Chapitre 5

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Britess se réveilla avant les premiers rayons du soleil. Elle revêtit sa tenue de combattante, éprouvée par les années d’entraînement et les longues semaines sur la route. Les coutures, bien que solides, commençaient à se distendre ici et là. Elle passa le fourreau de l’épée à la hanche, chose peu évidente, car ceux de la Compagnie de la Vérité étaient prévus pour se porter dans le dos. Un hommage à la Reine Pourpre. Il faudrait aussi en acheter un plus approprié. Des dépenses dont elle ne pourrait pas, pour le moment, en assumer le montant. Il convenait de visiter les étals et aviser.

L’auberge dormait encore. Le chat noir à l’oeil gauche tâché de blanc miaula et vint se frotter à ses jambes quand elle traversa la salle en désordre. Britess mit les mains sur les hanches pour gronder le félin. Elle n’aimait pas les chats. Ils étaient trop mignons. Et elle, trop sensible aux chats mignons. Le sol était jonché de détritus. Le sourcil levé, Britess grimaça. Elle connaissait bien le travail de l’aubergiste, quand au réveil il découvrait, énervé, que les serveuses n’avaient pas pris le temps, la veille, de faire le ménage.

Elle soupira, posa son fourreau sur le bar avec sa cape de voyage, s’empara d’un torchon, d’une bassine d’eau et nettoya les tables et le sol, rangeant les chaises sur le bois propre. La jeune femme souriait, retrouvant les réflexes de sa prime jeunesse. Après une bonne heure de travail, elle remit délicatement la serpillière dans le placard à ménage. Le chat l’attendait à côté de ses effets.

— Comment t'appelles-tu ? Lilia nommait tous ses chats Hallebarde.

L'animal miaula.

— Par la Grande Hallebarde de Gor ! gronda-t-elle en imitant la voix nasillarde de son ancienne mère d’adoption.

Elle le poussa de dessus ses affaires, passa la cape pour cacher la garde de son arme et sortit.

La ruelle était encore plongée dans l’heure grise. Quelques touches orange, ici et là, laissaient deviner l’arrivée du soleil. Elle délaissa le marché pour se diriger vers le quartier des artisans, à l’Est, au bord d’Arone. Les étrangers disaient l’Arone, ou le fleuve Arone. Les gens du cru savaient, eux, qu’Arone était plus qu’une simple rivière. C’était le lit de la déesse éponyme. Les habitants des empires ne vénéraient pas de dieux en particulier. Pourtant, ceux qui vivaient sur les rives du plus long cours d’eau connu, n’hésitaient pas à adresser régulièrement une prière à Arone.

À cette heure matinale, les étals étaient encore presque tous fermés. Seules les armureries et les forges ouvraient avec le point du jour. Les coups sur les enclumes, les râles rauques des soufflets, les odeurs si particulières du métal fondu et des cuirs qu’on travaille envahissaient la rue. Les gréements des bateaux à quai crissaient au gré d’un vent léger. Parfois, une cloche résonnait, appelant les équipages sur les ponts.

Britess flâna, regardant les pièces, et demandant de temps en temps un prix. C’était largement au-dessus de ses moyens et de facture assez décevante. Elle s’arrêta devant le plus grand des ateliers. Une dizaine d’artisans suaient derrière les forges. La patronne s’essuya les mains sur le torchon accroché à son tablier. Elle aborda la cliente d’un salut bref.

— Vous cherchez quoi ?

— Une armure légère, solide…

— Vous avez les moyens de payer ? Ici c’est de la qualité. Nous sommes les fournisseurs officiels des soldats impériaux de la cité.

— J’ai cent grammes d’or.

— Passe ton chemin ma grande… Tu n’as même pas assez pour t’offrir une ceinture.

La patronne retourna donner des ordres. Britess haussa les épaules. Certes, c’était de la belle qualité, mais très en dessous de ce qu’elle portait. Elle continua vers le bord du fleuve. Un petit étal, coincé entre deux maroquiniers, attira son attention.

Un forgeron, visiblement de son âge, nourrissait une armure de cuir avec des gestes délicats. Il se tenait penché sur son ouvrage, ses cheveux bruns trempés de sueur, collés sur son front plat. Ses sourcils épais formaient comme une étrange bosse au-dessus de ses yeux aux longs cils. Son nez rond se plissait de temps en temps, en rythme avec sa bouche aux lèvres finement ourlées. Il n’y avait que très peu de marchandises exposées, mais d’une finition soignée qui interpellait le connaisseur. Elle toucha du doigt une chemise de mailles. La lumière joua sur la protection, ne renvoyant pas de reflets : une bonne chose. Il fallait éviter d’être un phare attirant les regards sur le champ de bataille. Ses doigts en éprouvèrent la solidité et la souplesse. Quelques détails comme le col en cuir doublé d’un tissu destiné à protéger le cou et absorber la sueur indiquaient le souci non seulement de l’efficacité de l’objet, mais aussi du confort de celui qui le porterait.

Le forgeron se releva, saluant la curieuse d'un mouvement respectueux de la tête vers le bas.

— Soyez la bienvenue chez Mastique et Fils. Je suis Noto, l’un des fils. Nous sommes une vénérable enseigne de marchands et artisans. Nous proposons des réductions sur nos prix à l’occasion de la récente ouverture de notre premier comptoir sur le continent des Empires.

— Je cherche à remplacer mon équipement.

— Avant d’entreprendre un quelconque achat, laissez-moi examiner vos affaires, gratuitement.

Il lui fit signe d’avancer. Britess passa les pans de sa cape derrière ses épaules et hocha la tête quand il lui demanda la permission de toucher l'armure.

— Vous ne trouverez pas mieux. Bien qu’un peu défraîchi, c'est d’une qualité rare. Je pourrai à la rigueur vous les remettre à neuf.

Il recula, regardant Britess dans les yeux, guettant la moindre réaction à sa phrase suivante, prononcée à voix basse :

— Comment se fait-il que vous portiez l’une des quatre lames légendaires de Lède ?

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