Chapitre 29

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La jeune femme suivit l’apparition, les yeux rivés sur le sol. La Mémoire s’arrêta et montra un carré dans le mur. Il invita Britess à y poser la paume de sa main. Avec un horrible grincement qui déchira le silence de la cité, un panneau bascula, révélant un escalier. Une faible lumière éclairait les marches immaculées, sans la moindre trace de poussière.

— L’éclairage provient d’une roche luminescente. Elle s’active en présence d’un être vivant en mouvement.

Britess fit mine de descendre, mais coinça discrètement un morceau de gravats pour empêcher que la porte ne se referme seule. Les parois, lisses, ne montraient aucune érosion. Un étage plus bas elle déboucha dans la salle où reposait la Mémoire. Elle resta sur la dernière marche. Le Premier flotta jusqu’au-dessus d’un sarcophage en verre, au milieu de la pièce. Elle pouvait clairement distinguer les traits de l’être qui y reposait, à tout point identique à l’apparition, dans la même tunique marron sur laquelle des fils orange formaient d’apaisants motifs. Dans l’arc de cercle au fond, une console métallique attira le regard de Britess.

— Ainsi vous êtes bien réel.

— Je suis dans un état second. Le cocon protecteur est une sorte d’isolant face au temps. Il me maintient en stase, comme coupé du monde. Je ne vieillis pas. C’est la machine derrière qui l’alimente. Kril le Mécamage en fut le créateur. Il possédait une clé, en forme de soleil qui permettait de gérer toutes les données inscrites là.

Britess fit le tour, longeant les murs, prenant soin de ne pas s’approcher trop près du sarcophage, un étrange pressentiment oppressant sa poitrine. La table en métal qui courrait en demi-cercle, à hauteur de hanche, était remplie de boutons, de manettes, de petits verres ronds encastrés qui indiquaient diverses mesures. Elle remarqua que les trois sur la gauche n’étaient pas au maximum et l’un d’eux avait une aiguille qui tressautait. Les indications étaient parfaitement lisibles. Elle remercia sa formatrice.

— Tu arrives à lire ce qui est marqué ?

— Absolument pas, mentit Britess en effleurant le mot « Puissance de Stase » dont l’indicateur flirtait dangereusement avec le zéro.

Elle se retourna. Le Premier se regardait à travers la bulle protectrice.

— Où est l’objet que Kril construisait pour toi ?

Il lui désigna d’un air distrait une porte sur la gauche.

Une fois l’hui poussé elle resta bouche bée devant ce qu’elle voyait. Ce n’était pas une pièce. Un passage faisait le tour de la salle, le long des murs. Au milieu, un trou d’un étage vers le bas. Au centre, un être de métal, massif, ressemblant à un homme en armure de combat. Il était inachevé, le côté gauche au niveau des épaules était manquant. Des câbles, des rouages s’offraient au regard éberlué de Britess. Dans son esprit ils s’assemblaient, faisaient sens. Elle comprenait exactement à quoi ils servaient et comment il fallait faire pour qu’ils fonctionnent. Sa main caressa le matériau froid et un frisson la parcourut, comme si quelque chose s’insinuait en elle à la recherche d’un élément, mais sans arriver à le trouver.

— Il voulait faire migrer mon esprit là-dedans.

Le Premier flottait à ses côtés.

— Je constate que tu n’as pas le pouvoir de Kril. Je pensais pourtant que tu serais celle qui changerait les choses.

Il soupira.

Britess suivit son regard vers le bas. Elle tressaillit quand son cerveau comprit ce qu’elle voyait. Une mare de peste de mana et ici et là les corps d’êtres imprudents qui s’étaient aventurés jusque-là, à moitié digérés, maintenus dans une certaine vie pour en profiter le plus longtemps possible.

— Tu as compris que je n’avais plus beaucoup de puissance n’est-ce pas ? Ces téméraires imbéciles m’ont nourri. La peste de mana a infecté les circuits de la machine qui alimente mon sarcophage. Grâce à elle, quand je lui donne à manger, elle transfère une partie de l’énergie vers moi. Une magnifique symbiose. Tu vas avoir l’honneur de m’offrir une dizaine d’années supplémentaires.

Britess prit appui sur sa jambe et s’élança. Sa course rencontra l’apparition et elle rebondit en arrière, presque assommée, le rire étonné de son ennemi dans les oreilles.

— Mais voyons, je suis solide ! Tu pensais que j’étais une sorte d’apparition. Je suis plus que cela. Je suis la quintessence de la magie d’une époque révolue. Tu crois que le Mécamage est venu ici par hasard ? Que ceux-là sont venus ici par hasard ? Que tu es venue ici par hasard ? Je vous ai fait venir ! Je peux vous sentir, vous les Nomics mécamages où que vous soyez sur cette planète.

Britess recula, se relevant difficilement, le souffle court.

— Quand j’ai su ce que Kril pouvait faire, je l’ai incité à venir m’aider. J’ai implanté dans son magnifique esprit le plan de nos armures de combats. Il a fabriqué ce réceptacle à l’image de celles que nous utilisions contre les Anciens et les dragons sur nos terres ancestrales. Bien sûr, à ce moment-là je n’étais pas encore, comment dire…

— Fou ?

— Je n’avais pas encore cette rancœur. Je voulais ce réceptacle pour m’enfuir, pour rejoindre les miens et vivre libre. Kril a été obligé de partir. Je ne me souviens plus s’il voulait revenir ou pas. Avec le temps, après l’explosion du dragon, j’ai essayé d’attirer des gens comme toi. Ils portaient tous la marque psychique du pouvoir, mais aucun ne l’avait vraiment. Tu étais si prometteuse.

Britess battait en retraite pour tenter de faire le tour de la passerelle.

— Bon sang, que tu peux être stupide à vouloir t’échapper ainsi. Allons, soit une nomic et meurt avec panache. Tu peux essayer de te battre si tu veux, si cela peut te faire plaisir. Au final, tu vas mourir. Point.

Britess courrait. Elle prit appui sur la barrière de protection et sauta sur l’armure géante. De bond en bond, elle se retrouva face à la porte. Dans un ultime effort, elle se propulsa de toutes ses forces vers la liberté.

Le pied du Premier la cueillit en plein estomac alors qu’elle atteignait la barrière.

Le cri de Britess, déchirant de désespoir, se répercuta longtemps entre les murs de cet affreux tombeau.

Son corps fut englouti quelques mètres plus bas par la peste de mana.

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