42. Une soirée presque normale

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Arthur

Julia frappe à la porte d’entrée alors que ma colère, déjà présente depuis les révélations de ma mère, s'intensifie de plus en plus à l’idée qu’elle nous a abandonnés pour une rébellion faite de violeurs et de criminels. Et qu’elle s’amuse à me faire croire qu’on va avoir une relation normale alors qu’elle profite que je sois occupé ailleurs pour mettre dans un cachot la femme qui… Qui est quoi d’ailleurs ? Mon distributeur de bisous ? Ma partenaire ? Oh la la, j’ai mal à la tête rien que d’y penser !

- Tu as mal à la tête car tu t’es pris un coup de poing en voulant jouer au sauveur, Tutur.

En tous cas, je n’ai pas fait que jouer. Sans moi, Julia passait à la casserole. Et pas avec un mec, mais avec trois ! Pas sûr que cela lui aurait fait plaisir à la militaire ! Bref, j’ai pas assuré derrière, mais quand j’ai écouté mon instinct, ça a fonctionné ! C’est fou comme j’étais prêt à braver toutes les épreuves quand j’ai découvert qu’elle était en danger.

Lorsque ma mère nous ouvre la porte, je lui lance un regard que je veux le plus noir possible, mais elle ne s’en rend même pas compte, absorbée dans ses pensées.

- Vous êtes déjà de retour ? nous demande-t-elle, surprise.

- Vous auriez de la glace ? Votre fils est un héros qui s’est pris un coup, lui demande Julia en montrant du doigt mon visage.

- Tu as été te fourrer dans quel mauvais coup encore, toi ? m’interpelle ma mère comme si j’étais toujours un gamin de dix ans.

- Maman, je ne suis plus un gamin. Tu as vu comment tu me parles ? Et puis, franchement, les mauvais coups, c’est quand même plus toi et tes hommes qui les font, non ?

- Mes hommes et moi ? Mais de quoi tu parles, enfin ? Je t’ai expliqué que vous deviez rester là pour votre sécurité et la nôtre, mais que vous n’étiez pas prisonniers.

- Ah oui ? C’est pour ça que tes sbires ont mis Julia en prison et ont essayé de la violer ? Elle est belle la sécurité ! Elle est magnifique la cause pour laquelle tu te bats et nous a abandonnés !

- Je te demande pardon ? m’interroge ma mère après m’avoir regardé, dubitative, durant un moment. Mais je n’ai jamais demandé à ce que la Lieutenant soit arrêtée, je t’assure ! Et jamais je ne cautionnerais le viol, enfin ! Pour qui tu me prends ?

- Pour la cheffe d’une bande de grognards qui ne pensent qu’à leurs instincts animaux, bordel. Tu vois pas mon cocard ? Si j’étais pas intervenu, ils auraient sauté sur Julia ! Dis-lui, Julia, moi, apparemment, elle ne me croit pas !

- C’est vrai, soupire Julia avant de se tourner vers moi. Mais… Ta mère ne peut pas contrôler les actes de chaque personne ici… Elle n’y peut rien, pour la partie dégueulasse tout du moins… Pour le reste, je n’en sais rien. Toujours est-il que sans Arthur j’aurais sans aucun doute fini en piteux état, c’est clair.

- Alors, c’est toujours du n’importe quoi ce que je dis ? rajouté-je en la fusillant du regard.

Elle nous regarde l’un après l’autre, visiblement choquée par ce que nous venons de lui dire. Ses yeux lancent des éclairs et tout à coup, elle explose et crie en Silvanien à l’homme que je n’avais même pas vu, installé sur l’un des canapés.

- Jose, tu me trouves les connards qui ont essayé d’abuser de la militaire française et tu me les mets au cachot. On organisera le jugement demain.

- Qu’est-ce qu’elle raconte ? me demande doucement Julia, les sourcils froncés pendant que le fameux Jose se lève et sort comme si nous n’existions pas.

- Elle va faire enfermer ceux qui ont essayé de te violenter. Et ils seront jugés demain. Ils risquent la mort, selon moi.

- Oui, ces porcs vont crever, intervient ma mère en français.

- Eh bien, ça ne rigole pas ici… Est-ce qu’on peut enfin avoir de la glace pour Arthur, en attendant qu’ils passent l’arme à gauche ?

- Oui, je vais voir ce que je trouve pour mon fils. Même si ça lui donne un côté mauvais garçon, non ? rajoute-t-elle en riant.

- Effectivement… Et encore, vous ne l’avez pas vu s’attaquer à l’enfoiré qui me tripotait…

- Ouais, vu son état à mon garçon, il n’a pas dû s'attaquer bien fort !

Je n’ai pas le temps de répondre qu’elle se penche vers son petit congélateur et en sort un sac de petits pois surgelés qu’elle me tend sous les yeux amusés de Julia. Je grogne pour le principe, mais le froid que je ressens quand je pose le sac sur ma mâchoire et mes yeux me fait un bien fou.

- Je ne suis peut être pas aussi brutal que tes hommes, mais n’empêche que je lui ai fait manger la poussière à ton armoire à glace.

- Allez, viens t’asseoir mon héros, me dit Julia en m’attirant sur l’un des canapés avant de s’installer à mes côtés.

- Julia, je suis désolée pour ce qui vous est arrivé. Je vous promets que je n’ai donné aucun ordre pour vous enfermer. Vous êtes vraiment libres de partir quand vous voulez. Mais si j’étais vous, j’attendrais quand même demain matin, là, il commence à se faire tard.

- J’ai besoin d’un peu de temps pour réfléchir à comment rentrer, si vous le permettez. J’aimerais bien éviter que l’armée ne me tombe dessus, ou tombe sur le dos d’Arthur. Il faut qu’ils croient que nous étions réellement prisonniers. Si seulement vous aviez respecté votre part du contrat de A à Z…

- Je ne pouvais pas prendre le risque de vous laisser libre, Lieutenant. C’était trop dangereux. Avec vous en prisonnière, même si c’était un piège, on avait plus de chances de ne pas se faire canarder par le Gouvernement ou votre armée. On tient à nos vies, vous savez, on évite de se mettre en danger, sinon la rébellion mourra avant de réussir.

- Je tiens à ma vie aussi, et je vous ai fait confiance, soupire la Lieutenant en soulevant doucement le sachet de petits pois avant de me tirer la langue, mutine.

Je souris et lui tire à mon tour la langue avant de venir lui voler un bisou. Lorsque je reprends position sur le canapé, je constate que ma mère n’a pas perdu une miette de notre échange et sourit. Je m’adresse à elle.

- Maman, il faut que je dise à Sylvia que tu es en vie. Je n’ai pas le droit de lui cacher. Ça peut tout détruire, les secrets. Je crois que tu le sais trop bien, n’est-ce pas ?

- Je ne peux pas t’en empêcher, Arthur, soupire-t-elle, mais ce n’est pas une bonne idée. En tous cas, si tu le fais, utilise une application codée. Pas envie que nos ennemis sachent où je suis.

- Je vous prépare à dîner et vous dormez ici ce soir ? demande-t-elle en souriant.

- Si tu veux. De toute façon, pas sûr que l’on ait vraiment le choix. Ça manque un peu d’hôtels dans le coin.

- Et le souterrain n’est pas très accueillant, ajoute Julia. Je ne sais pas comment font les gens pour dormir sous terre, beurk…

- Ah, je suis désolée, mais tous les abris pour dormir sont sous terre ici. J’ai une chambre pour vous aussi, mais c’est à la cave. Ça évite de se retrouver mort sous un bombardement, vous savez ?

- Ouais, juste enterrés vivants quoi, marmonne-t-elle en frissonnant. Le bonheur !

- Ne t’inquiète pas, tu as ton super héros qui t’aidera si ça arrive.

Profitant que l’attention de ma mère soit prise dans la préparation du repas, je me serre contre Julia, passe mon bras autour de son épaule alors qu’elle vient nicher sa tête dans mon cou. J’en arrive presque à oublier la guerre. C’est un peu comme si j’étais avec ma petite amie en visite pour la première fois chez ma mère à qui je l’ai présentée. La normalité de cette situation est un vrai délice dans cette période trouble et j’en profite à deux cents pour cent.

Le repas se passe tranquillement et ma mère nous explique tous les combats qu’elle a pu mener depuis son entrée dans la résistance. Elle ne parle jamais de rébellion, mais toujours de résistance, et comme elle nous le fait remarquer, les mots ont un sens. Un résistant, c’est quelqu’un d’admirable. Sa lutte est justifiée. Quand je la vois aussi passionnée alors qu’elle raconte ses batailles, ses luttes, son envie de changer les choses, je commence à comprendre le dilemme qu’elle a dû vivre toute sa vie, entre son exaltation pour la cause qu’elle défend et l’amour de sa famille.

Une fois le repas terminé, je me mets à la vaisselle alors que Julia et ma mère se retrouvent sur le canapé. Elles se parlent doucement et je ne parviens pas à saisir ce qu’elles se racontent. Tout ce que je sais, c’est que je dois être au cœur de pas mal de leurs discussions quand j’entends leurs petits rires et vois leurs regards vers moi. Je leur en veux un peu de cette complicité qui semble si naturelle alors que je n’ai jamais pu partager de tels moments avec ma mère.

- Tu nous montres nos chambres, Maman, s’il te plait ? J’ai besoin d’un peu de repos après toutes ces émotions.

- Oui, suivez-moi, c’est en bas des escaliers.

- Oh bordel, vous ne plaisantiez pas ? lui demande Julia en grimaçant.

- Non, c’est bien en bas que nous dormons. Je vous confirme, Julia.

- Ça va aller, Julia. Demain, on rentre et on retrouvera nos lits, tu verras, ça va aller.

- Hum, bougonne-t-elle en nous suivant dans les escaliers bon gré mal gré.

Lorsque j’arrive en bas, je suis ma mère dans la petite pièce dans laquelle débouchent les marches en bois.

- Derrière la grosse porte, là où il y avait le cellier, c’est ma chambre. Vous, vous pourrez vous installer ici en attendant.

- Heu… Y a qu’un lit ? Bordel, le plafond est bas, j’ai l’impression d’étouffer moi là-dedans, soupire la Lieutenant en se laissant tomber sur le matelas.

- Oui, il n’y a qu’un lit, mais il est grand et confortable. Et vu comment vous vous bécotez, ça ne devrait pas trop vous gêner d’être serrés comme ça, si ?

- Maman ! Je n’ai jamais partagé un lit avec Julia ! S’il n’y a pas d’autre solution, je vais dormir dans le canapé à l’étage. Comme ça, je ne dérangerai pas.

- Eh bien, tu es un imbécile mon fils. Avec une femme comme ça, il ne faut pas perdre de temps ! Sinon, quand tu seras décidé, elle ne sera peut être plus disponible !

Voila ma mère qui se met à me donner des conseils sur ma vie sexuelle. Cela ne fait pas vingt-quatre heures qu’elle est de retour dans ma vie, et déjà je suis embarrassé par certains de ses propos. Je suis surpris de voir que ça n’a pas l’air de déranger plus que ça Julia qui, par contre, ne quitte pas le plafond des yeux.

- Je ne dors pas ici toute seule, finit-elle par dire. Franchement, Marina, entre vos portraits chelous accrochés partout et cette cave, heureusement que vous êtes souriante, parce que l’accueil est particulier.

- Eh bien, voilà qui est réglé. Pour information, c’est ma chambre qui est là, à côté. Ne soyez pas trop bruyants cette nuit !

- Maman ! Arrête ! Tu me mets mal à l’aise !

- Eh bien, il va falloir te décoincer, mon fils. Tu es en Silvanie, et je rajouterai même en Silvanie libre. Alors profites-en ! Servez-vous dans la commode pour les vêtements, et là se trouvent une douche et des WC, dit-elle en montrant du doigt la porte près du lit. Bonne nuit !

Sur ces derniers mots, elle pénètre dans sa chambre sous nos regards ébahis. On entend la grosse clé tourner dès qu’elle referme la porte derrière elle. Nous voilà seuls dans cette cave, près de ce grand lit où trône une belle couverture jaune. Nous nous regardons et devant l’incongruité de la situation, nous éclatons de rire. La nuit promet d’être intéressante !

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