Chapitre 2

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Je déambulais dans les rues à peine éclairées, déséquilibrée par le poids de mon sac. Ma veste avait l’air d’avoir été piétinée et était tâchée de sang. Heureusement, le supplice fut de courte durée car j’arrivai rapidement devant le bâtiment huit. Je tapai le code pour ouvrir les portes et dus me résigner à prendre les escaliers pour monter les cinq étages, lieu où se trouvait mon appartement. L’ascenseur avait en effet été détérioré trop de fois, et aujourd’hui, plus personne ne semblait se soucier de le réparer. Malgré la douleur qui pulsait dans mes os cassés, je me trainai tant bien que mal jusque dans ma chambre et allumai les néons verts.

Habitant seule à mon âge, je ne pouvais me permettre d’avoir un palace mais mon habitation était tout de même confortable. Avec une légère angoisse, je me dirigeai vers le miroir de ma salle de bain pour observer les dégâts. L’œil fermé commençait déjà à virer au bleu et du sang s’écoulait de mon arcade sourcilière. Une importante entaille barrait ma lèvre inférieure mais le sang avait déjà commencé à coaguler. Le reste de mon visage était surtout enflé, remplit de bleus et de quelques petites plaies. Heureusement, je n’avais pas besoin de points de suture, seulement d’un bon désinfectant.

Je pris une douche en vitesse pour nettoyer mes blessures, les désinfectai et m’habillai d’un pull et d’un jean. Je me sentais un peu mieux et ma tête me faisait moins mal. Avec un peu de chance, il ne restera que certaines cicatrices demain, le reste sera redevenu normal.

Je n’avais pas vraiment faim, si bien que je m’assis en tailleur sur mon lit, un roman entre les mains, mes éternels écouteurs branchés. Cependant, mes yeux brûlaient de fatigue et devenaient de plus en plus lourd. C’est donc sans m’en rendre compte que je m’endormis.

Un doux vent me réveilla en faisant tournoyer mes cheveux noirs, qui vinrent me chatouiller le cou. J’avais dû laisser la fenêtre ouverte car le piaillement des oiseaux s’entendait un peu trop à mon goût. Mais c’est en posant la main contre ce que je pensais être mon matelas que je compris qu’il y avait un problème. J’ouvris immédiatement les yeux et la lumière du soleil m’aveugla pendant quelques secondes. J’étais en fait allongée à même le sol, sur de l’herbe rêche. Autour de moi s’étendait une vaste plaine, et derrière moi, une forêt aux arbres immenses.

— Dans quelle galère je me suis encore fourrée ? me demandai-je à moi-même.

Je me levai en époussetant mes vêtements, identiques à ceux que j’avais mis hier soir, quand mon souffle fut coupé. J’avais oublié l’état de mes côtes, elles souffraient le martyr. Je palpai mon visage, il n’était plus gonflé mais faisait encore mal.

J’étais certaine d’être restée chez moi hier soir. De plus, je n’avais ni bu, ni mangé, donc je ne pouvais pas avoir été droguée par quelqu’un. Il n’y avait alors aucune explication rationnelle qui expliquait comment j’avais pu me retrouver dans un endroit qui m’était inconnu.

Je fis un pas craintif, mais la douleur s’était par miracle estompée.

Au même moment, un craquement retentit dans le bois. Je me retournai brusquement mais rien ni personne ne bougeait donc je pris la direction de la plaine. Mais un mouvement que j’aperçus du coin de l’œil attira mon attention. Un arbre au tronc fin bougeait. J’allais reprendre ma marche quand je remarquai un détail. Attendez…depuis quand les arbres ça bouge ? Lentement, retenant ma respiration, je levai les yeux et étouffai aussitôt un hurlement. Ce qui avait bougé, ce n’était pas un arbre, loin de là. En face de moi, cinq pattes semblables à celles d’une araignée, mais hautes d’au moins six mètres, soutenaient le corps d’une créature dont je ne voyais que la bouche béante, remplie de crocs acérés.

Je restai paralysée de terreur, fixant cette chose, mais lorsqu’une autre patte se leva, je pris mes jambes à mon cou. Je ne sentais plus la douleur tellement la peur m’omnibulait, or ma vue recommençait à se brouiller. Je me trouvais maintenant au cœur de la vallée, complètement à découvert et toujours poursuivie par l’animal. Mais alors que je me voyais déjà morte, j’entendis le claquement des sabots d’un groupe de chevaux et aperçu une sorte d’armée d’hommes qui venaient dans ma direction.

— Noah et ton escadron, attaquez cette bête, hurla une voix d’homme. Rose ! Ramasse la fille !

Mes ultimes forces me permirent de ramper jusqu’aux pieds d’une femme aux cheveux bruns qui courait vers moi, avant de sombrer de nouveau.

J’étais réveillée depuis plusieurs minutes mais n’osais pas encore ouvrir les yeux. J’essayai d’écouter les bruits environnants pour me faire une idée de l’endroit où je me trouvais, mais rien ne se faisait entendre. La seule chose dont j’avais conscience était de reposer sur une planche en bois très désagréable et d’avoir les mains attachées entre elles. N’ayant entendu aucun son, j’étais persuadée d’être seule, si bien que je me décidai à ouvrir les yeux.

Un profond soupir m’échappa quand je compris que j’étais enfermée dans une sorte de cachot aux murs de pierres. Des barreaux laissaient entre-apercevoir un couloir en l’apparence vide éclairé par des torches. Aucune fenêtre sur l’extérieur. Je remarquai également que des bandages avaient été posés sur mes bras éraflés, ainsi que sur mon front : on m’avait donc soigné avant de m’enfermer. Merveilleux.

Je me dégageai de mon lit en bois pour me coller aux barreaux et tenter de voir ce qu’il y avait au fond du couloir. Deux gardes étaient tournés vers un escalier et n’avaient pas découvert que j’étais réveillée.

— Eh ! m’écriai-je. Les deux nabots, je vous parle.

L’un des deux se tourna vers moi sans toutefois me répondre alors que l’autre se précipita dans l’escalier, sans doute pour prévenir les hauts gradés.

Il redescendit peu de temps après, suivit de trois personnes. La première que je reconnus fut la femme aux cheveux bruns que j’avais vue avant de m’évanouir. Elle était assez grande et n’était cette fois, pas armée. Ses yeux noisette brillaient d’une lueur un peu folle et étaient camouflés par d’épaisses lunettes qui n’auraient pas détonné sur un savant fou. Elle m’adressa un signe de la main ainsi qu’un grand sourire en me voyant.

— Salut petit démon, s’exclama-t-elle, comment ça va ?

Je ne lui répondai pas. Je préférai détourner le regard en fronçant les sourcils lorsque j’entendis le surnom dont elle m’avait affublé. À côté d’elle se tenait un homme blond, très soigné et le regard droit. Il dégageait une aura de chef, tant par sa taille impressionnante que par sa posture mais ne paraissait pas méchant. Il se contenta de me fixer en se plaçant face à moi.

Enfin, la dernière personne était un autre homme qui ressemblait étrangement à celui que j’avais cru croiser dans la ruelle près de chez moi. Un peu plus petit que le blond, il me dépassait tout de même. Il s’adossa au mur en me scrutant d’un regard froid et vide d’émotion.

Les trois inconnus portaient tous la même tenue composée d’un pantalon et d’une veste noire au-dessus d’une chemise blanche. Un symbole était cousu sur la veste de chacun : un bleuet croisé d’un coquelicot.

Je ne savais pas où j’avais atterri, mais je ne comptais pas me laisser faire par ces étrangers. Accrochant mon habituel sourire sur mes lèvres, je me risquai à poser la première question.

— Je peux savoir où on est ? demandai-je avec calme au blond qui semblait être le plus sage.

Il n’eut pas le temps d’ouvrir la bouche que l’homme aux cheveux noir répliqua.

— C’est pas toi qui pose les questions ici.

Son ton était cassant et sans aucune pitié.

— Je t’ai pas causé le grincheux, rétorquai-je avec impatience, je veux juste savoir ce que je fous ici.

Ma voix était devenue glaciale et je le fusillai du regard. D’un mouvement rapide, il se décolla de son mur pour s’approcher des barreaux. S’ils n’avaient pas été là, il m’aurait déjà frappé, c’était certain. Heureusement, un éclat de rire détourna son attention. La brune était pliée de rire et dut même essuyer quelques larmes.

— Je l’adore déjà cette petite, c’est la première fois que quelqu’un te tient tête comme ça. On peut dire qu’elle n’a pas froid aux yeux, articula la femme entre deux hoquets.

— Rose, Noah, ne commencez pas avec vos histoires, s’interposa le seul qui n’avait pas encore parlé. Il se tourna ensuite vers moi pour se présenter. Je suis le colonel Priam et voici les commandants Noah et Rose.

— Enchanté, souriai-je sans me présenter. Je dois faire le salut militaire ou une révérence suffira ? ajoutai-je avec ironie.

— Tch, dis-nous plutôt comment tu t’appelles, me coupa le commandant.

— Moi c’est Sasha.

Après cette courte déclaration, les trois soldats me dévisagèrent en attendant que je développe. Cependant, je me contentai de me rassoir sur mon lit.

— Et ton nom de famille ? m’interrogea le colonel.

— Je n’en ai pas, je soufflai avec agacement.

Je les vis se jeter un regard perplexe entre eux mais ils décidèrent finalement d’abandonner le sujet, voyant que je n’en dirai pas plus.

— Dis-moi Petit Démon, comment tu t’es retrouvée dans cette plaine ? Et pourquoi dans cet état ? questionna Rose en montrant mes bandages.

— Je me suis battue contre un groupe de gars qui voulaient me tabasser, c’est tout.

— Et concernant la vallée ? insista Grincheux.

— Vous allez rire, commençai-je en paniquant, mais j’en ai aucune idée. Je me suis endormie dans mon lit hier soir et voilà que je me réveille dans l’herbe ce matin.

Je passai ma main tremblante sur ma nuque, geste que j’effectuais quand j’angoissais. Je savais qu’ils n’allaient pas me croire et leurs regards dubitatifs le confirmaient bien.

— À d’autres, dit le commandant Noah, ce qu’on te demande c’est la vérité alors réponds honnêtement avant que je commence à m’énerver.

Décidément, son air antipathique me tapait vraiment sur le système.

— Puisque je vous dis que c’est vrai, m’insupportai-je. Vous pensez réellement que j’ai envie de croupir dans votre donjon du moyen-âge plus longtemps ?

— Calme toi Mini Noah, m’interrompit la femme, on ne te veut pas de mal.

— Raconte nous ta version, ajouta Priam, on avisera après.

Résignée, je soufflai un bon coup et commençai mon récit des dernières vingt-quatre heures. Plus je relatais les évènements et plus leurs yeux s’écarquillaient. Enfin, je prononçai mes derniers mots et un silence s’abattit sur la pièce. Chacun était plongé dans ses réflexions. Ce fut Rose qui parla la première.

— Excuse-moi Sasha, mais qu’est-ce qu’un portable ? Et des écoutards ?

— Écouteurs, je la corrigeai en fronçant les sourcils. Vous ne connaissez pas cela ? Pourtant tout le monde en a de nos jours. C’est un appareil qui permet de téléphoner, d’envoyer des messages, jouer à des jeux et j’en passe. Les écouteurs sont branchés au téléphone et font en sorte que j’entende la musique directement dans mes oreilles.

Tous se regardèrent d’un air perdu, excepté Grincheux qui plissa les yeux en me dévisageant.

— Tch, je comprends rien de ce qu’elle nous raconte, souligna-t-il.

— Sasha, chuchota le colonel d’un ton doux, de quelle époque viens-tu ?

Mes yeux s’agrandirent de surprise. Non, non…ce n’était pas possible. Ce genre de situation n’arrivait que dans les livres. Je comprenais très bien où il voulait en venir mais je refusais d’y croire.

— Eh bien, rigolai-je nerveusement, nous sommes en 2021, n’est-ce pas ?

Ils reculèrent tous d’un même sursaut.

— Non…me répondit une voix vacillante, nous sommes en l’an 832.

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