40. Elle va sévir, la Mama

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Arthur

Maman est là. A côté de moi. C’est incroyable, ça. C’est juste impossible. Je me demande quand je vais me réveiller de ce rêve qui prend une tournure des plus improbables. Parce que là, franchement, mon cerveau me joue des tours. Je regarde ma mère et j’hésite toujours entre deux sentiments. La colère d’abord. Parce que si c’est vraiment elle, pourquoi n’était-elle pas là quand j’avais besoin d’elle ? Quand j’ai eu mon premier chagrin d’amour, où était-elle ? Et quand Papa est mort, pourquoi ne l’a-t-elle pas accompagné ? Pourquoi nous a-t-elle abandonnés ? C’est ça qui m’énerve le plus. Comment peut-on préférer une cause, si noble soit-elle, à sa famille ? Cela me tue de savoir qu’elle a vécu sa vie tranquillement loin de nous. Et j’ai du mal à ne pas lui en vouloir.

En parallèle, je suis aussi vraiment heureux de la retrouver. Elle a toujours ce style qui m’a tant marqué, enfant. Sa belle robe longue et pleine de couleurs vives me rappelle tant de souvenirs. Je remarque qu’elle est toujours aussi belle, même si l’âge a mis de l’argent dans ses cheveux. Et ses yeux dans lesquels j’ai tellement rêvé de me retrouver. Ses yeux dont je me souviens lors de notre dernière étreinte. Ses yeux, emplis de larmes depuis que je lui ai annoncé la mort de Papa.

Je me tourne vers Julia qui est à mes côtés et qui me regarde, soucieuse. J’essaie de lui faire un sourire pour lui indiquer que je vais bien, mais ce ne doit pas être le cas car je n’y arrive pas et elle me serre la main, avant de se lever tout à coup.

- Tu pars ? Tu vas où ?

- Je vous laisse tous les deux, je vais prendre l’air. Je t’attends dehors.

- Tu nous laisses ? m’inquiété-je en bafouillant.

- Oui, rit-elle doucement. Je ne pense pas que tu sois en danger avec ta propre mère. Profite, Arthur, je ne serai pas loin. Et si elle tente de t’empoisonner avec un thé, crie, je débarquerai.

Sur ce, elle dépose un petit baiser sur mes lèvres et sort avant que je n’aie pu réagir. Je me retourne vers ma mère qui a retrouvé un peu le sourire en voyant notre échange.

- Tu as bon goût, mon fils. Elle est mignonne et a l’air d’avoir du caractère.

- Euh… C’est pas ce que tu crois, Maman. Et ne change pas le sujet. Tu ne te rends pas compte comment tu as bousillé ma vie ?

- Bousiller ta vie ? Enfin… J’ai l’impression que tu t’en sors plutôt bien, non ? Arthur, je ne crois pas que ta vie soit si terrible. Tu fais un métier que tu aimes, non ? Tu as même une petite amie !

- Ce n’est pas ma petite amie ! répliqué-je, un peu véhément.

C’est fou comme en quelques instants, nous avons retrouvé une relation typique mère fils. Comment elle fait ça ?

- Bien, bien… Enfin, je n’embrasse pas n’importe qui sur la bouche, moi, sourit ma mère. Mais soit. Tu ne peux pas rester en Silvanie, Arthur, c’est trop dangereux pour toi.

- Maman, tu as perdu tout droit de décider de ce que je fais quand tu m’as laissé il y a vingt-cinq ans sans te préoccuper de moi. Je suis ici pour faire une mission, je dois aider toutes ces pauvres familles que vous mettez en danger avec toutes vos folies. Et ça, personne ne m’en empêchera !

- Arthur, soupire-t-elle. Je comprends ton énervement, mais je suis très sérieuse. Tu vois bien que le Gouvernement est au courant pour moi. Est-ce que tu te rends compte de ce que tu risques ?

- L’armée française me protègera. Je ne suis pas inquiet, Maman. Et puis, comme je t’ai dit, merci de ta sollicitude, mais je suis grand maintenant. Je ne suis plus un gamin. Je me suis construit et j’assume mes missions. Sans toi, comme je l’ai toujours fait.

- Très bien… Je vois que tu es aussi têtu que ta mère. J’espère vraiment que tu peux compter sur l’armée française, mais maintenant que ta Lieutenant sait qui tu es… Permets-moi au moins de te mettre en garde.

- Et tu avais besoin de nous faire prisonniers pour me mettre en garde ? Il n’y avait pas d’autres moyens un peu plus… Civilisés ?

- Tu n’es pas prisonnier voyons, tu es mon fils !

- Donc, ce soir, je peux repartir avec Julia et retourner au campement ? Personne ne m’en empêchera ?

- Pas ce soir, non. Il y a des groupes de l’armée dans les parages, c’est trop risqué.

- Tu crois que l’armée tirerait sur une soldate française et un civil ? C’est quoi ce conflit ? Pourquoi tu t’opposes autant au Gouvernement ? Au prix de tant de vies ? Au prix de ta vie de famille !

- Arthur, le Gouvernement sait que tu es mon fils, bon sang ! Si tu te promènes loin de ton camp, tu crois qu’ils vont penser quoi ? Ta soldate pourra leur dire ce qu’elle veut, vous serez tous les deux enfermés ! Cette guerre est justifiée, pour la condition de chacun d’entre nous. Tu n’as aucune idée de ce que nous vivions lorsque tu étais petit, aucune idée des souffrances qu’il est hors de question que nos enfants vivent encore pendant des générations !

- Ça fait plus de vingt ans que ça dure. Combien de morts te faut-il pour te dire que ça suffit ? Il doit y avoir d’autres moyens ! La communauté internationale, les élections !

- Il y avait des morts bien avant cette guerre ! Chaque personne qui avait le malheur de s’opposer au Gouvernement, par n’importe quel moyen, aussi petit soit-il, était tuée ! Tu ne peux pas comprendre, Arthur, et je suis sûre que ton père ne t’a jamais parlé de tout ça…

- Non, Papa m’a parlé des belles montagnes de notre pays, des paysages à couper le souffle, du cœur et de la gentillesse des habitants, du bonheur de vivre dans un si merveilleux pays. Papa m’a fait rêver de notre pays alors que tu es juste en train de le détruire, d’y amener du sang et des larmes !

- Dans un si merveilleux pays qui cherche à aliéner ses habitants, dans une pseudo démocratie où on ne peut même pas penser ce qu’on veut ? Cela fait plus de cinquante ans que les élections sont truquées, que les opposants meurent mystérieusement ! Il faut se battre. Ce n’est pas avec des rêveurs comme ton père ou toi qu’on fait des révolutions et qu’on transmet un pays juste et libre à nos enfants !

- Parce que c’est sûr qu’avoir un pays à transmettre mais plus d’enfants à qui le faire, c’est une superbe idée aussi, rétorqué-je, amer.

- Je suis désolée, Arthur… Et quand bien même j’aurais préféré rester auprès de vous, je sais au plus profond de moi que c’était la décision à prendre. Je regrette juste que ça prenne tant de temps, j’espérais pouvoir vous retrouver plus tôt.

- Et si tu te trompes sur cette durée, qui te dit que tu ne t’es pas trompée de combat aussi ? Bref, arrêtons de nous disputer. J‘ai besoin de temps pour assimiler tout ça. Et… Je sais que je m’énerve contre toi, mais je suis content de te retrouver maman. J’ai l’impression que je ne suis enfin plus orphelin. J’ai juste du mal à m’y faire…

- Je suis heureuse de te retrouver aussi, Arthur. Tu n’imagines pas à quel point tu m’as manqué.

Je me lève et la serre dans mes bras. Nous nous étreignons et arrêtons de parler. Nos mots nous opposent alors que nos corps se reconnaissent et se retrouvent, recréant ce lien qui nous unit depuis ma naissance. Elle me repousse alors gentiment.

- Va retrouver ta belle, Arthur. Il faut que tu me racontes tout sur elle, me dit ma mère avec un sourire qui m’a tant manqué et qui fait fondre mon cœur.

- Oui Maman. Je reviens vite.

Ma mère me sourit et m’observe de ce regard bienveillant que j’avais presque oublié, sa main caressant ma joue avec une tendresse maternelle intacte. Comment peut-elle être capable d’autant de douceur quand j’ai entendu bon nombre d’histoires de guerre si horribles au sujet de la Gitane au camp ?

Je sors et pars à la recherche de Julia que je suis surpris de ne pas trouver à proximité de la maison de ma mère. Le garde qui nous a fouillés est toujours à son poste et m’observe alors que je regarde aux alentours. Je l’appelle à plusieurs reprises, jusqu’à ce que le vilain de tout à l’heure me somme de la fermer.

- Arrête de gueuler. Pas étonnant que ta copine se soit barrée vu le bruit que tu fais.

Je ne fais pas attention à sa remarque et prends le chemin qui mène à l’église. Peut-être est-elle allée explorer le coin pour préparer notre fuite si nous nous retrouvons gardés ici contre notre volonté ?

Lorsque j’arrive à l’église, j’entends un bruit sourd et étouffé. On dirait que quelqu’un est en train de se battre. Inquiet pour Julia, je me précipite dans le souterrain et la scène que je découvre sous mes yeux me laisse sans voix. Julia est menottée dans une des cellules. Vu l’état de ses vêtements, j’ai l’impression qu’elle s’est débattue et qu’ils l’ont maîtrisée de force. Ils sont trois autour d’elle, deux bruns barbus qui la maintiennent par les bras et un troisième, un grand rouquin, qui a l’air de profiter de la situation car je constate qu’il est en train de lui ouvrir le haut de sa tenue militaire.

- Eh ! Vous faites quoi, là ? crié-je en entrant à mon tour dans la cellule.

Je pose ma main sur l’épaule du costaud roux pour l’empêcher de continuer à déshabiller Julia et, sous l’effet de l’adrénaline, je le tire dans un mouvement brusque qui le fait tomber par terre. Il pousse alors un grognement guttural et se relève en furie. J’ai beau reculer rapidement, il m’attrape par le col de ma chemise et me balance son poing dans le visage. J’ai à peine le temps de parer partiellement son coup en levant mes deux mains qu’il arme à nouveau son bras pour me frapper à nouveau et m’achever sûrement.

- Arrête ! C’est le fils de la Gitane ! Elle va te tuer si tu continues, intervient un des deux bruns en lui retenant le bras.

Ses mots font l’effet d’une douche froide sur le rouquin qui relâche immédiatement la pression sur mon cou.

- Dégagez, sinon, je vous promets que vous allez voir de quoi je suis capable, lancé-je plus bravement que je ne le suis au fond de moi.

- Ouais, t’inquiète, on se tire.

A ma grande surprise, je les vois qui filent et nous laissent, Julia et moi, dans la cellule. Je me précipite vers elle et détache ses liens. Julia m’observe un moment en silence en se massant les poignets, avant de secouer la tête de droite à gauche en riant. Elle rit alors que je viens de me prendre un coup et de lui sauver les fesses.

- Tu voulais quoi, imbécile ? Tu viens de te faire viander par un gros baraqué ! Si tu crois que c’est comme ça qu’on séduit les femmes, tu es vraiment plus con que tu ne le pensais toi-même !

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