Prologue

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Orebrune, dixième jour du mois de Dajentent

Depuis plus de trois jours, le contour des hauts bâtiments d'Orebrune s'estompait dans la grisaille d'une bruine persistante, entrecoupée d'éclaircies blafardes et de violentes averses. Le froid s'était installé jusqu'au cœur de la pierre ; les cheminées fumaient à nouveau, comme pour saluer d'une triste bannière le départ de l'été.

Le feu qui brûlait dans la cheminée du bureau ne suffisait pas à tenir à l'écart la froide humidité qui s'infiltrait à travers les boiseries. Des candélabres chargés de cristaux luminescents palliaient l'absence de clarté, due autant à l'étroitesse de l'unique fenêtre qu'à la chape nuageuse.

Une pendule de bronze doré égrena l'heure avec monotonie. Palin releva les yeux de l'épais in-folio aux pages enluminées et ajusta les lorgnons derrière lesquels il dissimulait l'acuité de son regard. Ses prunelles d'un vert intense vinrent reposer sur la silhouette élancée qui se découpait en contre-jour devant les carreaux brouillés.

Se sentant observé, l'homme pivota brusquement vers lui. Son habit bleu mer, discrètement passementé d'or, soulignait le maintien rigide de son corps nerveux. La lueur blanche des cristaux accentuait les reflets argentés dans ses cheveux blonds légèrement ondulés, mais son visage osseux et ciselé n'offrait que peu de prise au passage des années.

« Je sais que vous désapprouvez ma décision, lança-t-il d'un ton sec.

— Oui, je la désapprouve, répondit Palin sereinement. J'estime que ce serait mal vous servir que me conformer à tous vos avis. »

Il prit le temps de refermer soigneusement l'armorial et de le repousser sur la surface marquetée du bureau avant d'ajouter :

« Contrairement à ce que vous croyez, il est plus facile de manipuler de près que de loin.

— Qui vous parle de manipuler ? Je ne souhaite pas jouer avec le feu. Juste l'étouffer avant qu'il ne me brûle. »

Malgré le ton brusque de ces paroles, les traits ordinaires de Palin ne trahirent aucune émotion – pas plus que sa voix quand il objecta :

« Ce n'est pas tant un feu qui couve qu'une eau qui dort. Et l'eau est plus difficile à combattre que le feu. On ne peut l'éteindre, juste la contenir... et s'en faire une alliée. »

Il laissa passer un moment de silence, légèrement troublé par le crépitement de la pluie contre les carreaux et les craquements du feu dans la cheminée.

« Il n'est pas trop tard, reprit-il enfin. N'attendez pas que ce soit le cas. »

Son interlocuteur croisa les mains derrière son dos et se retourna ostensiblement vers la fenêtre, comme s'il pouvait distinguer la ville au-delà du verre embué.

« Je ne prendrai pas ce risque. J'ai retenu les leçons du passé. »

À cet instant, Palin comprit qu'il ne pourrait ramener sur la voie de la raison cet homme écrasé par l'ombre de ses prédécesseurs, soumis à l'étrange enchevêtrement des contradictions qui le poussaient à mener un jeu qui le dépassait. Il posa les coudes sur le sous-main de cuir, joignit le bout de ses doigts et esquissa un sourire.

« Bien. Votre décision prévaudra et je vous seconderai au mieux. Mais je pense que vous perdrez... de toutes les façons. »

Il s'abstint de préciser qu'il envisageait cette perspective avec un cynisme d'esthète.

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