Chapitre 6

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Les marteaux frappaient le métal à intervalles irréguliers, en laissant percer entre chaque coup la respiration rauque des soufflets. Quelques cris, des rires, commençaient à couler le long de l’artère où s’ouvraient les échoppes et ateliers comme des fleurs sous la chaude caresse du matin. Personne ne remarqua le pas en arrière de la femme devant le petit étal de l’étranger originaire des Territoires.

Britess avait rabattu sa cape devant elle, dissimulant la garde si particulière de son arme. La peur avait commandé son recul ; cette peur qui aveugle les sens, qui vous prend aux tripes, les tordant dans une brève, mais intense souffrance, vous laissant les yeux embués de larmes qui ne viennent pas. Sa main tremblait légèrement et son index, désolidarisé des autres doigts, tapotait contre son gré la gueule du dragon.

La curiosité la dévorait de l’intérieur. Tout son être tendait vers le savoir à sa portée. Il lui suffisait de poser la question. Elle redoutait ce que le forgeron pourrait lui apprendre. Cette épée n’était pas commune, elle s’en doutait. Mais de là à affirmer qu’elle était légendaire, il y avait un pas qu’elle n’osait pas franchir. Elle se voyait déjà précipitée dans quelque chose qui finirait par l’engloutir.

Gêné, Noto plissa les commissures de sa bouche vers le bas. La potentielle cliente le transperçait d’un regard brûlant de froideur. De la colère ?

— Je suis désolé, je ne voulais pas vous heurter.

Noto fit un pas en arrière, l’index et le majeur sur les lèvres, en signe de regret contrit. Un geste maladroit, car on ne l’utilisait que pour implorer le pardon à un personnage de haut rang. De le voir ainsi contrit, Britess ne put s’empêcher d’esquisser un sourire.

— Je tiens à vous présenter mes excuses. Si vous le permettez, je vais retaper votre armure de cuir. Gratuitement. J’en ai pour la journée. Passez la récupérer ce soir, au coucher du soleil. Vous pouvez l’enlever, là, derrière, il y a une petite pièce d’essayage.

Sans dire un mot, Britess réfléchit. Elle voulait en savoir plus sur l’épée, c’était indéniable. Elle avait besoin de gagner de l’argent, rapidement, et une armure en bon état lui serait utile. Pas d’illusions à se faire sur les boulots qu’elle pourrait trouver : la crise économique qui frappait l’ensemble du continent suite au manque de main d’œuvre avait concentré toute la force de production autour des villes et des métiers de première nécessité. Les bras pour les basses besognes faisaient défaut. Gardien des routes en était une. Manier une arme, elle savait faire. Tuer aussi.

À l’entraînement.

Tuer pour de vrai, c’était une autre histoire.

Le gars promettait de la rendre opérationnelle en une journée. Une proposition qu’elle ne pouvait pas refuser. Vu son talent, l’équipement serait entre de bonnes mains. Elle décida de lui faire confiance, espérant ne pas se tromper. Avec une discrète et longue expiration, elle rejoignit la minuscule pièce et défit les attaches sur son flanc gauche. C’était toujours un calvaire à enlever et encore plus à mettre. Elle grimaça quand sa poitrine ne se trouva plus compressée. Elle se massa doucement les seins pour les soulager. Son regard se posa sur un étrange objet dans un coin. Il était énorme, de la taille d’un veau, en métal. Des roues dentelées, en cuivre, dessinaient un schéma qui prenait sens dans l’esprit de Britess.

Jamais rien vu de semblable… Dans sa tête les rouages formaient des ensembles cohérents. Elle comprenait que cet outil fonctionnait grâce à ces diverses rondelles. Comment le savait-elle ? Sa perplexité n’avait d’égale que l’attirance pour ce… machin ?

Noto accepta l’armure, le visage toujours légèrement tourné vers le sol.

— Vous pouvez me dire ce qu’est ce machin dans l’arrière-boutique ?

— C’est un drôle de truc qu’un vieux fou du coin a construit pour moi. Quand il fonctionnait encore il actionnait le soufflet de ma forge. Mais j’ai donné un coup dessus, sans faire exprès. Depuis il est hors d’usage. Pas moyen de le réparer et le vieux a quitté la ville.

Britess hocha la tête.

— Ce soir, au coucher du soleil ? insista-t-elle.

— Je m’y mets tout de suite, madame…

— Britess.

Elle le regarda longuement étudier l’armure, prendre des mesures, sortir des outils, des fournitures. Au bout d’une dizaine de minutes, elle le salua et s’éloigna des quais, prenant la direction de la place centrale de Tola. Elle y trouverait facilement une mission à remplir auprès de la Garde impériale.

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