60. Arthur et ses femmes

10 minutes de lecture

Arthur

Ma mère est folle. Vraiment cinglée. Franchement, qu'est-ce qui lui a pris de venir dans le camp ? Elle est venue voir si je bossais bien ou quoi ? C'est un contrôle de mon boulot ?

- Avoue que ça te fait super plaisir de pouvoir passer les fêtes avec Maman. Un Noël comme tu en as rêvé toute ton enfance ! Ne fais pas ton hypocrite !

Si j'étais chez moi, c'est vrai que je serais le plus heureux des hommes. Mais là, difficile d'oublier qu'on est dans un camp de réfugiés et qu'elle est la cheffe des rebelles avec sa tête mise à prix. Surtout qu'elle ne prend aucune précaution. J'ai eu beau essayer de la dissuader, elle n'en a fait qu'à sa tête et est allée saluer chacune des familles du camp. A chaque fois, une petite question sur la vie quotidienne et un petit mot pour leur assurer qu'ils seront bientôt libérés. Comme s'ils étaient prisonniers ici ! C'est la guerre qu'il faut arrêter, et là, avec son attitude belliqueuse anti-gouvernement, ce n'est pas demain que ça arrivera.

Quand enfin on revient à notre tente, je suis ravi de retrouver Lila qui me saute dans les bras comme si ça faisait des lustres qu'on ne s'était pas vus. Quel plaisir de profiter de tant d'amour et de tendresse. Cette petite est vraiment la meilleure pour faire craquer mon petit cœur.

- La Lieutenant est pas mal non plus sur ce point là !

C'est vrai et je suis d'ailleurs surpris qu'elle ne soit pas encore là à faire la morale à ma mère. Elle doit être trop occupée à gérer le camp.

- Ou à s'occuper de son Sergent. Il n'était pas là non plus quand tu as croisé Justine. Bizarre…

Il faut que j'arrête de penser à ça. Le beau blond n'est rien pour elle. Impossible qu'il y ait un truc entre les deux officiers.

- Impossible, hein ?

Oui, aussi impossible qu'entre elle et moi, petite voix silencieuse. Pourquoi est-ce que ma conscience me met face à tant de dilemmes ?

- Maman, tu veux dormir ici ou bien sur le camp avec les autres ?

- Il y a un lit disponible ici ? Je ne veux pas déranger, mais j’aimerais rester avec Lila et toi.

- Pour toi, pas de soucis mais pas de place pour tes gros bras.

- Même pas pour Luka ? me demande-t-elle en faisant la moue.

- Tu vas déjà prendre la place de Dan. On ne peut pas faire dormir Luka dehors dans la neige quand même ?

- Très bien, soupire-t-elle. Alors, comment ça se passe ici ?

- Tu es venue faire ton inspection pour voir si je suis digne de ta réputation ? répliqué-je un peu brusquement.

- Quoi ? Mais non, enfin, Arthur ! Je voulais vraiment passer Noël avec toi, mon Chéri.

- Et pourquoi avoir fait le tour de tout le camp alors ?

- Eh bien, pour voir comment va tout le monde, savoir s’ils sont bien traités par les militaires. Je connais certains d’entre eux, je suis passée dire bonjour, rien de plus, Arthur.

- Vraiment ? Tu es juste venue pour moi ? m’interrogé-je sans vouloir y croire.

- Bien sûr ! Tu me prêtes des intentions que je n’ai absolument pas. Je voulais juste passer Noël avec toi, rien de plus. M’assurer que tu vas bien et te voir.

- Tu sais Maman, ça me fait vraiment plaisir, dis-je en venant la prendre dans mes bras. J’ai juste du mal à y croire.

Elle m’enlace dans ses bras et, une fois de plus, je me retrouve comme un gamin qui trouve le réconfort dans l’étreinte maternelle. J’avoue que je profite de tous ces instants comme si, à chaque fois, c’étaient les derniers. Je quitte ensuite à regrets ce moment de tendresse et rejoins Lila qui a commencé à rassembler du bois pour faire l’étoile. Elle a pris plein de morceaux de différentes tailles et nous choisissons ensemble les quelques bouts de bois que je relie avec un peu de corde. Alors que je sors de la réserve pour les activités éducatives, un pinceau et un peu de peinture, quelqu’un vient soulever la toile qui recouvre l’ouverture de notre tente.

- Tiens, voilà ta petite amie, dit ma mère à haute voix et en français. Ça va encore être l’heure des bisous !

- Ah non, Mamy, pas de bisous ici, répond Lila alors que je hausse les sourcils et les yeux.

Si les deux s’y mettent, on n’est pas sauvé. Ma mère doit toujours penser qu’on est en couple alors que Lila fait tout pour que nous le soyons. Ça promet, surtout si Julia est venue pour essayer de raisonner ma mère.

- Arthur, m’interpelle Julia en levant les yeux au ciel, est-ce qu’on peut discuter ?

- Bonsoir Julia, bien sûr, tu veux entrer ?

- Heu… Tu veux vraiment qu’on discute en compagnie de ta mère et de Lila ?

- Oh, c’est ce genre de discussions ? J’arrive. Lila, tu finis de peindre et on l’accroche quand je reviens. Maman, occupe-toi bien d’elle.

- Pas de bêtises, les amoureux ! se moque ma mère en riant.

- On va juste discuter, grogné-je en enfilant ma grosse doudoune et mon bonnet avant de rejoindre Julia qui m’attend dehors.

Elle me fait signe de la suivre et nous nous éloignons un peu de la tente. Il est difficile d’avoir de l’intimité avec tout ce monde concentré dans si peu d’espace, mais avec le froid qu’il fait, peu s’aventurent hors des tentes.

- Il va falloir que ta mère soit plus discrète à propos de… Nous deux. Si elle dit ça alors qu’un soldat est dans les parages, je ne donne pas cher de ma peau, finit-elle par dire.

- Maman, discrète ? Tu rêves, là. Tu aurais dû la voir quand elle a fait le tour de tout le camp en leur demandant comment ils allaient. J’ai cru qu’elle faisait une inspection de mon travail !

- Arthur, il faut que ta mère la joue discrète, elle va nous causer des ennuis, soupire Julia en s’arrêtant sur le chemin pour me faire face.

- Et tu veux que je fasse ça comment, concrètement ? Tu as vu le personnage, elle est incontrôlable !

- Je ne sais pas, c’est ta mère, bon sang ! Si mes hommes remarquent quelque chose, ils vont fouiner. Si les réfugiés parlent trop, ils vont s’interroger. Il faut vraiment être vigilants.

Je ne réponds pas tout de suite. Je frissonne dans le froid et mon regard se perd sur le camp qui est devant nous. Tout fonctionne plutôt bien et il est évident que l’entente entre Julia et moi y est pour quelque chose. Mais l’équilibre est fragile et l’arrivée de ma mère est un de ces éléments qui peuvent faire s’effondrer le fragile château de cartes que nous avons constitué à force de compromis et d’efforts. Je passe mon bras autour des épaules de Julia qui a l’air d’avoir froid aussi.

- Je crois que du côté des réfugiés, on sera tranquille. Ils ont l’habitude du secret. Pour ce qui est des soldats, tu penses vraiment qu’ils s’intéressent à ce qu’il se passe chez les réfugiés ? On est tranquille, non ?

- Arthur, une partie de mes hommes s’attend à ce qu’il y ait une révolte à chaque instant. Pour de la nourriture, du chauffage, de l’eau, n’importe quoi. Certains sont persuadés qu’il y a encore des rebelles ici. Ils font attention à tout, même s’ils te paraissent dans leur coin et détachés.

- Alors, on est dans la merde ? ris-je en lui frictionnant gentiment l’épaule qu’elle n’a pas dégagée de mon accolade, pour mon plus grand plaisir.

- Selon Snow, non, selon moi, oui… J’espère me tromper.

- Snow, Snow… Tu n’écoutes donc que lui ? m’énervé-je un peu.

- Cet élan de jalousie est tout à fait adorable, rit Julia après m’avoir observé en silence. Surtout si on considère que… Bref, j’écoute Snow parce que c’est un bon militaire et un ami, il va falloir que tu te rentres dans le crâne qu’il ne se passe rien entre nous. Enfin bon, je ne sais même pas pourquoi je me justifie.

- De toute façon, il ne se passe rien entre nous non plus, alors tu es bien libre de faire ce que tu veux avec ton Sergent.

- Arthur, tu as l’exemple même de pourquoi je ne veux rien de personnel pendant une mission, là. On parle boulot et tu ramènes ça à du perso, je ne peux pas être comme ça, je te l’ai dit, ce serait trop compliqué à gérer, soupire Julia en s’échappant de mon étreinte.

- Tu as sûrement raison, Julia, désolé de ne pas être aussi pro que toi. Tu veux essayer d’aller parler à ma mère ? Je ne vois pas trop d’autres solutions à nos difficultés.

- On peut toujours essayer, mais elle écoute autant qu’un gosse de deux ans, ça promet.

- Tu vois, j’ai de qui tenir ! rigolé-je en prenant son bras pour l'entraîner avec moi vers la tente où ma mère s’est installée.

Nous y retournons et c’est bien entendu Lila qui nous accueille en sautant comme elle le fait si bien dans les bras de Julia, son visage illuminé d’un grand sourire.

- Regarde l’étoile ! Toute dorinée!

- Elle est magnifique cette étoile ! Vous allez avoir le plus beau sapin du camp, s’exclame Julia en la serrant contre elle.

- Arthur, tu l’accroches ?

- Oui, Lila, par contre, on ne dit pas dorinée, mais dorée, tout simplement.

Je m’empare de l’étoile, me retrouve avec de la peinture plein les doigts mais procède quand même à l’accrochage de l’étoile tout en haut du sapin. Lila m’applaudit, vite rejointe par Julia, et je me retourne pour faire une petite révérence sous l'œil rieur de ma mère. Je me demande qui des deux femmes va commencer les hostilités.

- C’est normal que ce soit le plus beau sapin. Il y a tous les chefs ici, sourit ma mère avant de poursuivre en voyant l’air soucieux de la Lieutenant. Et je sens qu’il va y avoir un Conseil au sommet.

- Vous êtes perspicace, Marina, lui lance Julia avec un clin d'œil. J’aurais dû apporter le calumet de la paix, j’imagine. Ou du chocolat chaud.

- Vous pensez que je n’aurais pas dû venir, c’est ça ? demande ma mère, un peu agressive.

- Je pense que vous êtes là et qu’il faut faire avec, mais qu’on peut faire les choses avec discrétion…

- Je vis dans la clandestinité depuis trente ans, je n’ai donné aucune nouvelle à ma famille pendant tout ce temps. Je pense que je sais ce que c’est, la discrétion, répond ma mère toujours aussi vivement alors que Julia est plus dans l’apaisement.

- Je l’entends, je vous assure. Mais faire le tour du camp à peine arrivée, ça n’a rien de discret, Marina, avouez-le. C’est comme si vous affichiez fièrement que vous êtes une personnalité connue, ça risque de mettre la puce à l’oreille de certains de mes hommes.

- Je suis allée donner de l’espoir à tous ces pauvres gens déracinés et qui ont vu leur quotidien détruit. On est à Noël, si on ne donne pas cet espoir, autant arrêter la lutte. Et ils ne parleront pas, j’en suis convaincue.

- Maman, tu ne peux pas savoir ça. Tu sais bien qu’il y a des soldats qui ont des relations avec des réfugiés. Julia a raison, tu n’as pas été discrète du tout !

- Bon, eh bien je m’en vais dès demain matin, si c’est ce que vous voulez tous, répond-elle agacée par nos réactions.

Julia soupire avant d’éclater de rire. Ma mère est clairement contrariée et, elle, ça la fait rire ?

- Bon sang, Arthur vous ressemble tellement niveau caractère, c’est fou ! Pardon… Mais Marina, personne ne vous a demandé de partir, juste d’être au maximum discrète, tant dans votre comportement que dans vos paroles. Et ça vaut aussi pour votre façon de m’appeler. Si mes hommes entendent que je suis la petite amie de votre fils, moi derrière, je vais ramer comme pas possible.

- Les chiens ne font pas des chats. Comment je dois vous appeler alors si je ne dois pas dire que vous êtes la petite amie de mon fils ? Et je veux bien rester quelques jours si ça vous fait plaisir, mais je repars après Noël.

- Maman, Julia n’est pas ma petite amie. Nous sommes tous les deux responsables du camp, il ne peut rien y avoir entre nous, malheureusement.

- Mais moi, je veux vivre avec vous deux, dit Lila, qui s’était faite oublier, d’une petite voix tremblante.

- Lila, soupire Julia en s’asseyant sur le lit à ses côtés, tu sais, parfois il vaut mieux éviter ça. Arthur et moi on passe notre temps à se disputer, tu imagines si on vivait ensemble ?

- Vous ne vous disputez pas quand je suis là. Avec moi, ça ira, dit la petite pleine d’espoir.

- Lila, dis-je en m’agenouillant devant elle. Avec toi, tout est magique en effet. Mais tu ne vas pas rester avec nous toute ta vie, si ? En tous cas, grâce à toi, comme tu dis, tout le monde est réuni ici. C’est vraiment Noël et on va le fêter tous ensemble. Qui sait ? Un miracle se produira peut-être comme dans les films ? Peut-être que la jolie princesse tombera finalement amoureuse du Bûcheron comme dans les contes de fée ? rajouté-je sans oser regarder Julia.

- Hum… Il me manque un peu de magie à moi, j’ai besoin d’un câlin de la petite fée, je crois, sourit la militaire en caressant les cheveux de Lila.

- Mamy ! Arthur ! Tout le monde fait un câlin à Julia ! s’écrie la petite en ouvrant grand ses petits bras avec un tel entrain que nous sommes tous obligés d’obéir en souriant.

Ma mère se rapproche et se glisse entre Lila et moi alors que Julia a glissé un bras autour de mes hanches, l’autre autour de la petite fille. Tous ensemble, nous sourions et partageons ce petit moment d’intimité chaleureuse rendu possible par la petite fille orpheline qui sait ramener sourire et espoir chez chacun d’entre nous. Ça doit être ça le bonheur.

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0