24. Prison rebelle

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Arthur

Dan déboule avec Laurent dans ma tente, l’air visiblement préoccupé par quelque chose d’important. Je le sais parce que ses sourcils se rejoignent quand c’est le cas. On lit sur son visage comme dans un livre ouvert.

- Ramène ta fraise, Arthur, on a un souci avec les réfugiés.

- Un souci ? C’est-à-dire ?

- Viens, je te dis. Habille-toi un peu avant, mais viens, il ne faut pas traîner, je crois que tu es le seul à pouvoir éviter la catastrophe !

Et il ressort, laissant un Laurent toujours aussi silencieux seul avec moi.

- Il se passe quoi, Laurent ? Tu peux me dire ? demandé-je au garde du corps qui se contente de me répondre par un haussement d’épaules avant de sortir.

- Bien entendu qu’il ne te dit rien. Tu te souviens de la dernière fois qu’il a aligné plus de cinq mots ? Des fois, tu es un peu lent, mon pauvre. Et là, tu traines. Il te faut combien de temps pour t’habiller ?

Satanée petite voix. Jamais là pour m’aider. Mais elle a raison, il faut que je me bouge un peu les fesses. J’enfile rapidement une grosse chemise à carreaux en coton épais et un vieux jean abîmé mais confortable. Je sors et je constate immédiatement qu’il y a en effet une belle agitation dans le camp. Quelques cris, plein de militaires qui courent dans tous les sens. Mais qu’est-ce qu’il se passe ? On n’est pas habitué à autant d’agitation ici.

- Dan, attends-moi ! Tu m’expliques ou je dois tout découvrir tout seul ?

- Dis à Justine de rester à l’abri. Il faut pas que ça sorte d’ici, sinon on est dans la merde. Enfin, surtout toi. Il y a des soldats qui disent que c’est de ta faute !

Je n’ai pas le temps d'interpeller Dan plus en détails que Laurent m’attrape par l’épaule et me repousse en arrière. Je grimace quand je pose mon pied par terre. C’est déjà pas facile de marcher avec des béquilles, alors qu’est-ce qui lui prend de s’agripper à moi comme ça ? Quand je vois la jeep passer à toute allure et manquer de m’écraser, je comprends que Laurent m’a évité un accident. J’essaie de retrouver un peu de dignité en m’appuyant sur mes béquilles et le remercie du regard avant de suivre le chemin emprunté par Dan, vers la partie où toutes les tentes de réfugiés se trouvent.

Lorsque je m’approche, je vois que Julia est en grande discussion avec les anciens du camp, Lorena assurant la traduction. Une foule s’est créée autour du petit groupe qui discute. Je constate avec inquiétude que les soldats et Snow sont en position, prêts à tirer si nécessaire, alors que les réfugiés ont l’air bien énervé. Pourquoi personne ne m’a prévenu ?

- Vous ne pouvez pas nous empêcher de sortir ! On n’est pas en prison ici ! crie l’un des anciens en brandissant un poing vers Julia qui fait comme si elle ne le voyait pas, essayant de garder son calme.

- C’est pour votre sécurité, je vous l’ai déjà dit, et pour celle du camp. Il y a trop de risques à sortir.

- Jusqu’à maintenant, tu nous as toujours autorisés à sortir. Pourquoi tu nous enfermes maintenant ? l’interpelle un jeune violemment. Tu crois qu’on comprend pas ce que tu fais ? Tu nous traites comme de la merde !

- Écoutez, si j’avais le choix, je vous laisserais sortir. Je n’éprouve aucun plaisir à faire ça, mais la situation dehors est compliquée. Soyez patients, je vous promets que nous travaillons à améliorer les choses.

Je vois qu’elle galère et qu’elle est en train de se faire déborder par la situation avec ses phrases qui n’expliquent rien du tout. Et dire qu’elle n’a pas le choix, ce n’est pas le meilleur moyen d’affirmer son autorité dans les circonstances.

Je m’avance cahin caha vers leur petit groupe. Snow fait un signe aux soldats pour me laisser passer et je crapahute vers les Silvaniens qui s'époumonent et Julia qui a l’air de perdre un peu pied, même si je la trouve très courageuse et très persévérante dans sa volonté de maintenir le dialogue. Mon arrivée a au moins le mérite de faire taire tout le monde, ce qui me surprend un peu, mais j’en profite pour me positionner en tant qu’intermédiaire. Pas très difficile avec mon rôle de responsable de l’ONG qui a rendu ce camp possible. Il faut que je joue sur cette légitimité.

- Ou alors, tu vas te faire avoir et perdre toute crédibilité. Pourquoi tu laisses pas la Lieutenant gérer les choses ?

Parce que je ne veux pas qu’elle ait de problème, bien sûr. Après tous les efforts qu’elle a faits pour que la vie du camp se passe bien, je ne peux pas la laisser se démerder en me mettant de côté !

- Bien, je vois que la discussion est vive, dis-je dans un sourire que je veux apaisant. Je vous propose une chose, allons dans la tente d’Erik et on discute autour d’un thé.

Je me tourne vers Erik qui est un des anciens du camp et qui est respecté par tous ses concitoyens. Sans attendre que Lorena traduise, je m’exprime en Silvanien, sans me préoccuper de dévoiler ce côté de moi car l’important est de calmer les choses.

- Dis-leur de retourner à leurs affaires et de revenir à midi. On leur expliquera où on en est et si on a un accord. Ils pourront râler alors mais attention, s’ils s’énervent trop, ça risque de finir en bain de sang. Ce sont des soldats, derrière moi, pas des gens de Food Crisis.

Erik se retourne et discute avec les trois hommes à ses côtés. Il s’adresse ensuite aux autres pour leur dire qu’il gère la situation et il leur demande d’attendre quelques heures avant de revenir. Quelques voix se font entendre pour protester, mais un regard de sa part calme les choses et la foule se disperse assez rapidement. Je sens l’ambiance se réchauffer un peu et les soldats baissent leurs armes, même s’ils restent prêts à réagir en cas de débordement.

- Tu leur as dit quoi pour qu’ils se barrent tous comme ça ? Moi, ça fait quinze minutes que j’essaie et tout ce que j’ai réussi à faire, c’est les énerver !

- Je leur ai dit qu’on allait gérer les choses et que eux, ils n’avaient qu’à s’occuper jusqu’à ce qu’on leur dise ce qu’ils doivent faire.

- D’accord… Mais il n’y a rien à gérer, Arthur, c’est comme ça et pas autrement, soupire Julia en faisant signe à ses hommes de se disperser.

- Julia, tu sais ce que c’est, la négociation ? Il faut discuter et donner aux gens l’impression qu’ils sont entendus. Là, tu ne leur laisses aucun autre choix que la révolte. C’est ça que tu veux ?

- Ce que je veux, c’est qu’ils survivent, et là, dehors, c’est trop risqué.

- Ouais, eh bien avant de donner ta décision, tu fais semblant d’écouter, d’accord ? Si tu n’as pas le soutien des chefs du clan, ils vont tous sortir. Ce ne sont quand même pas des soldats sous mandat de l’ONU qui vont tirer sur des réfugiés ! Ils le savent aussi bien que toi. Il faut les convaincre, fais-moi confiance, je sais que je peux arriver à t’aider là-dessus.

- Très bien, soupire-t-elle, mais je n’ai pas que ça à faire, au passage. J’aimerais bien que ça ne prenne pas deux heures.

- Si ça ne prend que deux heures, ce sera un miracle. Ils veulent sortir, tu ne veux pas, Il va falloir trouver un terrain d’entente.

- Arthur, j’ai des hommes blessés à l’infirmerie. Y a pas de terrain d’entente possible. S’ils sortent, ils se font canarder. Alors, il va simplement falloir qu’ils acceptent que, pour l’instant, on se cantonne au camp et à rien d’autre.

- Bien Cheffe. Espérons que tu saches les convaincre en tête à tête alors. Tu devrais peut-être ouvrir un peu plus ton treillis et jouer sur tes charmes, parce que là, je ne vois pas quels arguments utiliser pour ramener le calme, m’amusé-je à lui dire. Mais bon, c’est toi qui vois. S’ils sentent que tu n’es pas ouverte, c’est mort, tu n’auras rien.

- Bien sûr, je peux y aller à poil si tu penses que c’est l’idéal pour qu’ils comprennent que pour ne pas crever sous les balles, il faut rester en sécurité ici, bougonne Julia, clairement agacée.

- Tu ne pourras pas les sauver malgré eux. Laisse-moi parler. J’ai bien compris ton message, mais si je leur dis comme ça, c’est tout le camp qui va exploser.

- Très bien, fais ce que tu veux, je te fais confiance. Au boulot…

Nous nous rendons dans la tente d’Erik où nous nous retrouvons, Julia et moi, en compagnie de cinq “anciens” du camp. Lorena nous a accompagnés et je lui ai dit de tout traduire pour Julia, au fur et à mesure des discussions afin qu’elle puisse suivre nos échanges. Erik nous sert à tous un thé. Je vois Julia qui commence à le refuser mais le regard que je lui adresse lui fait comprendre qu’elle a intérêt à dire oui si elle veut que les échanges aient une chance d’être productifs. Les premières discussions que nous avons sont stériles et concernent l’organisation du camp en général. Typique pour mes concitoyens de ne pas prendre la route directe pour aborder la question qui fâche. Je vois que Julia s’impatiente mais elle parvient à se contenir. Quand enfin Lorena lui traduit qu’ils veulent qu’on respecte leur liberté de sortir, je vois qu’elle se tend tout de suite, prête à réagir, mais j’interviens.

- La Lieutenant, elle ne veut pas que vous sortiez parce que c’est dangereux pour vous. Et puis, on sait très bien que vous voulez aller vous battre pour la Gitane. Ça ne sert à rien de mentir. Je ne suis pas con et elle non plus.

Je vois que les anciens ne s’attendaient pas de ma part, vu que je parle leur langue, à une attaque si directe et ils se regardent sans rien dire, un peu estomaqués par ma bravade. Erik est le premier à se ressaisir.

- Je vois que tu as oublié les bonnes manières, Arthur. C’est comme ça que tu parles aux Anciens ?

Je soupire. S’il croit m’apitoyer ou me faire ressentir de la culpabilité avec ses reproches, il se met le doigt dans l'œil.

- Alors, ce n’est pas la question. On est d’accord que vous voulez sortir pour aller vous battre contre le Gouvernement ? insisté-je, agacé.

- Écoutez, intervient Julia. Je comprends que vous vouliez vous battre pour vos droits, défendre vos libertés et vos familles, vraiment. Croyez-moi, je ne serais pas là si mon objectif n'était pas de sauver des vies. Mais si vous sortez maintenant, vous risquez gros et vous mettez en danger toutes les personnes présentes sur ce camp. Si on apprend que des Silvaniens venant d'un camp d'ONG participent à la rébellion ? Il n'y aura plus de camp, on va se faire bombarder rapidement.

- Ouais, c’est exactement ce que j’allais dire ! Vous sortez, vous allez vous battre, et le Gouvernement va faire un massacre du reste de votre famille. Bordel, réfléchissez !

Les hommes en face de nous se regardent. Je pense qu’ils n’osent pas s’exprimer devant moi et qu’ils ont du mal à se décider. Je sais que le temps joue pour nous et je reste assis à les dévisager l’un après l’autre avant d’en remettre une couche.

- Ah, ils sont beaux les Anciens. C’est pas vous qui êtes censés être raisonnables ? Qui êtes censés mettre du plomb dans les cerveaux des jeunes ? Vous savez, s’il arrive un malheur, ce ne sera pas ma faute. Ni celle de la Lieutenant. Mais la vôtre. Réfléchissez bien avant de parler !

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