51. Justifications à la pelle

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Julia

- Tu veux dire que tu as fait tout ça dans mon dos ?

J’observe Mathias, installé sur mon lit comme si c’était le sien, alors que je noue mes cheveux et ferme mon treillis. Je ne pouvais pas ne pas lui dire. Impossible de lui cacher quoi que ce soit, d’autant plus que les informations glanées lors de mon séjour avec les rebelles ont leur importance. Oh, je n’ai pas grand-chose, je le sais. Mais cette guerre me semble de plus en plus complexe et je déteste quand tout n’est pas clair.

- Je ne voulais pas t’impliquer, Mathias. Hors de question que tu sois dans la merde avec moi si je me faisais griller.

- Je n’arrive pas à croire que Zrinkak soit le fils de la Gitane. Et toi, tu organises tout ce truc sans rien me dire !

- On s’est promis la protection mutuelle, non ? Je t’ai protégé, c’est tout.

- Non mais tu te rends compte de ce qui aurait pu se passer ?

- Oui, j’en ai conscience, mais je ne pouvais pas laisser Arthur aux mains du Gouvernement, je te l’ai dit et répété.

Arthur… Arthur, que j’ai traité comme un moins que rien il y a de ça quelques heures, comme si rien ne s’était passé entre nous. Arthur que j’ai renvoyé dans ses vingt-deux mètres, comme si nous n’avions pas partagé d’étreintes brûlantes qui réchauffent encore ma peau rien que d’y penser. Je suis définitivement une enflure.

Snow m’observe en silence avant qu’un soupir ne s’échappe de ses lèvres, lourd et significatif. Je lève les yeux au ciel et viens m’asseoir à ses côtés, prête pour la leçon de morale. Ou pas, ma patience a ses limites.

- Tu te rends compte que tu as mis ta carrière en danger pour ce gars qui n’avait sûrement pas besoin de toi pour se sortir des griffes du Gouvernement ? Tu aurais dû laisser les rebelles gérer sa libération !

- Ils ont tout géré, je n’ai pas fait grand-chose, hormis leur donner l’heure et faire en sorte que ce soit nous qui fassions le transfert. Arthur n’y est pour rien si sa mère est la Gitane, cet acharnement du Gouvernement est injuste et je déteste l’injustice.

- Et pourquoi tu n’as pas fait jouer ton côté soldat de l’ONU pour qu’ils ne te fassent pas prisonnière aussi ?

- J’aurais bien aimé t’y voir, tiens, j’ai pas trop eu le temps de m’exprimer. C’était pas prévu, ça, je te l’ai dit… J’aurais dû rester avec les autres. Bref, Arthur m’a quand même plus ou moins sauvé les miches.

- On dirait qu’il le regrettait tout à l’heure, vu son regard de tueur porté sur toi. Tu ne l’as pas assez remercié ? C’est pour ça qu’il est de mauvais poil ?

- Non, non je l’ai remercié, expliqué-je en rougissant légèrement. Il n’a pas dû apprécier que je lui donne un coup et le maîtrise devant les flics silvaniens, j’imagine…

Ou pas vraiment apprécié que je le traite comme de la merde, au choix…

- En même temps, ajouté-je, il est allé dire que j’avais fait du gringue au rebelle pour le maîtriser. Moi ! Comme si ma seule force, c’était mon charme. Bordel, tu te rends compte de l’image de la femme qu’il a ? Il méritait bien de finir lui-même maîtrisé.

- Ah la la, on voit qu’il ne te connaît pas bien et qu’il ne sait pas ce qu’il t’est arrivé en Afghanistan, soupire-t-il. Parce que là-bas, tu n’as pas simplement fait semblant de te déshabiller, et voilà qu’il te fait recommencer, juste pour le plaisir ! Quel con ! Tu aurais dû profiter de votre petit séjour chez les rebelles pour le laisser te découvrir un peu plus !

- Ouais, bon… Je vais aller appeler le Colonel, marmonné-je pour changer de sujet alors que pour une fois ce n’est pas le sujet de cette ancienne mission qui me donne envie de dévier la conversation. Tu sais qu’Arthur s’est quand même interposé alors que trois couillons de rebelles m’avaient coincée ? Ce séjour chez les rebelles aurait pu être aussi désagréable que l’Afghanistan s’il n’était pas intervenu. Pire, peut-être…

- Lui tout seul ? Contre trois rebelles ? Tu rigoles ou quoi ? Il ne ferait pas de mal à une mouche ! C’est quand même pas un super héros ! Pourquoi tu le défends comme ça ? me demande-t-il, intrigué.

- Je ne le défends pas, je t’expose les faits, c’est tout. Qu’est-ce que tu vas t’imaginer ?

- Moi, je n’imagine rien. Je devrais peut-être ? me questionne mon sergent et ami, toujours aussi perspicace.

- N’imagine rien, ça vaut mieux, je t’assure, ris-je.

- D’accord, parce que j’imaginais déjà un petit bisou le soir au clair de lune, rit-il. Tu vois, j’ai une folle imagination !

- Tu as une imagination bien chaste, mon p’tit, crois-moi !

Il se redresse sur le lit et me regarde en ouvrant grand les yeux. Puis, il les plisse et son attitude me fait rire tellement j’arrive à lire sur son visage les différentes émotions qui le traversent. Il est d’un naturel rafraîchissant, surtout après les échanges que j’ai eus avec les soldats du Gouvernement qui jouaient au bon flic et mauvais flic, à dire des vérités et contre-vérités.

- Ne me dis pas que tu as déconné à ce point-là ?

- Je ne te le dis pas alors, me moqué-je en me levant.

- Julia, tu es encore plus folle que je ne le croyais. Et je suppose que tu l’as largué avant de rentrer, ce qui explique que notre barbu te fait la gueule…

- Bien vu… Tu m’énerves à me connaître aussi bien, ça me donne envie de te coller au trou. Je lui ai dit qu’ici, c’était impossible, mais il n’a pas intégré les choses. Et son coup du charme pour nous sortir de là, ça m’a gonflée comme pas possible. Donc oui, j’ai dû être plutôt désagréable…

- La voix de la raison t’a rattrapée ! Mieux vaut tard que jamais ! En tous cas, Ju, tu sais que je suis là, si tu as besoin de parler. Je sais rester discret !

- Attends, tu ne m’engueules pas ? Mais… Où est passé mon ami ? Qu’avez-vous fait de Snow ? me moqué-je en lui donnant un coup d’oreiller en plein visage.

- Eh ! Mais quelle violence ! rit-il en attrapant l’oreiller. Je crois que je suis trop content de te revoir en vie et en bonne santé et que je me ramollis. Mais tu ne perds rien pour attendre ! Je vais te surveiller. Si tu fricotes encore avec le civil, gare à tes fesses !

- J’ai hâte de voir ce que tu leur réserves, ris-je en ouvrant la porte de mes quartiers, tombant nez à nez avec Arthur.

Super… Voilà le genre de moment qui met très à l’aise. Surtout vu le regard qu’il me lance après avoir regardé derrière mon épaule et constaté que Mathias est là, toujours sur mon lit. Je sens qu’il va encore s’imaginer plein de choses sur notre compte.

- Prêt à discuter avec le Colonel, Arthur ? lui demandé-je.

- Oui, moi au moins, je me suis préparé à l’entretien et n’ai pas passé mon temps à batifoler avec mes collègues, me répond-il avec amertume.

- J’ai pris une douche pour me réchauffer et débriefé avec Snow. Arrête de te faire des films, je ne baise pas partout où il y a un lit, soupiré-je avant de lui passer devant pour entrer dans la salle des opérations.

- Ah, excuse-moi. Si pour toi le faire dans la douche à la place du lit, ça excuse tout, alors je m’incline. Mais bon, la parenthèse est fermée, tu fais ce que tu veux. On lui dit quoi au Colonel ?

Mais c’est pas vrai ! Il interprète vraiment tout ! C’est vrai que ce que j’ai dit pouvait porter à confusion, mais quand même ! Comme si la première chose que j’allais faire en retrouvant mon second, c’était de baiser avec lui.

- Même discours qu’avec les flics, marmonné-je. Je te laisse lui raconter comment je me suis à moitié déshabillée pour charmer les rebelles, puisque ça t’a inspiré.

Il lève les yeux au ciel, un peu exaspéré, et je récupère l’ordinateur avant de m’installer sur la table de réunion en lui faisant signe de me rejoindre. Snow s’assied face à nous pendant que je lance l'appel en visio au Colonel. J'espère qu'il ne va pas poser trop de questions, je suis fatiguée et je n'ai pas envie d'avoir à me justifier encore et encore.

- Bonjour Colonel, dis-je en le voyant apparaître à l'écran.

- Bonjour Lieutenant. Je suis content de vous revoir saine et sauve ! Je n’aurais pas aimé perdre quelqu’un de mon équipe pour sauver un civil imprudent.

- Imprudent ? commence Arthur en s’énervant alors que Snow pose une main sur son bras pour le calmer et me laisser parler.

- Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, Mon Colonel. Je n'ai sauvé personne, je me suis moi-même retrouvée captive des rebelles. Rien de glorieux, soupiré-je théâtralement.

- Et vous croyez que c’est la version que je vais donner à nos supérieurs, Lieutenant ? Que vous n’avez pas su protéger un convoi avec un prisonnier, que vous avez vous même été faite prisonnière et que vous vous êtes sauvée grâce à vos fesses ? tonne-t-il. Si vous voulez qu’on nous remplace par des troupes allemandes mieux disciplinées, vous me le dites tout de suite. C’est clair ce que je dis ?

- Si je peux me permettre, Colonel, il aurait fallu une armée d'une centaine d'hommes vu le nombre de rebelles qui nous est tombé dessus, marmonné-je, vexée et agacée.

- Est-ce qu’au moins vous avez ramené des informations intéressantes ? Parce que sinon, je vais compter ces quelques jours sur vos vacances, Lieutenant.

- Colonel, moi, je m’en fous de vos ordres. Je m’en fous de vos commentaires. Je suis un civil et je vais faire mon rapport au siège de l’ONG. Sans mentir. Alors, arrêtez de jouer au gros dur, car nous, là, on est fatigués, nous nous sommes échappés tout seuls comme des grands, alors, elle est belle l’armée française ! Putain, on n’a pas besoin de vos critiques de planqué !

Je jette un regard ahuri devant l’intervention d’Arthur, visiblement excédé de tout ce qui est en train d’arriver. Snow lui aussi n’en revient pas de la tirade qu’il vient d’entendre et me regarde en haussant les épaules.

- Qu'est-ce que vous attendez de moi, concrètement, Colonel ? lui demandé-je. Monsieur Zrinkak a raison sur un point, cette captivité a été épuisante et j'aimerais pouvoir me reposer et reprendre mon poste au plus vite au sein du camp.

- Monsieur Zrinkak ferait mieux de se calmer, sinon il ne va pas rester longtemps au camp. Alors, tout le monde se calme et on reprend de zéro. Désolé, mais votre histoire nous met tous en difficultés, j’espère que vous le comprenez. Alors, juste quelques questions. Pourquoi cet acharnement contre vous, Monsieur Zrinkak : le Gouvernement, les rebelles, mes soldats, tout le monde a envie de vous avoir rien que pour eux, non ?

Arthur me regarde et visiblement, il compte sur moi pour répondre à mon chef. Il s’est renfrogné et continue de lancer des regards entre Snow et moi, sûrement en train de ruminer des pensées impures sur nous deux plutôt que de se concentrer sur l’entretien avec le Colonel. Des fois, je me dis que je ne comprendrai jamais les hommes et leur jalousie !

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