36. Viking et Petite Poupée

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Arthur

Je regarde à ma gauche et je vois que j’ai changé de garde, et pas pour le mieux. Je préférais la jolie Lieutenant au barbu qui la remplace en tant que surveillant. Ils en ont pas marre de s’occuper de moi ? Ça ne me dérangerait pas de redevenir indépendant et, surtout, libre de mes mouvements ! J’ai vraiment l’impression d’être un paquet de viande qu’on se refile sans se préoccuper le moins du monde de ce que je pourrais vouloir.

La voiture fonce sur les petites routes derrière le camion où est enfermée Julia. J’espère que les chauffeurs connaissent bien le chemin car, à cette allure-là, pas le droit à l’erreur. Ce serait con de mourir dans un accident de voiture après avoir réchappé à la mort déjà deux fois !

Je n’ai pas compris ce qu’il s’est passé avec Julia. Si elle aussi est prisonnière, comment elle va faire pour venir me sauver et me faire sortir du camp des rebelles ? Et si ce n’était pas prévu, qu’est-ce qu’il va se passer désormais ? A-t-on réchappé au pire pour finir dans une mort plus atroce encore ?

- Arrête donc de te poser des questions, accroche-toi au fauteuil et profite d’être encore en vie, le reste, tu verras, rien ne sert de t’inquiéter avant de le vivre !

C’est vrai qu’il faut que je m’accroche. D’abord au siège devant moi pour ne pas que ma tête aille frapper le carreau de la vitre. Et puis à la vie aussi. S’ils avaient voulu nous tuer, ils l’auraient déjà fait. Là, ils se sont contentés de me passer les menottes et de me faire peur sur des routes sinueuses. Il y a pire comme torture, je pense.

Nous arrivons dans un petit village après une ascension qui nous a amenés au sommet. Notre convoi ralentit et s’arrête devant un hôtel qui a dû être touristique avant la guerre.

- Ah ! Ça tombe bien ! C’est justement là où j’ai réservé une suite pour la nuit. Merci d'avoir fait le taxi, les amis, je vais vous laisser et je vous souhaite une bonne route !

Le regard noir que ma lance le barbu me fait regretter ma blague. Je ne devrais peut-être pas les fâcher si ma vie est entre leurs mains. Ce serait plus malin.

- Comme si tu avais l’habitude d’être malin…

Je constate que plusieurs hommes montent et descendent du camion devant nous. Dans notre véhicule, personne ne bouge. Le silence règne et j’essaie de capter les bribes de la conversation qui se déroule entre les deux véhicules. Nous sommes bientôt rejoints par quatre autres petites camionnettes et j’ai l’impression que toute la bande de rebelles qui est intervenue pour me sauver est à nouveau au complet. Le grand blond aux cheveux longs qui a l’air d’un colosse remonte dans le camion et donne le signe du départ. Quand il ouvre la porte arrière, je suis soulagé de voir que Julia est toujours là, mais ils lui ont mis un bandeau sur les yeux. Je suis surpris car moi, à part les menottes, je suis plutôt bien traité et je peux observer tout ce qui se passe autour de moi.

- Vous nous emmenez où ? On s’éloigne vraiment du campement, là, vous savez ? Et avec le couvre-feu à dix-huit heures, on ne sera jamais rentrés à temps. C’est embêtant car j’ai prévu de me préparer un petit cassoulet en boite, ce soir. ça prend un peu de temps, en plus.

Toujours le silence qui répond à mes bêtises. J’ai l’impression que je les énerve plus qu’autre chose, mais je ne peux m’empêcher de les provoquer un peu. Je dois être bien vu quand même car, même si j’ai l’impression de parler à un mur, ils ne m’empêchent pas de jacasser et de les observer. Le capitaine Haddock qui me surveille a la tête des mauvais jours, de ceux où le capitaine est privé de son whisky. Devant nous, j’ai Dupond et Dupont. Deux gars un peu chauves et bedonnants qu’on pourrait prendre pour des frères, même si je pense qu’ils n’ont aucun lien de parenté. Juste le même costume de mécanicien. Bref, c’est pas la joie dans la voiture, et bien entendu, l’auto-radio est en panne.

- Ne t’avise pas de refaire une blague. Ce serait mal venu et tu risques de finir bâillonné, dans le coffre.

Pour une fois, j’écoute ma petite voix et je ne me plains pas de la qualité du séjour. Après plus de deux heures de voyage, la voiture s’arrête à nouveau dans un village un peu plus imposant que les autres. J’essaie de reconnaître, mais je n’arrive pas à voir où nous sommes. Julia est extirpée du véhicule sans ménagement par le colosse blond et jetée dans une maison à l’entrée de l’agglomération. Un des Dupond est descendu et a rejoint la Lieutenant dans la maisonnée. Le Colosse a pris sa place dans la voiture. Lorsqu’il s’assoit, il m’adresse un sourire franc et tend la main pour que la serre.

- Ça va être compliqué avec ces menottes, lui asséné-je en lui montrant mes mains entravées.

Il lève les yeux au ciel et se tape la main sur le front avant de sortir de sa poche une petite clé qui me libère enfin.

- Arthur ! Tu te souviens de moi ?

Je regarde le grand blond mais ne me souviens pas d’en avoir vu un qui n’avait pas de chaussure noire.

- Ah non, je devrais ? Vous savez, je suis parti d’ici quand j’avais dix ans.

- Luka ! Mais si, ton cousin du côté de ta mère ! On dit que je suis tout le portrait de ton oncle ! Tu ne me reconnais pas ?

Je l’observe un instant, mais je n’ai qu’un vague souvenir de mon oncle et je ne peux affirmer avec certitude que je suis en train de m’adresser à quelqu’un de ma famille.

- Sois pas con. Il dit qu’il est de la famille, profites-en. On refuse rien à un cousin, normalement.

- Ah Luka ! fais-je semblant de le reconnaître. Maintenant que tu le dis, en effet ! Comment ai-je pu passer à côté de la ressemblance !

- Tu as passé trop de temps loin de chez nous. Bon, maintenant que tu m’as reconnu, on va aller voir les chefs.

- Attends, Luka, vous allez faire quoi de la militaire française ? On ne peut pas la laisser ici, quand même ?

- Ben si, c’est ce qui est prévu. On n’a plus besoin d’aide, maintenant que tu es libéré. On la garde une petite semaine au chaud et après, on la relâchera dans la nature, pas très loin du camp.

Mon cerveau carbure à toute allure pour essayer de trouver une raison pour ne pas la laisser là. Je n’ai pas envie de la savoir loin de moi, seule au milieu de tous ces mecs dont certains n’ont pas l’air très respectueux.

- Luka, mon cousin, il ne faut pas faire ça ! Il faut l’emmener avec nous ! Tu sais qu’elle m’a dit avoir des informations importantes ? Les chefs, ça les intéresserait sûrement.

- Et tu la crois ?

- Oui, bien sûr. Ce serait vraiment une erreur de la laisser ici. Il suffit de la faire monter avec nous, et comme ça, non seulement on la surveille, mais si les chefs veulent lui parler, on l’aura à disposition. Allez, faisons comme ça, frérot.

Je vois que l’utilisation du mot “frérot”, petit diminutif qu’on se donne entre cousins en Silvanie, fait son effet et il ressort ses presque deux mètres de la voiture pour aller récupérer Julia qui vient s’installer sur le fauteuil arrière à mes côtés.

- Julia, je te présente mon cousin Luka. Luka, voici la Lieutenant Julia Vidal.

- Ton cousin ? Bordel, ton cousin est un barbare, bougonne-t-elle en se massant le bras. Salut Luka le Viking.

- Je parle mal le français, désolé. Mais ici, tout secret, d’accord ?

- Ok, tout secret.

- T’inquiète pas, Luka. J’ai confiance en elle. Sans elle, je serais déjà aux mains du gouvernement en train d’être torturé. Luka le Viking, hein ? rajouté-je en me tournant vers elle.

- Ouais, apparemment ils ont déjà oublié que sans mes infos tu serais au trou, soupire Julia. On va où ? Pourquoi vous n’avez pas respecté le marché ?

- On va voir les chefs. Tu poses trop de questions. C’est avec les chefs qu’il faut parler, pas avec nous. Le marché est respecté. Pas de mort, Arthur est libéré.

- Je devais rester là-bas, bordel ! Tu parles si le marché est respecté !

Luka lui lance un regard noir puis se tourne vers moi et me dit en silvanien :

- Soit petite poupée se tait, soit je lui remets le bâillon sur la bouche et le sac sur la tête, m’explique-t-il calmement avant d’éclater de rire.

- Petite poupée ? Il parle de moi encore, là, non ? Il dit quoi ? Et pourquoi il rit comme un idiot ?

- Il dit que tu ferais mieux de te taire, et que si ce n’est pas le cas, il te remet le bâillon et le sac sur la tête. Je pense que ça vaut le coup de l’écouter, non ?

- Tu parles, se renfrogne Julia, en voilà une façon de traiter une alliée.

- Tu as vraiment passé un marché avec eux ? J’en reviens toujours pas. Et ta carrière, tu y as pensé ? Comment veux-tu qu’ils fassent confiance à quelqu’un qui fait partie de l’armée ?

- Non, c’est à sauver ton cul que j’ai pensé, Arthur ! Tu crois quoi ? C’était ça ou rien, j’ai pas eu le choix !

Je la regarde et me rends compte de l’importance du sacrifice qu’elle a fait pour moi. Elle a été prête à mettre en péril tout ce pour quoi elle s’est battue toutes ces années. Pour moi. Elle a pris tous les risques afin que je m’en sorte alors qu’elle aurait pu simplement suivre les ordres. Je suis submergé d’un profond sentiment à son égard. Je ne sais pas ce que c’est, mais je sais que c’est quelque chose de fort.

- Merci Julia. J’espère pouvoir te remercier dignement dès que l’on sera sorti de tout ce foutoir.

- Quelque chose me dit que j’ai moins de chance d’en sortir que toi, de ce foutoir, dit-elle en levant ses poignets menottés. J’aurais dû lui tirer dessus, à ton super cousin tiens, une balle dans le derrière, ça l’aurait calmé.

- Petite poupée, toi tu as aucune chance pour me tier dessus, intervient Luka de sa grosse voix.

- Pourquoi, parce que je suis une femme ? J’en ai abattu des tout aussi imposants que toi, le viking. Si tu crois que tu me fais peur…

- Bon, les enfants, on arrête de se chamailler, personne ne va tirer sur personne et on oublie tout ça, d’accord ? Luka, tu peux la libérer ?

- Non, pas tant que les chefs m’ont pas dit de le faire, désolé frérot.

Je soupire et j’espère que le chemin pour aller les voir, ces chefs, ne va pas être trop long. Vu comment les deux s’entendent, on est parti pour un trajet sous les attaques de l’un contre l’autre. J’en suis presque à me demander si je n’aurais pas été plus tranquille aux mains du Gouvernement. En tous cas, malgré ces petites disputes, je suis soulagé de voir que je suis sain et sauf et que la vie n’a pas encore décidé d’arrêter le bout de chemin qu’on fait ensemble. Reste à savoir ce que vont décider les chefs de ce mouvement de rébellion.

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