58. Devine qui vient dîner ce soir ?

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Arthur

Le cri que pousse Lila me tire de la rêverie dans laquelle j’étais parti suite aux propos de Julia. Parce qu’en réfléchissant à ce qu’elle a dit, je crois bien avoir compris qu’elle s’était attachée à moi.

- Ou alors, tu n’as rien compris et elle est juste contente que tu sois son pote. Des fois, tu prends tes désirs pour des réalités, Tutur !

En fait, je n’en sais rien. Et là, j’ai d’autres problèmes à gérer. Comme de savoir qui est cette vieille femme que Lila a tout de suite reconnue et vers qui elle est en train de bondir. Elle l’a clairement appelée “Mamy.” En Silvanien, ça peut vouloir dire que c’est vraiment sa grand-mère ou alors toute personne âgée qu’elle a un peu connue. Mais si c’est ça, ça veut dire que les autres personnes présentes sont peut-être aussi de sa famille.

- Et toi qui t’imaginais déjà que tu allais pouvoir la recueillir. Tu es con des fois quand même ! Quand est-ce que tu reviendras un peu sur Terre avec tes condisciples ?

Des fois, on est bien sur la planète des rêves où tout est possible. Même si les retours à la réalité sont parfois difficiles, ces moments idéaux font du bien au moral. J’essaie d’oublier toutes ces pensées qui polluent mon cerveau et m’empêchent de m’ancrer un peu dans la réalité.

J’observe les Silvaniens qui viennent d’arriver. Ils sont tous bien emmitouflés dans de gros manteaux, tous ont la tête couverte de bonnets ou de châles. J’ai l’impression qu’il n’y a que deux femmes dans le groupe, ce qui est étrange, car d’habitude, nous recevons les femmes et les enfants, et les hommes sont moins nombreux. Là, aucun gamin, ce qui m’intrigue réellement. Je m’approche et m’adresse à eux en Silvanien.

- Bienvenue, amis voyageurs. Sachez que vous êtes ici en sécurité et que nous sommes là pour vous aider. D'où venez-vous ?

Un homme prend la parole et relève légèrement son bonnet pour qu’on puisse le voir. Il nous parle en Français, ce qui va permettre à Julia de participer à l’échange.

- Nous cherchons refuge. Nous avons été attaqués et nous ne savons pas où aller.

- Eh bien, bienvenue ici. Vous êtes au bon endroit. Je suis le responsable du camp et la Lieutenant est responsable de la sécurité et de l’armée présente.

- Merci. Après le chemin, un peu de repos nous fera du bien.

- J’imagine, intervient Julia. Mais, avant de vous permettre de manger et vous reposer, je vais vous demander de laisser mes hommes vous fouiller afin de nous assurer que personne ne risque rien ici. Ce n’est pas contre vous, c’est le protocole, d’autant plus que nous avons beaucoup d’enfants.

- Que voulez-vous que notre petit groupe fasse contre vous et votre armée, Lieutenant ? répond celui qui doit être leur chef.

- Vous avez déjà entendu parler du Cheval de Troie ? Il n’y a pas besoin d’être nombreux pour faire des dégâts, je ne peux pas me permettre de mettre en danger les personnes qui sont présentes sur le camp. Encore une fois, ce n’est pas contre vous, c’est le protocole.

- Mais Julia, c’est pas un cheval, c’est Mamy ! l’interrompt Lila en souriant et en continuant à enlacer la vieille dame.

- Je suis ravie que tu aies retrouvé ta grand-mère, Jolie Lila, sourit Julia à son tour en s’approchant d’elles avant de s’adresser aux autres Silvaniens. Les règles sont les règles, je vous en prie. Je ne voudrais pas vous remettre dehors par ce temps et vu les risques dans la région.

Je me rapproche de la mamie car j’ai envie de lui parler, mais un des hommes lève son bras et me stoppe fermement dans mon approche. Je repousse son bras et fais tomber son bonnet. Quand je vois de qui il s’agit, j’écarquille les yeux. Ce n’est pas possible. Il fait quoi ici lui ?

- Mais qu’est-ce que tu fais là ?

- Ben c’est Noël, il fallait que je vienne te voir, cousin !

- Luka ? Mais alors, ne me dis pas que…

- D’accord, je ne le dis pas.

Je regarde vers la vieille dame, intrigué. Comment se fait-il qu’elle soit la mamy de Lila ? C’est impossible. Je me tourne vers Julia pour voir si elle est arrivée aux mêmes conclusions que moi, mais me retrouve emprisonné dans les grands bras de mon cousin qui me fait un gros câlin.

- Bordel de Dieu, soupire Julia en nous rejoignant. Je finirai en taule à cause de ta famille, Arthur, y a pas moyen.

- je crois qu’on finira tous en taule si ça continue, ruminé-je. Maman, c’est bien toi ? Tu fais quoi ici ?

La vieille femme soulève son châle et me sourit. Je reconnais tout de suite ses traits et n’ai plus de doute. La Gitane est parmi nous. Dans ce camp où l’armée française règne. Mais elle est folle ou quoi ?

- Eh bien, c’est Noël, mon fils. Le premier que je peux passer avec toi depuis plus de vingt ans, je ne vais pas laisser passer cette occasion, quand même !

- Vous êtes d’un égoïsme sans nom, Marina, marmonne Julia, visiblement en colère. Vous abandonnez vos enfants pendant des années sans donner de nouvelles et aujourd’hui vous mettez en danger militaires et réfugiés en vous pointant ici pour goûter aux joies d’un Noël en famille ? J’y crois pas ! Pardon, Arthur mais… Ah ça m’énerve !

- Julia, je ne mets personne en danger. Le Gouvernement n’attaquera jamais ce camp sous le drapeau de l’ONU. Et clairement, les rebelles non plus. Le camp n’a jamais été si sûr ! Vous pouvez dormir sur vos deux oreilles et nous laisser profiter un peu de la famille.

- Bien sûr, c’est vrai qu’ils ne se sont pas gênés pour négocier avec mon supérieur et emprisonner le chef de l’ONG présent ici ! Je vois que le pays des Bisounours, c’est de ta mère que tu le tiens, Arthur… Donnez-nous vos armes et pliez-vous aux règles du camp, on a déjà suffisamment attiré l’attention comme ça, dit Julia alors que je vois Snow avancer vers nous.

Ma mère lui jette un regard noir, mais j’interviens avant qu’elle ne réagisse.

- Julia, si tu veux bien, on va mettre leurs armes en sécurité dans notre tente. Et toi, Maman, sache que tu n’as rien à craindre. Julia assure la sécurité sur le camp. Si tu veux rester, il faut que les armes nous soient confiées.

- Hors de question que je reste dans le camp sans avoir au moins un garde du corps armé. C’est trop risqué.

- Marina, il n’y a aucun risque. Aucun soldat ne vous attaquera et je doute que les rebelles le fassent. Vous n’avez jamais été autant en sécurité qu’ici. Vous pouvez dormir sur vos deux oreilles et profiter un peu de la famille, se moque Julia en faisant signe à ses hommes d’approcher. C’est non négociable, sinon vous passez Noël sans votre fils. Chacun son tour de faire régner sa loi, apparemment, à la différence que vous avez choisi d’être ici, vous.

- Arthur, j’aime bien ta petite copine, elle me plait beaucoup, me surprend-elle à répondre en souriant et en faisant signe à ses hommes d’obtempérer.

- Y a un problème, Ju ? intervient Snow en se plantant à nos côtés.

- Aucun problème, Mathias. Fouillez-les et donnez-leur le nécessaire pour être au chaud et à l’abri. On vit vraiment dans un monde de dingues…

Je ne sais toujours pas pourquoi Lila a appelé ma mère Mamy, mais ce qui est sûr, c’est qu’elles se connaissent. J’observe silencieusement alors que les armes du groupe sont remises à Snow qui en fait un inventaire, étonné, et qui dévisage maintenant le groupe de manière plus approfondie.

- Snow, ne fais pas cette tête là. C’est ma mère, la dame, au milieu du groupe. Tu vois pourquoi les armes, alors…

- Bon Dieu, sérieusement ? Mais… Qu’est-ce qu’elle fout là ? Vous êtes vraiment des tarés dans ta famille, c’est pas possible, s’esclaffe-t-il.

- Ben, c’est Noël, c’est tout, ris-je. Allez, maman, je t’invite dans ma tente de luxe. Tu devras tout m’expliquer !

- Bien sûr, mon Chéri. Julia vient avec nous ? me demande-t-elle en récupérant Lila dans ses bras.

Je viens serrer ma mère et Lila dans mes bras et jette un œil à Julia lui faisant comprendre que c’est à elle de répondre à la question posée. Moi, je profite de ce petit moment de chaleur avec ma génitrice.

- Je vous laisse en famille… Profitez bien, on se voit plus tard, répond-elle en tournant déjà les talons.

- Viens dîner avec nous, lui lancé-je avant qu’elle ne s’éloigne trop. Ou viens juste après, j’ai… Ça me ferait plaisir de te voir.

J’ai failli exprimer mon envie de la serrer dans mes bras, mais devant tout ce monde, ce ne serait pas raisonnable.

- D’accord, je verrai ça… N’oubliez pas de finir de décorer le sapin, dit-elle en faisant un clin d'œil à Lila.

Je la regarde s’éloigner avec Snow et les militaires, et je m’occupe d’emmener les nouveaux “réfugiés” jusqu’aux espaces encore libres dans le camp. Je fais exprès de les mettre un peu loin des autres pour éviter trop de rapprochements avec les anciens du camp, mais c’est peine perdue. Sous les bonnets se trouvent d’anciens habitants des tentes et bientôt une rumeur emplit les allées sur leur retour. Tu parles de discrétion !

Ma mère et Luka me suivent avec Lila jusqu’à la tente que je partage avec Dan et la petite fille depuis quelque temps. Ma mère s’installe sur le lit avec une Lila qui ne la quitte pas. Je soupire.

- Tu m’expliques pourquoi elle t’appelle Mamy ?

- Lila est la fille de ton cousin Sullivan.

- Non ? Sullivan le roux ? Celui qui m’autorisait à aller dans sa cabane dans les arbres ?

- Oui. Il est… Malheureusement parti, dit-elle en serrant Lila dans ses bras. Il y a quelques mois.

- Il est parti où, Papa ? demande Lila, surprenant ainsi ma mère par sa maîtrise du Français.

Je la regarde avec douleur et pitié. La pauvre va apprendre que son père est mort. J’espère que l’on va quand même retrouver sa mère, sinon elle va se retrouver orpheline.

- Ton père nous a quittés, ma Belle, il ne reviendra pas, dit-elle avec douceur. Il a rejoint ta mère dans les nuages. Mais tu n’es pas seule, tu vois ?

- Je sais qu’il est parti, sinon ça fait longtemps qu’il serait venu me retrouver, répond-elle innocemment. Et oui, je ne suis pas seule, j’ai Arthur et Julia qui s’occupent de moi !

- Tous les deux ? Vous vivez ensemble et ouvertement ? me demande ma mère étonnée.

- Euh, non, du tout. A part autour de Lila, j’ai passé très peu de temps avec Julia depuis que nous nous sommes retrouvés ici. Elle a… Fermé la parenthèse si tu vois ce que je veux dire.

- Je vois tout à fait ce que tu veux dire, mon garçon.

Elle me tend alors ses bras et je viens rejoindre Lila dans une étreinte chaleureuse qui nous rassemble tous les trois. Il n’y a pas à dire, il n’y a rien de mieux qu’une maman pour soigner les cœurs blessés.

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