Chapitre 14

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Le chaman s’agenouilla, observant d’un œil expert les blessures de la femme. Elle devait être aux portes du Monde gris.

— Son nom ?

— Britess, souffla l’homme qui rangeait sa rapière.

Il portait l’insigne des membres du Tertre. Un allié.

Le chauve hocha la tête et extirpa une fiole d’un étui solide. Il la manipula avec précaution. Un liquide verdâtre et gluant s’écoula entre ses mains. Il traça des runes autour des blessures.

— Tenez-la. Je dois vérifier son dos.

Il fronça les sourcils. Avec cette lueur grise, il ne pouvait pas réellement en discerner les détails, mais il reconnut le tatouage, en même temps que Noto.

— La marque de Rorhak le maudit, murmurèrent-ils à l’unisson.

Le chaman se releva, s’essuyant les mains.

— Je ne peux plus rien faire d’autre. Elle est stabilisée. Je dois me reposer. L’usage de la magie runique, si loin de mes terres, m’épuise.

— Je peux vous héberger. Ma maison est proche et à l’écart de la ville. Personne ne viendra nous embêter. Les trafiquants de cadavres vont se charger des corps. Ne tardons pas.

La femme au chapeau de paille souleva délicatement Britess et la mit sur ses épaules. Ils suivirent Noto sur le petit chemin, ne rencontrant pas âme qui vive.

L’armurier ferma derrière lui.

Il alluma le feu, et ne fut nullement surpris de voir le chaman venir y chercher de la cendre pour s’en poser sur le front. Il mit de l’eau à bouillir. Britess reposait sur son lit. Le chauve l’ausculta une dernière fois et se tassa dans un coin, sur les couvertures prêtées par Noto. Il s’endormit presque aussitôt.

La guerrière et l’artisan restèrent seuls. Il lui proposa de la tisane, mais elle refusa. Elle ôta son chapeau. Il put enfin voir son visage dans son intégralité. Sa détermination se lisait dans ses traits fins et ronds. Ses yeux noirs sans le moindre sentiment se posèrent sur Noto. Elle ne le quitta pas du regard, refaisant par la même occasion le chignon qui retenait ses cheveux aussi sombres que le charbon.

Il avait compris que le silence était une qualité fortement appréciée par les membres de l’Empire du Couchant. Il plongea son attention dans sa tasse fumante. Britess occupait la totalité de ses pensées. Elle ne pouvait pas mourir. Il se surprit à adresser une prière au Manchot. Il joua avec la goutte d’eau qui était tombée sur la table. Les gens des Territoires n’avaient pas de religion. Depuis la Vague se rependait une tendance à invoquer le nom du Manchot lorsqu’un proche foulait le Monde gris. Certains affirmaient l’avoir réellement vu. Les archivistes recueillaient régulièrement des témoignages de ce genre. Fallait-il y voir l’émergence d’un culte ?

— Je dois me rendre à l’ambassade du Couchant.

Il releva rapidement le visage. La voix douce de la femme l’étonna. Il s’attendait à une voix rauque, martiale, comme le bruit d’un marteau sur l’enclume.

— Vous ne croyez pas que cela présente un danger pour vous ?

— Je suis capable de me faufiler jusque là-bas sans me faire repérer. Le retour prendra plus de temps. Je devrai m’assurer de ne pas être suivi. Vous resterez ici pour veiller sur Leil ?

— C’est son nom…

— Ne parlez pas pour ne rien dire. Je n’ai pas confiance en vous. Vous êtes un personnage qui cache trop de secrets : artisan d’après ce que je vois ici, fin bretteur lors du combat, lettré au vu des livres, des plumes et de l’encre, et écrivain régulier comme le montre la bosse à la dernière phalange de votre majeur. Leil m’a convaincu de vous accorder le bénéfice du doute. Il a tracé une rune de protection en entrant. Si jamais vous tentez de nous trahir, vous serez immédiatement transformé en un animal pustuleux.

Noto ne broncha pas. Il savait les Haches capables de jeter de tels sorts.

— Revenez avant le lever du jour suivant.

— Passez-moi des vêtements.

La femme quitta la maison, totalement méconnaissable.

Noto resta silencieux. Le chaman ronflait. Britess reposait dans une immobilité terrifiante. Il prit son journal et coucha sur le papier ses dernières aventures. Le Tertre montrerait de l’intérêt pour ce récit. Il décrit en détail la femme du Couchant après avoir fouillé minutieusement les vêtements. Il y avait des poches secrètes, des coutures suspectes. Il nota, dessina des schémas précis.

Vers le milieu de la journée, Leil se réveilla. Il se porta au chevet de Britess et l’examina. Il traça de nouvelles runes autour des blessures.

— Alors ?

— Les blessures mineures sont refermées. Par contre celle sur son bras… C’est comme si elle m’empêchait de la guérir. J’ai bien envie de lui retirer ce tatouage.

— N’en fais rien. Il faudra l’interroger à ce sujet avant et elle décidera.

Leil se tourna vers Noto :

— Que fait un Archiviste du Tertre aussi loin de chez lui ? Je croyais que toi et tes semblables viviez et mouriez au milieu des livres.

Noto baissa les commissures de ses lèvres. Ce petit futé avait aperçu son insigne, à n’en pas douter.

— Insolent. Je suis en mission. Tu me feras le plaisir de ne rien dire. Personne ne doit savoir qui je suis.

Leil hocha le chef. Cela valait un serment.

Britess poussa alors un gémissement. Ils virent une tâche grise orner le front de Britess. Leil l’effaça d’un doigt prudent.

— De la cendre ?

Elle ouvrit ses grands yeux émeraude. Le chauve lui sourit, soulagé.

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