26. La mort réunit les cœurs en peine

9 minutes de lecture

*Merci d'imaginer une voix de mec de fête foraine pour la ligne qui va suivre*

C'est cadeau, c'est gratuit, un petit chapitre supplémentaire pour le dimanche, oui, oui, oui !

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Non, ce n'est pas une boulette de ma part...

Lecossais dit qu'on a suffisamment d'avance pour vous offrir un double chapitre le dimanche

(il a raison, si vous saviez à quel point nous avons de l'avance... :p)

Alors, bonne lecture ! Et bonne fin de weekend ;)

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Arthur

Tout le camp s’est rassemblé devant l’ancien bâtiment qui fait office de réfectoire, réfugiés, soldats, membres de l’ONG, dans un instant rare de communion et de solennité. Un silence de mort règne. C’est vraiment le cas de le dire car nous sommes tous réunis autour du cercueil d’Olivier sur lequel un drapeau français a été étalé. Le Colonel a décidé d’organiser une cérémonie dans le camp pour honorer sa mémoire et lui dire adieu avant que son corps ne soit rapatrié en France où il sera enterré avec les honneurs militaires. Je n’ai pas encore vu Julia, mais je sais qu’elle ne va pas bien depuis qu’elle a appris le décès de ce soldat qui était sous sa responsabilité.

Le soir de son décès en effet, après la négociation avec les anciens du camp, je suis passé la voir, je voulais savoir si elle allait bien et tenait le coup. Quand je suis arrivé à la salle de réunion près de sa chambre, j’ai eu la surprise de la trouver en train de pleurer dans les bras de Snow, plusieurs bières sur la table témoignant de la quantité d’alcool absorbée par les deux militaires. Comme ils ne m’ont pas entendu arriver, je me suis retiré en silence, ne voulant pas perturber leur intimité et leur souffrance partagée. D’un côté, j’étais rassuré qu’elle ne soit pas seule pour affronter cette situation, mais de l’autre, je n’ai pu réfréner un sentiment injustifié de jalousie envers Snow dont les bras protecteurs réconfortaient sa supérieure. Si je suis honnête avec moi-même, il faut que je m’avoue que j’aurais voulu être à sa place, mais je préfère mettre cette idée dans un coin de ma tête et me concentrer sur la cérémonie qui commence.

Le Colonel et les autres officiers du régiment sortent du bâtiment, la mine sombre, alors qu’un clairon retentit et entame la sonnerie aux Morts. Les quatre notes du morceau me donnent la chair de poule. Dans le froid de ce matin d’automne, elles retentissent lentement, simplement accompagnées d’un bruit de batterie qui résonne dans le silence de cathédrale du camp. Même les vaches ne beuglent pas, comme si une chape de tristesse s’était abattue sur le camp.

En tant que responsable du camp, je suis aux premières loges, aux côtés des anciens qui respectent la coutume locale. Ils sont tous habillés de rouge, la couleur du deuil dans notre pays. Le contraste entre cette couleur vive sang et les treillis des militaires dont beaucoup sont en pleurs, est saisissant. J’aperçois enfin Julia qui arrive un peu derrière les autres officiers. Elle est droite et digne, mais je commence un peu à la connaître et je vois que cette solidité n’est que de façade. Elle veut faire bonne figure devant ses hommes, mais je suis sûr qu’elle est dévastée intérieurement. Comment pourrait-il en être autrement ? Elle doit prendre ce décès comme un échec personnel. La pauvre. Cela me donne envie de la prendre dans mes bras.

Le Colonel monte sur un petit escabeau installé devant le cercueil. Je ne peux m’empêcher de le trouver un peu ridicule sur son petit piédestal, malgré la rigueur du ton et son regard noir. Il fait un court discours sur l’honneur, le service à la patrie, un truc bateau qui montre qu’il ne devait pas vraiment connaître ce soldat qui servait dans son régiment. Il laisse ensuite la place à Julia qui refuse de monter sur l’escabeau. Elle s’avance par contre jusqu’au cercueil sur lequel elle pose une main avant de se retourner vers ses troupes et nous, sans lâcher le cercueil.

Tous les regards sont tournés vers elle. Il se dégage d’elle une force, une puissance assez incroyable et l’émotion qu’elle transmet à travers ses yeux verts est si intense que tous ceux qui croisent son regard baissent les yeux. Moi, au contraire, je plonge mon regard dans le sien et elle s’y arrête. Je me perds dans ses émeraudes irisées quelques instants, des moments qui me semblent une éternité. J’ai l’impression qu’elle puise dans cet échange l’énergie dont elle a besoin pour continuer et affronter les épreuves à venir. Lorsqu’elle prend la parole, toutes les têtes se relèvent et l’écoutent religieusement.

- Soldats, Camarades, Amis ! Je crois ne pas avoir besoin de m’étaler sur les états de services du soldat Olivier Martin. Chacun d’entre vous a pu constater son professionnalisme, sa rigueur et son humanité au quotidien. Pour les plus chanceux d’entre nous, c’est sans doute son humour, son sourire railleur et sa joie de vivre qui resteront gravés dans notre mémoire. Et, bien au-delà de ça, l’homme qu’était Olivier, le fils, le frère, l’oncle, le mari, le père. Lorsque nous nous engageons dans l’armée, nous savons ce que nous risquons et pourtant nous arrivons à passer outre. Parce que la justice nous importe, parce que la vie des autres nous motive, parce que nous voulons lutter plus que tout. L’armée française a perdu un allié de choix, une personne d’exception. Mais le plus tragique, malheureusement, c’est que Johanne, sa femme, ne pourra plus jamais serrer son mari dans ses bras, que ses enfants, Antonin, Maxime, Rose et Nicolas, n’entendront plus leur père leur raconter une histoire, n’attendront plus son retour avec impatience, ne pourront plus bénéficier de cet amour incroyable qu’avait Olivier pour eux. Olivier est mort pour que chacun de vous puisse survivre, je vous en prie, ne l’oubliez pas. La vie est trop importante pour ne pas être prise au sérieux, les risques sont trop présents pour que tout soit pris à la légère. N’oublions ni Olivier, ni les autres, ni ces familles endeuillées qui voient leurs vies brisées pour en sauver d’autres.

Lorsqu’elle s’arrête de parler, une voix masculine se fait entendre. Elle est grave et profonde et résonne dans le silence qui s’est installé. Bientôt une deuxième voix se joint à la première et ainsi de suite, l’air est repris par de plus en plus de monde. La puissance augmente au fur et à mesure que de nouvelles personnes se joignent à l’hommage rendu au soldat. Les voix féminines s’ajoutent maintenant aux hommes, reprenant un air un peu plus enjoué, symbolisant l’espoir d’une vie future dans un au-delà idyllique. Quand leur chant s’arrête, les militaires entament une marseillaise puissante et toute aussi émouvante que l’air traditionnel silvanien. J’en ai des frissons qui me parcourent tout le corps.

Snow et trois autres militaires s’approchent ensuite du cercueil et viennent l’enlever. Ils le déposent dans le camion militaire qui va l’emmener jusqu’à l’aéroport. Nous le regardons tous partir sous les applaudissements lancés par mes compatriotes, comme le veut la tradition. Une fois le camion disparu de notre champ de vision, les réfugiés repartent dans leur partie du campement alors que les militaires se regroupent entre eux et se prennent tous par les bras, dans une étreinte géante. Seuls quelques-uns d’entre nous nous retrouvons spectateurs involontaires de ce témoignage d’une union fraternelle entre soldats. Ils finissent ce petit instant entre eux dans un grand cri et ensuite, une fête improvisée commence.

Je vois la Lieutenant et le Colonel en grande discussion avant qu’il ne monte dans son véhicule avec sa garde rapprochée, ce qui est le signal pour que les soldats du camp se lâchent un peu et sortent les bouteilles d’alcool. Dan et Laurent sont partis voir les réfugiés et gérer la distribution du jour, avec comme ordre d’aller prendre la température et voir s’ils vont respecter ce qu’ils nous ont dit. Justine est en grande discussion avec Snow qui a l’air sous le charme, mais mon regard ne s’attarde pas sur ces deux-là car j’aperçois Julia se diriger vers la grange à grands pas. Personne ne va remarquer mon absence et je me décide donc à la suivre. Je n’ai pas envie de la laisser seule. Surtout vu les circonstances.

- Julia, attends-moi !

Je l’attrape par le bras alors qu’elle vient d’entrer dans la grange désertée par tout le monde. Elle se retourne et cherche à éviter mon regard, mais je constate qu’elle est en larmes et a craqué totalement.

- Oh Julia, je suis désolé… Tu veux que je te laisse ? demandé-je en espérant qu’elle ne m’envoie pas bouler alors que je suis témoin de sa tristesse.

- Je… Non, ça va, balbutie-t-elle en s’essuyant les joues, la voix chevrotante. Il y a un problème ?

- Allez, viens, on rentre avant que quelqu’un d’autre ne te voie comme ça, dis-je en l’entraînant.

Elle est tellement sous le choc qu’elle ne résiste pas et me suit dans les escaliers vers sa chambre. J’allais rester dans la salle de réunions, mais elle m’attire avec elle dans sa chambre dont elle referme la porte. Je pénètre dans son intimité et me retrouve seul avec elle dans ce petit espace. Tout de suite, elle vient m’enlacer et se laisse aller à pleurer, sa tête enfouie dans mon cou. Je n’ose pas bouger, ne sachant pas trop quoi faire. Un peu maladroitement, je passe mes mains dans son dos et la laisse pleurer sans rien dire.

- Ça va mieux ? tenté-je de dire après de longues minutes juste entrecoupées de sanglots.

- Un peu, soupire-t-elle sans pour autant bouger d’un poil, s’agrippant à mon tee-shirt. Encore une minute, s’il te plaît…

- Nous avons tout le temps du monde, murmuré-je doucement. Les autres sont en train de se saouler dehors pour se prouver qu’ils sont encore vivants. Nous sommes tranquilles ici. Tu peux pleurer sans t’inquiéter du regard des autres.

- C’est pas facile aujourd’hui, mais… Il faut que je me reprenne, poursuit-elle, visiblement mal à l’aise. Je suis désolée…

- Ne le sois pas, voyons. C’est normal. Tu es humaine avant d’être une militaire.

Mes mains se baladent désormais dans son dos et la caressent doucement pour la réconforter. Cette étreinte est douce et chaleureuse, et nous fait du bien à tous les deux. Je sens qu’elle continue à se calmer et s’apaiser peu à peu dans mes bras. Sa tête est toujours collée dans mon cou et ma main vient caresser sa nuque. je lui retire une mèche qu’elle a devant les yeux alors qu’elle se redresse finalement, et me perds une nouvelle fois dans le regard qu’elle m’adresse.

- Je sais que ça ne se fait pas de dire des choses comme ça, mais tu es vraiment jolie quand tu perds ton masque de soldat, ne puis-je m’empêcher de lui dire.

- Dans le genre nez rougi, yeux gonflés et tout ce qui va avec ? Je crois qu’il te faut des lunettes, Arthur, rit-elle doucement.

Je fais des cercles avec mes pouces et mes index et retourne mes mains pour en faire des lunettes improvisées en les posant sur mes yeux, ce qui la fait éclater de rire.

- Non, même avec des lunettes, je confirme, le spectacle est à la hauteur de mes espérances !

- Arrête, pouffe-t-elle en attrapant mes mains pour les positionner sur ses hanches et se lover à nouveau contre moi. La minute n’est pas écoulée, je crois…

Je ne dis rien et profite du moment. J’ai l’impression que nous communions au-delà des mots et lorsqu’elle lève la tête vers moi et que nos regards se croisent à nouveau, c’est comme si un courant d’électricité passait entre nous et nous rapprochait inexorablement. Mes lèvres sont attirées par les siennes et je ferme les yeux quand nous échangeons un baiser d’abord timide. Je profite de la douceur de ses lèvres sur les miennes alors que nous nous enlaçons mutuellement, cherchant à fusionner nos corps autant que possible. Je savoure cet instant magique, hors du temps, alors que nos langues viennent se rencontrer, se découvrir et se mêler l’une à l’autre. Nos souffles se font plus haletants, ce baiser se prolonge et nos mains commencent à explorer le corps de notre partenaire. J’ai l’impression qu’une douce folie est en train de s’emparer de nous et mon désir se réveille, répondant à l’excitation qui semble aussi gagner Julia qui me pelote les fesses comme s’il était urgent qu’elle les découvre nues sous ses doigts.

- Julia, tu es là ? Tout va bien ? s’écrie une voix masculine alors que quelqu’un est en train de frapper à la porte.

Et zut alors ! Tout de suite, Julia s’écarte de moi et le rêve s’achève comme il a commencé. Sans prévenir et avec un fort goût d’inachevé.

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