31. Pour un flirt avec toi

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Julia

Je boucle mon rapport au Colonel avec un soupir de soulagement. Enfin, partiel. C’est clairement la merde. Il va m’arracher les yeux, entre mon comportement avec la Bimbo et ma décision de laisser partir les rebelles, c’est certain. J’aurais presque envie de retourner à ce matin, sous la douche, quand tout n’était que frivolités et amitié, quand tout ce contexte était mis de côté. Rien que quelques minutes d’une vie ordinaire dans un contexte extraordinaire. Ou encore à ce soir-là où j’ai lâché prise, après une journée de merde, forte en émotions négatives, et où j’ai laissé un homme m’approcher alors que j’étais la Lieutenant Vidal. Un homme, que dis-je, pas n’importe lequel. Celui qui m’a longuement agacée quand nous nous sommes rencontrés, celui qui m’a fait me tirer les cheveux avec ses idées tordues, son monde des Bisounours, sa naïveté attachante qui planquait finalement un passif lourd dans ce pays qui l’a vu naître.

Je me secoue alors que mes pensées ont une fois de plus dérivé vers des contrées que je m’interdis en mission. Je crève d’envie de retrouver la douceur de ses lèvres, la chaleur de son corps pressé contre le mien, surtout maintenant que l’automne est bien installé et qu’il fait un froid de canard. La belle excuse !

J’envoie mon rapport et éteins l’ordinateur. Il est encore tôt et, malgré la nuit tombée, j’aime aller faire un tour dans le champ où sont installés les réfugiés, histoire de prendre la température. Enfin, mon radar doit être en panne, parce que le coup de ce matin, je ne l’ai absolument pas vu venir. Un nouvel échec au compteur de la Lieutenant Vidal, mais la Julia que je suis aussi comprend que ces personnes aient voulu rejoindre la résistance. J’espère qu’ils y sont arrivés sans encombre et que tout le monde est sain et sauf. Je ne me pardonnerai jamais s’il leur était arrivé quelque chose.

Je sors de mes quartiers et observe les hommes sur la petite mezzanine qu’ils ont aménagée de l’autre côté de la grange en dévalisant la ferme de ses canapés et fauteuils. Deux ordinateurs y sont installés et des soldats parlent à leur famille sans aucune intimité. Je savoure ma chance d’avoir un espace personnel, voilà bien quelque chose qui ne me manque absolument pas.

Les hommes que je croise sur le trajet qui me mène au campement me saluent d’un signe de tête que je leur rends, et je m’arrête quelques minutes pour observer les enfants jouer au ballon sur la terre qui devient de plus en plus gadouilleuse. Nous n’aurons même pas à attendre l’hiver pour que le champ devienne un piège géant pour toute personne qui s’y aventurera. Voilà qui promet de jolies gamelles et des bains de boue.

Mes pas me mènent finalement jusqu’à la tente où logent Arthur et Dan, accompagnés de Lila à présent. Non, je n’y vais pas pour le Bûcheron qui hante de plus en plus mes pensées, sans doute parce que Myriam m’a parlé de lui chaque fois qu’elle m’a croisée aujourd’hui. J’ai envie de voir la petite et de lui faire oublier qu’elle a été abandonnée par des personnes en qui elle avait apparemment confiance. Nul besoin de spécifier que voir Arthur la prendre sous son aile fait fondre mon petit cœur d’artichaut. Est-il encore possible de le trouver plus sexy et désirable ? Parce que je ne suis pas sûre que mes draps y survivront, à force !

J’hésite un moment avant de révéler ma présence, mais me dis que j’ai bien le droit de profiter d’un petit moment de normalité dans ce monde de fous. D’autant plus que j’entends Arthur et Lila discuter et rire ensemble, sans comprendre quoi que ce soit à ce qu’ils disent.

- Y a quelqu’un ? demandé-je doucement. Je peux entrer ?

- Oh, Julia ! Il y a un nouveau souci ? me demande tout de suite un Arthur, visiblement inquiet de ma venue à cette heure peu habituelle.

- Non, non, rien de problématique, dis-je en entrant pour découvrir Lila au lit et mon Bûcheron installé au sol tout près d’elle. Je venais souhaiter une bonne nuit à la nouvelle pensionnaire de cette tente.

- Ah, c’est gentil, me répond-il en me décochant un sourire en coin craquant à souhait.

Il porte une de ses fameuses chemises qui est ouverte sur son torse, sur lequel j’ai envie de poser mes lèvres, et tient dans ses mains un livre en français qu’il s’apprêtait à lire à la petite.

- Je peux m’installer un peu avec vous ? Je viens vérifier que cette enfant est bien traitée, dis-je en lui faisant un clin d'œil.

- Je ne sais pas si elle est bien traitée, Julia. A part mes neveux et nièces une soirée de temps en temps, je ne me suis jamais occupé d’enfant. Et ce n’est pas Dan qui m’aide, je peux te l’assurer. Je devrais peut-être vite lui trouver une famille d’accueil, ce serait mieux pour elle. Tu veux lui lire l’histoire ?

- Oulah, certainement pas, ris-je en venant m’asseoir à côté de lui. Mon neveu me trouve nulle, très nulle même, pour les histoires. Je te laisse te débrouiller avec ça.

Lila s’adresse alors à lui en Silvanien puis me regarde de ses grands yeux clairs et s’adresse à moi en français en me souriant.

- Bonjour. Tu es jolie. Je t’aime.

Arthur éclate de rire avant d’embrasser la petite fille et de lui dire quelque chose que je ne comprends pas. Il se tourne ensuite vers moi.

- Je crois qu’elle t’aime beaucoup, elle a appris “tu es jolie” juste pour te le dire, la coquine ! Et elle a bien raison d’ailleurs, ajoute-t-il en me regardant.

- Eh bien, cette petite ira loin ! Bon, tu la lis cette histoire ? ris-je en changeant de sujet, touchée mais mal à l’aise.

- Oui, je vais la lire et la traduire en même temps, si ça ne te dérange pas, pour que Lila comprenne de quoi il s’agit. Installe-toi à côté de moi, tu pourras suivre aussi comme ça.

Je lève un sourcil dans sa direction. Il est en mode grosses paluches, là, pas du tout discret, et le pire c’est que je ne dirais pas non à un peu de naïveté de ma part. Je m’installe donc près de lui, adossée contre le lit pour que Lila puisse voir les images, et découvre davantage les talents d’orateur d’un Arthur qui vit l’histoire autant qu’il la lit. Je me laisse même aller à poser ma tête contre son épaule pour mieux voir les dessins, oui on y croit, et tente de rester concentrée sur le récit très joliment raconté par le Bûcheron à mes côtés.

Je ne bouge pas, même une fois l’histoire terminée. Lila n’a plus parlé depuis un moment, plus bougé d’un poil depuis quelques minutes et son souffle s’est apaisé. Moi, j’ai mal au dos, au cou, ainsi installée, mais j’ai envie de rester dans cette bulle de normalité, bien loin des tracas du camp. J’ai envie de profiter encore un peu de la chaleur de ce corps tout près du mien, de ses vibrations qui me bercent.

- Tu dors, Julia ? me demande doucement Arthur en posant sa main sur ma cuisse.

- Non, j’attends l’histoire suivante…

- Ah oui, et quelle est-elle, l’histoire suivante ? Elle est à inventer ? murmure-t-il en passant son bras autour de mes épaules et en posant sa tête contre la mienne.

- A toi de voir, c’est toi le conteur il me semble, ris-je.

- Alors, c’est l’histoire d’un pauvre éclopé tout bancal qui ne sait pas marcher sans sa béquille. Il a été blessé pendant la grande guerre, celle dont on parle encore des années après. Mais heureusement, il a été soigné par une jolie infirmière qui est une militaire professionnelle. Par contre, ce conte n’est pas forcément pour les enfants.

- Techniquement parlant, un conte, ce n’est pas pour les enfants ? Pourquoi est-ce qu’il n’est pas pour les enfants au juste ? lui demandé-je en relevant les yeux vers lui.

- Parce que si je raconte tout ce qui me passe par la tête, on risque vite de passer en interdit au moins de dix-huit ans ! Possible que j’aie des choses en tête pas très raisonnables au vu des circonstances.

- Foutues circonstances alors, soupiré-je avant de l’embrasser sur la joue. Elle a quand même un goût de trop peu, cette histoire, du coup.

- Un goût de trop peu ? Vraiment ? Peut-être est-ce parce qu’on est resté sur un chapitre à suivre la dernière fois ?

Son regard se pose sur moi et je comprends tout à fait ce à quoi il fait référence et dont nous n’avons jamais reparlé depuis. Ses yeux dévient à plusieurs reprises sur ma bouche et la tentation est trop forte, je sais que je vais craquer avant même de le faire, je le sens au fond de mes tripes, comme une nécessité vitale, un besoin viscéral. Je ne sais trop qui de nous deux fait le premier pas, mais je savoure avec un plaisir non dissimulé la douceur de ses lèvres et sa main qui glisse sur ma nuque et me maintient contre lui. D’un seul coup, j’ai l’impression que le reste du monde disparaît et que nous ne sommes plus que deux, isolés du reste du monde, loin de la guerre et de ses difficultés, juste un homme et une femme qui ont envie de partager un doux moment ensemble. Je profite de ce moment et me love dans ses bras qui m’enserrent, m’enlacent, et de ses mains qui me caressent. Je ne suis pas en reste et parcours sa peau du bout de mes doigts, les glisse dans ses cheveux, cherche au maximum le contact de nos corps alors que nos langues se trouvent et entament une danse des plus sensuelles.

Si Lila n’était pas si près, si nous n’étions pas dans cette tente qu’il partage, je crois que je serais déjà en train de le déshabiller pour chercher à nous soulager tous les deux de cette envie partagée. Mais nous sommes sur le camp, entourés de réfugiés et de soldats qui font des rondes, et la réalité des choses me ramène malheureusement bien trop vite sur terre.

- Je suis désolée, je ne peux pas, marmonné-je en quittant son étreinte pour me lever.

- Oh ! Le conte est terminé ? Finalement, c’était accessible aux enfants, rit-il avant de se relever à son tour et de m’attirer contre lui, non pas pour m’embrasser mais pour me serrer dans ses bras.

- C’est le mauvais endroit, le mauvais moment. Tu ne te rends pas compte de ce que c’est que d’être une femme qui commande des hommes, soupiré-je en nichant mon nez dans son cou. Je suis épiée de toute part, critiquée, remise en question chaque jour. Je ne peux pas me permettre un seul écart… Je suis désolée, Arthur, j’en ai envie, vraiment…

- Je comprends, Julia. C’est dommage, tu ne trouves pas ? Il va nous falloir attendre la fin de la mission peut-être…

- Dommage ou pas, ça vaut mieux comme ça… Ce genre de trucs, ça biaise les pensées, ça empêche d’être objectif et ça fait prendre des risques inconsidérés.

- Oui, c’est peut-être vrai, mais je ne sais pas si je pourrai continuer à résister longtemps à ce que je ressens pour toi, Julia.

- Il va pourtant falloir, qui sait si ce n’est pas Mirallès qui prendrait ma place si je suis relevée de mes fonctions pour avoir fricoté avec un membre de l’ONG dont j’assure la protection. Ce ne serait pas génial pour ce camp, crois-moi.

- Alors, un dernier baiser et on en reste là ? me demande-t-il, ses yeux me suppliant d’accepter sa demande.

Tout mon corps a déjà accepté sa demande alors que mon cerveau me dit d’arrêter là les conneries. Qu’est-ce qu’un baiser de plus, après tout, puisque j’ai déjà fauté par deux fois ? Et puis, ne dit-on pas “jamais deux sans trois ?” Merde, juste encore un peu de douceur et de passion avant de regagner mon lit fleuri en solitaire, c’est pas trop demander, quand même !

- Je te trouve bien exigeant, ris-je en me redressant pour plonger à nouveau mes yeux dans ses iris hypnotisants.

- Toujours quand j’ai envie de quelque chose, me répond-il, visiblement prêt à me sauter dessus mais parvenant à se retenir malgré le désir qui transpire de tout son être.

- Très bien, dis-je en venant l’embrasser au coin des lèvres. Va pour un dernier…

- Non, un vrai baiser, me reprend-il avant de se saisir de mon menton pour poser ses lèvres sur les miennes.

Le moment est à nouveau électrique, passionné et ce baiser me pousse à me lover contre lui pour profiter de cette étreinte que je sais être la dernière que nous partagerons avant un bon moment. J’y mets tout mon coeur, toute mon ardeur, comme si jamais plus nous ne pourrons vivre un tel instant. Ses mains pressent mon dos comme s’il refusait de me lâcher et je savoure encore un peu avant de me résigner à partir. Je sais qu’il ne me faudrait pas grand-chose pour flancher et je ne peux pas me le permettre. Il faut que je me contrôle, que je résiste, sinon tout va partir en vrille dans ma vie.

Je recule à contre-coeur et lui lance un sourire qui me semble bien triste avant de tourner les talons pour quitter la tente. Si seulement je n’étais pas entourée d’hommes, jaugée et jugée pour chacun de mes actes. Si seulement le fait d’être une femme dans un monde très masculin ne m’empêchait pas de faire comme eux, à savoir ce que je veux de mes heures de sommeil, sans risquer de me retrouver au centre des conversations. Si seulement j’étais capable de me foutre de tout ça ! Tout serait beaucoup plus simple, et tellement moins frustrant.

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