De ses habitants en fait, qui vivent rarement plus de quatre-vingts ans, un siècle tout au plus. Cette puissance ainsi est considérée par certains, dans des discussions philosophiques et des débats de comptoir, sans évidemment savoir qu’elle est possible, comme une malédiction.

Le Voyageur voit mourir tout le monde autour de lui, voit la vie ne devenir qu’une poussière dans le rayon de soleil de son existence, alors que lui, affligé, n’aperçoit qu’à peine à travers le judas de sa porte la mort. Elle semble si loin, pour un être entouré d’hommes aussi fragiles qu’une brise nerveuse, qu’une goutte d’eau de pluie.

Mais ces trois points de vue, ces trois caléidoscopes, ne sont que des visions subjectives, partielles de la puissance. Car elles sont influencées par l’esprit de l’homme qui les prononce, qui les visualise. Ainsi, si la puissance du Voyage peut être magie, don et malédiction, est peut aussi n’être rien de cela… qu’une puissance parmi tant d’autres, qu’une déviation partielle d’un autre pouvoir.

La quasi-immortalité du Voyageur, car son pouvoir semble trop abstrait pour que nous puissions nous y attarder, n’est perceptible ainsi que par des mortels, des hommes et des femmes qui ne la regardent qu’à travers le prisme de leur fragilité, de leur mortalité.

Il me semble même que cette mortalité dont je vous parlais plus tôt ne vous effleure pas, puisque vous ne la connaissez pas. Il semble important de préciser que cette mortalité nous dépasse, car j’en suis convaincu la moitié de ceux qui me lisent doivent être perdus à présent par une notion qu’ils n’ont jamais exploité. J’espère que l’autre moitié aura compris l’importance de cette mise en perspective.

Notre humanité est définie par ce que d’autres appellent puissance mais ce que nous appelons normalité. C’est la deuxième puissance dont je veux vous parler, la Lecture, la Vision, Prophétiser, peu importe comment vous appelez ce don dont nous connaissons quasiment toutes les arcanes puisque nous la pratiquons depuis des siècles. Notre puissance, ce que notre peuple sait maîtriser depuis des millénaires maintenant. Il n’a pas été facile de l’appréhender, comme toute constitution, mais l’évolution faisant son œuvre, cette notion de vie plutôt que de mort nous a permis d’étendre les connaissances et d’apprendre de nous et de ceux que nous côtoyons à peine.

La puissance, l’idée même de puissance existe dans sa vision la plus manichéenne grâce à la faiblesse. Mais qu’est-ce qu’une faiblesse dans un peuple qui a appris à la contourner ? Des siècles plus tôt, des chercheurs, des scientifiques, des hommes d’esprit ont cherché à pallier cette maladie qui rongeait les habitants de l’île. Pas mortelle, évidemment – cela serait un contre-sens à tout ce que je m’emploie à vous expliquer –, mais qui est si douloureuse qu’il est impossible de ne pas s’évanouir de douleur à chaque fois que les pics atteignent leur acmé.

Je n’ai pas connu cette époque, mais cette maladie à elle-seule permet de mesurer notre puissance, que nous ne comprenons pas ; un homme du « continent principal », Calistrais, Hymolitese, qu’importe, aurait succombé à cette douleur, rendu fou de souffrance et d’illusions. Mais nous avons appris à contrôler cette douleur, par un lien devenu sacré entre la Nature et nous. Notre puissance n’est donc plus à démontrer.

Le terme puissance est fourre-tout, obscure, abstrait et surtout subjectif. Car il dépend de comment la personne définit la puissance, par rapport à son vécu, à sa vie et à sa mort, à ses compétences et ses qualités. La puissance est donc un sujet particulièrement ardu à aborder, d’autant plus lorsque le sentiment interfère.

Car l’analyse d’une personne, d’un concept – la puissance par exemple – est biaisée par le sentiment de ladite personne. Un homme qui a trimé toute sa vie, qui a laissé le désespoir l’envahir, le briser, abordera soit, très binairement, la vie ou du moins la fin de vie avec soulagement, soit avec colère. L’injustice de sa condition sera soulignée par la puissance d’autres. A l’inverse, celui qui se sera vautré dans la puissance toute sa vie, qui n’aura manqué de rien et qui aura laissé la joie bercer ses jours et ses nuits, accueillera la mort avec selon sa nature profonde – et donc le sentiment, l’émotion qui prime en lui –, sa cupidité qui l’entraînera à mépriser la mort, à la combattre ou au contraire à l’embrasser comme une vieille amie.

La puissance de l’homme, de l’humanité, n’est définie que par un ensemble de procédés qui appartiennent à chaque individu de cette humanité. Ce que je trouverais puissant ou grandiose n’aura pas la même valeur aux yeux d’un compagnon de voyage ou d’un pirate croisé en mer. C’est en fait le sentiment et la mort, il me semble, qui rythme et mesure le degré de puissance de chacun, par rapport à chacun. »

Réflexions des concepts du voyage et de la vie et de la mort, Chapitre XXIII, « Réflexion sur la puissance et sur son acception selon l’homme et sa propre force. », Ylne Ajter.

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