49. Charme tout en maîtrise

11 minutes de lecture

Julia

Bordel, qu’est-ce qu'il caille ! Heureusement, nous sommes un peu protégés par les rochers, mais le petit vent qui vient de la montagne est vraiment désagréable. J'ai le bout des doigts gelé et je ne parle même pas de mes pieds. Une horreur. Je crois que je préfère encore la chaleur étouffante de l'Afghanistan en plein été à ce froid qui me paralyse alors que nous ne sommes là que depuis trois heures à peine. Arthur dort à mes côtés, paisiblement, sans doute fatigué de la marche. Il s’est calé contre le caillou frais et je meurs d'envie de me lover contre lui pour que nous partagions le peu de chaleur qu'il nous reste.

Si j’avais été seule, j’aurais sans doute continué ma route jusqu’au village, quitte à risquer de nous faire canarder, mais je l’ai vu grimacer à plusieurs reprises. Sa jambe est encore douloureuse, et on ne peut pas dire que je l’ai laissé se reposer tranquillement la nuit passée, alors il valait mieux se trouver un coin tranquille. Je sais qu'il a compris que j’imposais déjà de la distance entre nous. Ce n'est pas très sympa pour lui, mais je n'ai pas le choix, il en va du bon fonctionnement du camp. Et puis, je ne peux pas me permettre d'être distraite comme lui peut l'être. Regarder les étoiles ? Bien sûr, et pourquoi pas un petit dîner romantique, tant qu'on y est ?

En parlant de dîner romantique, je commence à avoir sérieusement faim. Je récupère les conserves que Marina nous a données et m’attèle à préparer un petit feu minuscule pour éviter de nous faire repérer, mais pour manger chaud malgré tout. Je joue la cheffe cuistot avec mes petits pois-carottes avant de tenter de réveiller Arthur avec douceur.

- Arthur, murmuré-je à son oreille en le secouant légèrement.

- Hmph, grogne-t-il sans bouger.

Je n’ai absolument aucune volonté, parce que je l’embrasse sur la joue et me presse contre lui sans hésiter.

- Réveille-toi, le repas est prêt, jolies fesses.

- Le repas ? Déjà ? grommelle-t-il dans sa barbe avant de se retourner vers moi.

- Oui, c’est chaud, ça va nous faire du bien. Tu n’as pas trop froid ?

- Tu veux me réchauffer ? me demande-t-il, espiègle, en m’enlaçant avant de déposer un petit bisou sur mon nez tout froid.

- Je veux manger et dormir un peu aussi, dis-je en nichant mon nez dans son cou. Mais si tu es trop fatigué, je peux continuer à surveiller pendant que tu te reposes.

- Oh non, je peux prendre la garde après manger. Toi aussi, tu dois te reposer. Et je te réchaufferai si tu as froid.

- Il faut aussi qu’on se mette d’accord sur ce qu’on va dire quand nous serons interrogés. Ils risquent de chercher la petite bête, la moindre faille. Tu es prêt à revivre ça une fois de plus ?

- Oh tu sais, moi, je vais la jouer comme toujours. Rêveur et perdu. Pas besoin de beaucoup de détails, ça a le don d’exaspérer les enquêteurs, mon manque de précision !

- Je ne suis pas sûre que ce soit l’idéal, soupiré-je en me redressant pour récupérer une conserve que je lui tends. Ils peuvent te faire croire plein de choses, je veux bien que tu fasses comme tu l’entends, mais ils vont chercher quand même. Ils pourraient par exemple chercher à te faire croire que je veux tout avouer pour m’éviter la prison, ou tout te mettre sur le dos, tu vois ?

- Tu veux qu’ils me mettent quoi sur le dos ? Moi, le pauvre responsable d’ONG balloté d’un camp à l’autre, je suis un pauvre malheureux ! Heureusement que j’ai été sauvé par la belle, la formidable Lieutenant qui a bravé tous les dangers, rajoute-t-il en me faisant un clin d'œil.

- Arthur, tu veux bien être sérieux un peu ? Si on n’est pas raccord, ils ne vont pas croire à notre histoire. J’aimerais bien éviter la taule, personnellement.

- Ah la la, il faut être sérieux, ce soir ? Bien, je t’écoute. Raconte-moi ce qu’il s’est passé ! Et ce sera aussi mon histoire.

- Il faudra que tu en dises plus que moi, puisque tu parles le Silvanien. Tu auras forcément compris plus de choses que moi. Il faut que tu leur dises que les rebelles étaient fiers de pouvoir te ramener à la Gitane, et que si j’étais prisonnière aussi, c’est parce que je dirige le camp et que je travaille avec l’armée. Pour le reste, tu te cantonnes à ce qu’on a dit sur le trajet, les yeux bandés, l’impression de tourner en rond. Et surtout, tu ne craques pas, même s’ils te disent que je suis prête à te balancer, ou je ne sais quelle connerie. Je serai une tombe, peu importe de quoi ils me menacent, je me cantonnerai à notre version. Ok ?

- Oui, j’ai compris. Ça devrait aller. Mais je persiste à dire que jouer à l’idiot du village, ça a du bon, parfois. En tous cas, je ne craquerai pas non plus, sois en assurée.

- Je te fais confiance, dis-je après l’avoir observé quelques secondes dans la pénombre.

- Alors, à table. Ce restaurant a cinq étoiles. Mais pas au guide Michelin, juste dans le ciel au-dessus de nos têtes !

- Bon appétit, jolies fesses, souris-je en me calant contre lui.

- Bon appétit, Julia. Ce petit repas va laisser des souvenirs impérissables, c’est sûr !

- Y a toujours pire. Après tout, on ne fait que mourir de froid et être quasi dans le noir. Tout roule. Je crois que ce sont les meilleurs petits pois que j’ai mangés de ma vie.

- Les meilleurs ? Moi, je ne dirais pas ça. Par contre, je n’en ai jamais mangé en aussi bonne compagnie, me dit-il en souriant.

Je ne vais jamais tenir toute la nuit comme ça. Pas alors que je meurs d’envie de l’embrasser, de me retrouver tout contre lui, de profiter de ses caresses, ses baisers. Pas alors que je veux jouir encore avec lui.

Je soupire en prenant une nouvelle bouchée de ce repas presque aussi peu goûteux qu’une ration de l’armée. Quand je dis que je suis dans la merde, je vise juste.

Nous terminons de manger en silence et je me cale contre la pierre pour dormir à mon tour quelques heures alors qu’Arthur monte la garde. Je suis toujours aussi frigorifiée lorsqu’il me réveille pour le tour de garde suivant, et décide de marcher dans la zone où nous nous trouvons pour tenter de me réchauffer.

Je réveille finalement Arthur alors que le soleil est à peine levé et nous reprenons notre marche en direction du village. Je crois que je regrette la cave, au moins il y faisait bon. Un soupir de soulagement m’échappe lorsque nous apercevons enfin notre destination, et nous descendons la petite colline avec un élan retrouvé lorsqu’un véhicule de police s’engage sur la route que nous venons de rejoindre. Ils sont rapides ici, nous n’avons même pas atteint le panneau que déjà nous sommes repérés. Je lève les mains en l’air lorsque la voiture se gare à quelques mètres de nous et espère que tout va bien se passer. Je ne peux pas dire que j’ai un mauvais pressentiment, mais je sens que tout ne va pas être rose.

Les deux policiers qui sortent de la voiture n’ont pas l’air aimable et ils nous mettent en joue et approchent en parlant en Silvanien. Bordel, j’espère qu’ils ont des notions d’anglais ou de français, parce que ça va vite me gonfler. Je jette un œil à Arthur qui lui est resté tranquillement à les regarder venir, comme si de rien n’était, comme s’il était en train de faire sa petite promenade du dimanche. Il est timbré, ce mec !

- Ils disent quoi ? m’énervé-je contre lui.

- Ils demandent ce que tu as à te reprocher, me répond-il en souriant, visiblement très amusé par la situation, et si je souhaite qu’ils te fassent un interrogatoire pour savoir avec qui tu m’as trompé. Je crois que tu peux baisser les bras, en tous cas. Ils ne vont pas nous tirer dessus.

- Bordel, si tu leur expliquais la situation au lieu de faire le malin, là ? On n’a pas la journée, marmonné-je en baissant les mains sans quitter des yeux les deux types face à nous.

Il se tourne alors vers eux et baragouine dans sa langue avec les deux policiers qui le regardent, l’air ahuri. Je crois que nous sommes tombés sur deux gars pas bien malins, juste assez sérieux pour tenir le poste dans ce petit village. Je perçois néanmoins qu’ils deviennent de plus en plus sérieux au fil du récit, jusqu’à ce que l’un d’entre eux se mette à me crier dessus.

- Wow, qu’est-ce qu’il lui prend ? demandé-je à Arthur sans plus bouger.

- Ils ne m’ont pas laissé le temps de finir mon histoire. Ou alors, c’est que j’ai mélangé des mots en Silvanien. Là, je crois qu’ils te prennent pour une rebelle et qu’ils sont prêts à t’arrêter. Ne bouge pas, je vais essayer d’arranger le coup !

- Non mais t’es sérieux Arthur ? C’est vraiment pas le moment de merder, là !

- Ça va, ça va. Je fais ce que je peux ! Pas facile de leur faire comprendre que nous, on est les gentils et qu’on s’est évadé ! gronde-t-il avant de reprendre ses échanges en Silvanien.

Je constate que l’un des deux policiers continue à me regarder avec suspicion et je vois que mon acolyte est en train de mimer une scène où on peut l’imaginer tenir un fusil et menacer quelqu’un. Il fait ça tellement bien que le premier policier se recule et le met à nouveau en joue ! Il faut qu’il réagisse, là ! Ou alors, peut-être attend-il que je vienne le sauver ?

- Mais qu’est-ce que tu fous ? bougonné-je entre mes dents en lui faisant baisser les bras. Arrête tes conneries. Ça t’arrive jamais de faire les choses normalement ? T’es dingue, c’est pas possible !

- Ben, il faut bien que je leur explique ce qui est arrivé ! Tu m’as dit de mettre des détails, et là, je raconte comment tu as réussi à t’emparer du fusil du méchant rebelle et comment tu l’as maîtrisé quand il a essayé de te sauter dessus. Bref, arrête de m’interrompre, sinon demain, on sera encore là !

Le deuxième policier, celui qui ne me quitte pas des yeux, m’aboie alors dessus, visiblement énervé par je ne sais quoi. Je lève à nouveau les mains en soupirant, et fusille Arthur du regard, fatiguée.

- Dis-lui qu’il m’emmerde à me gueuler dessus, je comprends rien à ses conneries !

- Ouh là, doucement ! Lui crie pas dessus, c’est lui le chef des deux ! Il faut l’amadouer, sinon jamais ils vont nous ramener au camp ! Fais lui un sourire, sinon je ne réponds plus de rien !

- Un sourire ? Tu veux pas que j’aille lui tailler une pipe tant que tu y es, non ? Comme si j’allais sourire à ce type qui me crie dessus comme si je n’étais qu’une merde insignifiante.

- Julia, fais-moi confiance, s’il te plait. Ça ne coûte rien, un sourire… murmure-t-il visiblement inquiet de me voir refuser de lui obéir comme ça.

- Tu veux dire à part mon amour propre ? soupiré-je avant de faire un sourire au flic qui tout de suite se détend et me répond par un grand sourire bénet.

Arthur pousse un grand ouf de soulagement avant de continuer ses explications. Tout à coup, il se tourne vers moi, et quand je vois la petite lueur dans ses yeux, je me demande ce qu’il est encore allé inventer. Autant je le trouve craquant quand il s’occupe de réfugiés, autant j’ai presque envie de le fusiller quand il s’occupe des relations avec les forces de sécurité locales.

- Le chef, là, il veut que tu lui montres comment tu as fait pour détourner l’attention du garde. Je n’aurais peut-être pas dû dire que tu…

- Que Je quoi ? Qu’est-ce que tu as raconté comme connerie ? m’agacé-je.

- Que tu lui avais montré ta jolie épaule toute nue, débite-t-il à toute allure sans oser me regarder. Si tu lui montres, on a le droit à un petit tour en carrosse à gyrophares et à un aller simple vers notre campement. Sinon, il nous fout en prison, continue-t-il sans tourner ses yeux vers moi.

Je l’observe, dubitative. D’un côté, je me dis qu’il est complètement frappé, et de l’autre, j’ai presque envie de le remercier de ne pas avoir dit que je lui avais montré mes seins, au garde dont j’ai soit disant détourné l’attention.

- Non mais… J’y crois pas ! Qu’est-ce qui t’a pris ? J’ai une tronche à faire un striptease devant n’importe qui ? Putain, je peux t’assurer qu’après ce coup là, tu n’es pas près de me revoir à poil, Zrinkak ! Tu déconnes, rassure-moi ?

- Je crois que je me suis laissé emporter par mon histoire, Julia… Désolé. Mais il faudrait vraiment pas trop tarder à faire ce qu’il demande si tu ne veux pas qu’on se retrouve dans des geôles silvaniennes. Quoique, je n’ai pas encore essayé celles-là, ça va manquer au guide que je vais pouvoir faire à la fin de la guerre.

Je soupire lourdement et lui tends mon majeur avant de déboutonner le haut de ma veste de treillis devant lui, sous les yeux des deux flics qui me répugnent plus que jamais à cet instant. Je fais passer le col sur mon bras, découvrant mon épaule et affiche une moue charmeuse jusqu’à ce qu’Arthur sourit en me regardant avec un peu trop d’envie en approchant d’un pas. La vengeance n’a pas besoin d’être froide, j’agis rapidement et avec agilité. Je lance mon genou et le plante dans sa cuisse avant de le maîtriser et de me retrouver dans son dos, ses poignets dans mes mains que je remonte dans son dos jusqu’à l’obliger à s’agenouiller.

- Autre chose, Monsieur Zrinkak ?

- Non, non, ça ira, je crois qu’ils ont compris, souffle-t-il alors que les deux policiers m’applaudissent comme les imbéciles qu’ils sont sûrement.

- Ne me refais jamais un coup pareil, soupiré-je en relâchant ses poignets, sinon je t’assure que c’est dans tes bijoux de famille qu’atterrira mon genou.

Arthur se relève en grimaçant et je m’en veux presque de l’avoir maîtrisé, mais il l’a bien cherché. Il parle à nouveau avec les deux imbéciles qui finissent par nous faire signe de monter en voiture. Je me rhabille correctement avec l’impression d’avoir dû payer de mon corps et je déteste ça. Je n’ai rien demandé, moi, et je me retrouve à devoir jouer la chaudasse devant des inconnus pour payer notre passage. Je n’adresse la parole à personne durant le trajet en voiture en direction du poste ; de toute façon, les deux abrutis ne me comprendraient pas. Quant à Arthur, j’espère pour lui qu’il saura se faire pardonner. Je déteste qu’on m’utilise de la sorte, et c’est encore plus désagréable quand c’est une personne en qui on a confiance qui nous met dans ce genre de positions.

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0