Chapitre 31

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Noto fendait la foule, le front passant d’une émotion à l’autre, du souci à l’étonnement. Une adolescente était venue de l’auberge de Lilia, porteuse d’une étrange somation de se présenter, toute affaire cessante à la porte du jardin extérieur du bâtiment. Il connaissait le lieu pour en avoir longé quelques fois le haut mur. Fermer boutique en milieu de journée n’avait pas manqué de lui attirer les railleries des autres forgerons. Le message, sibyllin pour n’importe qui d’autre, lui fit comprendre que quelque chose était arrivé à Britess. Il portait simplement comme mention, le dessin de la fibule qu’il lui avait offert. L’adolescente le suivait tant bien que mal. Il ralentissait de temps en temps pour lui permettre de le rejoindre.

Ils arrivèrent enfin devant la porte basse. La jeune fille lui fit signe d’attendre là et avec une clef ouvrit. On lui tendit une longue cape.

— Mettez ceci. Avec la capuche. Aucun homme ne doit pénétrer le lieu.

— Je croyais qu’une barrière magique empêchait les mâles d’entrer.

Une voix sourde et agacée sortit de l’autre côté du mur.

— Passez le seuil, un point c’est tout. C’est bien la première fois que je vois un homme réfléchir autant.

Vexé, Noto passa l’habit et rabattit la capuche, cachant ainsi son visage et ses formes. Il entra mais sentit toutefois un léger picotement le parcourir quand il enjamba la fine ligne de couleur différente qui marquait la frontière avec le pavé de la ruelle. La patronne, les mains sur les hanches, le regarda avec un sourire narquois.

— Bel homme.

Elle lui fit signe. Ils traversèrent le jardin pour rejoindre le corps principal de l’auberge. Une femme qui ressemblait à Jadile gardait une porte qu’une artisane finissait de réparer. Hikari posa sa main sur son katana, le regard baissé.

— C’est bon, c’est la personne qu’elle a demandé à voir.

Hikari ne bougeait toujours pas. Noto cligna des yeux. Il fallait éviter de parler pour ne rien dire avec ces gens-là. Il s’inclina, les paumes de ses mains tendues devant lui : des mains d’homme.

Elle s’écarta.

Noto pénétra dans la chambre, retenant un hoquet de surprise. Britess, debout contre la fenêtre posa son doigt sur ses lèvres pour intimer le silence. La charpentière avait terminé. Elle essaya la porte deux ou trois fois puis quitta les lieux, fermant derrière elle. Hikari s’était glissé à l’intérieur, excluant toute autre personne.

— Noto ! Britess se précipita dans les bras de son visiteur.

Elle posa son front contre l’épaule de son ami. Interdit, Noto ne savait pas comment réagir. Il laissa parler son instinct et passa ses bras autour du torse de l’aventurière, la serrant tendrement pour la réconforter. Il ferma les yeux, goûtant l’instant présent, espérant qu’il durerait une éternité. Il pouvait sentir les formes de la femme contre lui, respirer le doux parfum qui nimbait ses cheveux. Britess se mit à parler et à raconter son histoire depuis le départ de Tola, s’agrippant à Noto comme à un pilier qui l’empêchait de sombrer dans un néant de folie.

Le silence qui s’ensuivit dura de longues minutes. Contrairement à toute attente, ce fut Hikari qui le rompit. Elle s’était approchée et dans un geste qui aurait pu paraître théâtral à quiconque ne connaissait pas sa culture, elle prit le fourreau de son katana et le tendit devant elle, en pliant le buste.

— Britess, je me suis trompée sur votre compte. À la lumière de votre récit, je découvre à présent votre rôle dans le maintien de l’unité de l’Empire du Couchant. Votre quête, futile, a failli vous coûter la vie. Vous avez besoin d’un garde du corps. Vous m’avez sauvé la vie en empêchant la pestilence de m’attaquer. Je vous suis redevable pour l’éternité. Quel est le nom de votre famille ?

Britess s’écarta de Noto, à contrecœur.

— Frédrikburg.

— Moi, générale Hikari du clan de l’Anthémis, devant mon honneur, je fais le serment suivant :

Je fais des cieux et de la terre mes parents.

Je fais du Monde ma demeure.

Je fais de mon honnêteté mon pouvoir divin.

Je fais de ma droiture ma richesse.

Je fais de ma personnalité mon pouvoir magique.

Ma vie et ma mort ne font qu'un.

Je fais de mon stoïcisme mon corps.

Je fais de l'éclair mes yeux.

Je fais de ma sensibilité mes oreilles.

Je fais de ma promptitude mes membres.

Je fais de mon autodéfense ma loi.

Je fais du droit de tuer et de protéger ma stratégie.

Je fais de la saisie instinctive de l'occasion mon dessein.

Je fais du respect de la Justice mon miracle.

Je fais de mon adaptation en toutes circonstances mon principe.

Je fais de la vacuité et de la plénitude ma tactique.

Je fais de mon esprit prêt à réagir mon talent.

Je fais de mon esprit mon ami.

Je fais de l'imprudence mon ennemi.

Je fais de ma bienveillance mon armure.

Je fais de mon esprit inébranlable mon château.

Je fais de mon non-être mon épée.

Je fais du Clan Frédrikburg ma seule famille.

Hikari attendit. Britess et Noto se regardaient, ne sachant que faire. Il lui fit signe de toucher l’arme. Britess fit non de la tête. Elle ne voulait pas qu’Hikari devienne une servante. Elle ne voulait pas lier quelqu’un à son destin. Les gens devaient être libres ! Elle gesticulait pour se faire comprendre. Hikari regarda discrètement par en-dessous. Elle souriait. Britess ne voulait pas de son allégeance. Cette femme aimait la liberté, que chacun puisse choisir son chemin. Soit. Hikari fit un pas en avant et s’arrangea pour que la main de Britess qui s’agitait en l’air retombe sur la garde de l’épée. Elle se releva, le visage illuminé.

— Le serment ne signifie pas que je suis votre esclave. Je suis votre égale. Je fais à présent partie de votre clan. Je participerai à vos aventures, et aux décisions si j’en ressens le besoin. Je suis libre, Britess. Mon choix n’est pas dicté par le sentiment d’être redevable, mais bien par l’inspiration que vous avez suscité en moi.

Touchée, Britess s’inclina profondément, aussitôt imité par Noto.

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