28. La Bimbo de l'info

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Arthur

Je suis assis à ma petite table dans la tente principale et je supervise la répartition des denrées reçues quand une tornade entre dans la pièce, énervée comme jamais. Je lève les yeux vers La Lieutenant et me demande ce qui la met dans une rage pareille. Elle me regarde, furieuse, et me jette un papier sur la table.

- Tu m’expliques ? C’est quoi ce bordel, Arthur ? C’est qui cette nana qui vient se présenter à l’accueil avec cet ordre signé du Colonel pour faire un reportage sur le camp ? Tu crois qu’on n’a que ça à faire ? Juste après la mort d’un des nôtres ?

- Je ne vois pas de quoi tu parles, rétorqué-je en prenant le papier et en le lisant.

- Je te le donne en mille, putain, y a une journaliste qui vient sous les ordres de ton ONG pour faire un foutu reportage sur ce camp. Genre, une nana et son caméraman qui ont été accompagnés par pas moins de huit militaires pour venir ici alors qu’on a perdu un homme y a trois jours ! Ils pensent à quoi, là-haut ?

- Je ne sais pas, Julia, je ne suis pas responsable de tout ce qui se fait dans mon ONG. Ne sois pas injuste avec moi, non plus.

- Injuste ? s’agace-t-elle en se penchant vers moi. Ce qui est injuste, Arthur, c’est que huit hommes viennent de prendre des risques sur la route qui a tué l’un des leurs il y a soixante-douze heures à peine, sous prétexte qu’une bimbo veut faire un papier que personne ne lira parce que tout le monde s’en fout que des gens meurent ici, réfugiés ou militaires.

- Une bimbo ? demandé-je bêtement. Enfin, ce n’est pas ça la question. Tu sais bien que nous vivons sur les dons, et qu’il faut de la publicité. Au siège, ils ne se rendent pas compte que c’est dangereux, ils veulent juste de belles images, c’est tout. Il faut l’orienter vers Justine, non ?

- Elle veut te parler à toi. Elle t’attend dans ma salle de réunion. Et pour les belles images, tu n’auras qu’à demander à Justine qu’elle lui donne les photos d’hier. Un cercueil, magnifique réalité, marmonne-t-elle en regardant partout sauf dans ma direction, semblant encore à fleur de peau.

- Tu sais que ça ne me fait pas plaisir non plus ? Elle reste combien de temps, la journaliste ? Je suppose juste quelques heures, non ?

- Deux jours, Zrinkak, deux foutus jours avec cette nana sur le dos ! Tu remercieras l’abruti qui a décidé de fourrer cette brebis galeuse avec sa mini jupe et ses hauts talons dans mon camp. Je ne vais pas avoir assez de latrines pour sanctionner mes hommes machos ou irrespectueux, je le sens !

- Ah oui, je vois le style. Fraîchement débarquée de Paris. Ça promet, soupiré-je en me levant et en attrapant la béquille qu’il me reste pour aller retrouver la bimbo qui exaspère tant Julia.

- Je vais lui coller un treillis sur le cul et des rangers aux pieds déjà, ça va la détendre, bougonne Julia en m’accompagnant à l’extérieur.

Je la suis à grand peine à travers le camp jusqu’au bâtiment principal car elle marche à grandes enjambées. Devant la porte, il y a tout un attroupement de soldats qui bavent d’envie. Julia les invective dès qu’elle les voit et ils s’éparpillent rapidement, mais restent à proximité. Lorsque j’arrive enfin en haut des escaliers, j’entends Julia qui s’adresse à la bimbo que je n’ai pas encore réussi à apercevoir.

- Je vous ai ramené le héros du camp. Vous avez besoin d’autre chose ? J’adore jouer la coursière.

- Vous n’avez que ça à porter comme vêtements ? Si vous aviez un truc militaire un peu plus sexy, ça serait bien pour les photos. Vous pensez que c’est possible ?

Je me dis qu’elle va se faire recevoir, la journaliste, et ça ne manque pas. C’est comme si elle avait ouvert la porte à toute la sauvagerie qui peut se terrer dans une fauve blessée.

- Je ne suis pas là pour être sexy. Et vous non plus il me semble. Non mais franchement, vous pensiez débouler dans un cinq étoiles ou quoi ? A part planter des choux, vous n’allez rien pouvoir faire avec ces talons ! Merde, si vous pouviez réfléchir et vous couvrir un peu le cul, mes hommes ont besoin d’être concentrés et n’ont pas besoin d’un morceau de viande comme vous, Madame la journaliste. Putain, vous vous rendez pas compte de l’effet que vous faites à ces types qui n’ont pas tiré un coup depuis plus d’un mois ?

- Eh bien, quel accueil ! Vous devriez tirer le vôtre de coup, ça vous décoincerait, Capitaine, dit-elle en mélangeant les grades. Oh et voilà le beau directeur de Food Crisis ! On m’avait caché que vous étiez si mignon ! minaude-t-elle en s’approchant de moi.

- Je n’emploierais pas forcément les termes de la Lieutenant, mais je suis d’accord avec elle. Vous n’avez pas choisi le bon moment pour venir ici !

- Ah oui ? Racontez-moi tout, je suis sûre que ça va passionner nos lectrices de savoir ce que vous vivez aussi au quotidien ! Il y a eu des escarmouches ? Des aventures avec le peuple indigène ?

Je vois que Julia lève les yeux au ciel et je ne peux m’empêcher de grimacer en entendant ses propos totalement déplacés. Mais qui a eu cette idée à la con de faire venir cette journaliste d’un magazine people sur notre campement ?

Maintenant que je suis entré dans la pièce, je peux examiner le beau spécimen qui est venu m’interviewer. Elle a une plastique qui n’est évidemment pas naturelle et surtout un tailleur et un chemisier largement ouvert et qui laisse peu de place à l’imagination. La marchandise est étalée là, comme ça, à la vue de tous.

- En effet, je suis bien Arthur Zrinkak, responsable opérationnel de Food Crisis. Enchanté, dis-je froidement.

- On va faire un reportage du feu de Dieu ! Oh la là ! On va donner envie à toutes nos lectrices de venir prendre ma place et venir sauver le monde à vos côtés, mon petit Arthur ! Vous me faites visiter le camp ? Et dites-moi tout sur votre accident ! Vous êtes si courageux ! Si fort ! Si brave ! Je sens qu’on va causer la lessive de beaucoup de petites culottes !

- La tienne en premier apparemment, nunuche, marmonne Julia juste assez fort pour que la journaliste l’entende, ce qui m’arrache un petit sourire.

- On dirait que c’est votre première fois sur le terrain, Madame… ?

- Oh appelez-moi Emma ! Eh oui, c’est ma première fois ! C’est terriblement excitant, vous ne trouvez pas ?

- Je ne dirais pas que donner à manger à des gens qui ont faim, vivre sous la protection de soldats qui meurent pour nous sauver ou passer des journées enfermés dans le campement est excitant, non. Vu comment je marche, je ne vais pas vous faire perdre votre temps à vous et à votre camarade caméraman. Je vais demander à notre responsable de la communication de vous emmener. Vous verrez, elle est charmante.

- Ah mais non ! C’est vous qu’il me faut ! me lance-t-elle sous le regard exaspéré de Julia.

- Eh bien, c’est Justine que vous aurez, et nous, nous nous retrouverons ce soir après votre visite. Je suis sûr que la Lieutenant sera ravie de nous inviter à sa table d’honneur pour participer au festin que nous allons préparer en votre honneur. Bonne journée à vous.

- Évidemment, j’adore partager mon repas avec plein de monde, soupire Julia qui mange toujours en petit comité.

- Voilà ! La fête sera super, vous m’en direz des nouvelles, lui lancé-je, narquois, alors qu’elle se dandine des fesses en passant devant moi pour suivre le soldat qui va l’emmener rejoindre la chargée de communication.

Une fois qu’elle est partie, Julia et moi nous regardons en silence avant d’éclater de rire.

- Eh bien, on peut dire que l’on a tiré le gros lot, dis-je en souriant à Julia qui, malgré sa colère, se joint à moi dans ma bonne humeur.

- Tu parles, j’espère pour elle que le lot de ses prothèses mammaires n’a pas de défaut, ça va faire mal sinon, faudrait pas qu’elle prenne une balle là-dedans, elle finirait noyée, ricane-t-elle, moqueuse.

- Je te parie que ce soir, elle va se faire un de tes soldats ! Peut-être même deux en même temps, la coquine !

- Manquerait plus que ça, me répond-elle en détournant les yeux, apparemment mal à l’aise tout à coup.

Depuis la fenêtre, je regarde la commotion que la venue de la journaliste cause dans le camp. Julia est venue se positionner derrière moi et regarde la scène, exaspérée.

- T’inquiète pas, c’est juste deux jours, lui dis-je en lui faisant une petite place près de moi pour qu’elle puisse mieux voir ce qu’il se passe.

La scène devant nos yeux est hilarante, avec un groupe de soldats aux basques de la bimbo qui a l’air de ne pas être à l’aise du tout sur les chemins dans ses escarpins aux couleurs vives. Et cette petite troupe se balade lentement sous les sifflets des hommes du camp qui profitent eux-aussi du spectacle offert gratuitement.

- Tu sais, c’est bon pour le moral des troupes, ce petit show. Regarde tous ces sourires et ces regards plein d’envie ! Ils bavent tous de la même façon tes soldats !

- Ouais, ce sera génial quand ils vont se battre pour savoir qui va la sauter, je te le dis moi, soupire Julia. Elle va se péter une cheville à ce rythme-là.

- Elle va surtout faire péter le nombre de mecs qui se branlent ce soir. Franchement, des fois, j’ai honte de devoir recourir à de tels moyens pour faire parler de notre ONG. Je suis désolé, vraiment, de la gêne que cela crée pour toi.

- Je vais m’en remettre, mais tu n’étais pas obligé de l’inviter à dîner à ma table, en revanche.

- Si j’avais pas fait ça, elle aurait insisté pour manger en tête à tête dans ma tente ! Tu imagines la soirée galère pour moi ! Au moins, tu vas pouvoir continuer à me protéger !

- Ce serait mérité, c’est ton ONG qui l’a invitée, après tout. Pauvre Justine…

Je ne réponds pas et j’avoue que je ne parviens pas à continuer à apprécier le spectacle de dehors en raison de la proximité du corps de Julia dont je sens la poitrine qui se presse contre mon bras. Elle contemple la scène dehors alors que mes yeux sont rivés sur elle. Le contraste que sa beauté naturelle offre avec celui de la bimbo est impressionnant. Elle, c’est vraiment une femme exceptionnelle, une femme avec qui, j’avoue, j’aimerais faire une petite partie du chemin.

- Arrête de te mentir, tu sais bien que ce n’est pas qu’une petite partie du chemin et une petite baise que tu aimerais avec elle. Tu la kiffes à fond, sinon, c’est sur la bimbo que tu te serais jeté ! Comme tous ces morts de faim qui bavent en bas !

J’essaie de faire taire la petite voix qui me parle, mais je ne fais rien pour m’éloigner de Julia qui est toujours pressée contre moi. Et si je bave sur cette jolie militaire, ce n’est pas bien grave, si ?

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