21. Délivrance avant torture psychologique

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Julia

Je saute au cou de Snow à peine est-il arrivé dans cette cave dégueulasse où perce enfin la lumière du jour. Pas très professionnel, je le concède, mais ce genre d’enfermements me rappelle de bien mauvais souvenirs.

- Je vois que tu aimes les redites, rit Mathias en me serrant contre lui. Tu n’en as pas marre que je te sauve le cul ?

- Dois-je te rappeler que je t’ai littéralement déjà sauvé le cul quand tu as pris une balle dans ce fessier d’emmerdeur ? ris-je en le relâchant alors que je vois Collins nous observer de la trappe. Il va falloir aider Zrinkak à remonter, il est blessé à la jambe.

- Ok, faut pas traîner non plus, il y a du mouvement dans les alentours.

J’acquiesce et rejoins Arthur pour l’aider à se lever.

- Calme et tranquille, Arthur, souris-je. Ça va ? Eva va bien s’occuper de toi une fois rentrés.

- Je vais changer d’infirmière ? C’est bien dommage, dit-il quand il se redresse en prenant appui sur moi. C’était bien cosy ici, finalement. N’oublie pas de prendre le chien, on ne va pas le laisser là, le pauvre.

- Il le mériterait, pourtant, bougonné-je en fusillant la bête du regard. Pour Eva, au moins, tu auras droit à une bonne dose de douceur, tu ne pourras pas te plaindre. Elle doit même avoir des sucettes si tu es sage.

- Bon, vous comptez tailler la bavette pendant une heure ou on peut y aller ? s’impatiente Mathias derrière nous.

- Oh ça va, c’est la fin du rencard, on peut pas se quitter à l’arrache non plus, ris-je en entraînant Arthur avec moi vers la trappe.

- Qu’est-ce que je ne ferais pas pour un rencard avec une jolie femme, murmure Arthur, juste assez fort pour que je l’entende, ce qui me fait sourire.

Je récupère le harnais que me tend Collins et l’attache autour de mon partenaire de tête-à-tête improvisé. Nous avons passé quasiment vingt-quatre heures ici, mais le temps a passé relativement vite.

Lorsque nous foulons à nouveau la terre ferme du rez-de-chaussée, le spectacle est plutôt impressionnant. Il ne reste rien de la maison si ce ne sont des ruines, et mes hommes semblent éreintés.

- Je m’en charge, Collins, dis-je alors qu’il soutient Arthur.

- Je ne suis pas handicapé, grommelle le responsable de l’ONG, visiblement mécontent de ne pas être autonome, en repoussant Collins.

- Très bien, dis-je doucement, ton infirmière te lâche si tu peux te débrouiller seul.

- Non, toi, tu peux m’aider, ça ne me dérange pas, me dit-il tout bas. Et n’oublie pas le chien, il faut le ramener à ses propriétaires !

- Snow s’occupe de la boule de poils qui nous a causé tant de soucis.

Je me glisse sous son bras pour l’accompagner jusqu’au véhicule en observant le village et la maison à côté de celle où nous étions prisonniers, elle aussi en ruines.

- Tu crois que le Gouvernement a appris que cette famille traitait avec la Gitane ? lui chuchoté-je en l’aidant à monter dans le 4x4.

- Non, comment veux-tu qu’ils le sachent ? A moins que le chien ne les ait trahis encore une fois… C’est quand même grâce à lui qu’on a découvert les documents. Ça changerait quelque chose s’ils étaient au courant ?

- C’est forcément l’armée silvanienne qui a attaqué, pas les rebelles. Et s’ils savent qu’on a sauvé une famille qui traite avec les rebelles…

- Ah oui, je comprends. Ils n’ont aucun moyen de savoir qui on a sauvé ou pas, si ? Ils ne sont pas compétents à ce point-là, je pense.

- On verra bien, soupiré-je en récupérant à boire et de quoi calmer mon ventre qui crie famine avant de m’installer à l’arrière avec lui, sous le regard surpris de Mathias qui s’installe au volant. Tu veux quelque chose ? Eva va me tuer si tu es déshydraté en plus d’être blessé.

- La même chose que toi pour moi, me commande-t-il comme s’il était au restaurant, en me faisant un clin d'œil, démontrant ainsi que notre entente s’est faite plus forte avec ce moment passé en tête à tête.

Je lui donne de quoi se sustenter alors que nous prenons la route dans un silence quasi total. Je vois que Mathias et Collins, à l’avant, ont les yeux partout et mon instinct reprend le dessus rapidement jusqu’à ce que nous soyons suffisamment éloignés du village pour que la fatigue s’abatte brusquement sur mes épaules. Arthur me sourit et passe son bras autour de mon épaule. Je me demande si je dois le repousser ou pas, surtout en voyant le regard de Mathias dans le rétroviseur. Pour autant, nous venons de passer quasi vingt-quatre heures dans cette merde et il est clairement plus confortable que la vitre.

- Oh désolé, me murmure-t-il en retirant son bras. Je n’avais pas vu que nous étions sous surveillance.

- Ce n’est pas lui qui m’inquiète, soupiré-je en m’enfonçant dans le siège avant de poser ma tête contre son épaule.

- Qu’est-ce qui t’inquiète, alors ? Si je peux aider, c’est pas ma jambe qui va m’en empêcher, je t’assure.

- Je te raconterai la prochaine fois qu’on sera séquestré sous une maison en ruines, ris-je.

- Ah mince, et si je te séquestre dans ma tente, ça marche aussi ? continue-t-il sur le même ton que le mien.

- Aucune chance !

Je lui fais un clin d'œil et passe le reste du trajet dans un brouillard peu agréable, entre sommeil et éveil, secouée par la route, mais confortablement installée contre Arthur. Je ne suis pas mécontente de retrouver le camp, d’autant plus qu’Eva m’accueille d’une embrassade monumentale à peine suis-je descendue du véhicule.

- Calme-toi, ris-je, je vais bien, j’ai même fait ton boulot. Je ne sais pas pourquoi tu te plains de ton salaire de misère vu que tu sauves des vies, j’ai fait pareil sans chouiner alors que ce n’est même pas mon boulot.

- Toi aussi, tu sauves des vies. En tous cas, pas de discussion, tous les deux à l’infirmerie tout de suite. On va faire un check-up complet ! On ne prend pas de risques !

- Dans tes rêves, hors de question que tu me touches. Je vais bien, et Arthur n’est pas non plus à l’article de la mort, je me suis occupée de lui. Détends-toi, on était plutôt à l’abri, bougonné-je en laissant Arthur s’appuyer sur moi pour descendre du véhicule.

- Julia, c’est la procédure normale. Si tu n’as rien, t’en as pour une heure maxi. Par contre, vous, Monsieur Zrinkak, ça risque de prendre un peu plus de temps. C’est un beau bandage, mais on va le défaire pour vérifier que tout va bien et qu’il n’y a rien dans la peau ! Allez, les héros du jour, c’est l’heure de prendre soin de vous.

- Est-ce que je t’ai dit qu’elle était aussi canon qu’emmerdante ? demandé-je à Arthur alors que nous avançons jusqu’au centre de soins.

- Non, mais je le découvre avec plaisir. Quand vous sortez ensemble, entre filles canons, ça doit faire des ravages, rit-il en s’appuyant toujours sur moi pour marcher.

- Eva est mariée, et je plains Jason. Elle est carrément castratrice. Même moi, je me sens dirigée avec elle.

- Castratrice ? Tu es sûre qu’elle ne va pas m’amputer ? me demande-t-il à l’oreille, faussement inquiet.

- Nous sommes armés, au pire… Une petite menace et ça devrait le faire, ris-je en entrant dans l’infirmerie. Allez, le Coriace, serre les dents !

- On arrête les messes basses, intervient mon amie, je veux tout savoir, tu lui as fait des propositions indécentes ?

- Bien sûr, je lui ai proposé un plan à trois en tenue d’infirmière, qu’est-ce que tu crois !

- Je crois que tu as besoin d’examens complémentaires, toi. Monsieur Zrinkak, vous savez si un pan du plafond lui est tombé sur la tête ?

- Ah non, je pense que ça date d’avant, sa folie, si vous voulez mon avis. Mais c’est vrai qu’elle a très bien tenu son rôle d’infirmière, jusque dans les fantasmes, lui répond le traître en me faisant rougir malgré moi.

- Allez, ça suffit les enquiquineurs, marmonné-je en aidant Arthur à s’asseoir sur le lit. Eva, j’ai fait deux sutures dans un environnement pas très propre. Arthur avait un morceau de bois enfoncé d’environ trois centimètres. J’ai bien nettoyé la plaie pendant qu’il me racontait combien sa vie était passionnante. Il a aussi le bras écorché, en dehors de ça. Il ne semble pas non plus avoir pris un pan de plafond sur la tête, mais il est un peu dingue de nature, faut dire.

- Eh bien, le diagnostic ne va pas être facile avec deux fous comme vous à soigner. Quelle idée d’aller vous réfugier dans une cave sous un bâtiment effondré pour faire vos galipettes aussi !

- Eva, soupiré-je. C’est bon, on a compris. Tu enclenches la seconde s’il te plaît ? J’ai un camp à faire tourner, moi.

Mon amie me regarde d’un air suspicieux avant de me faire un salut militaire et de se pencher sur le cas Zrinkak. Oui, elle lit en moi comme dans un livre ouvert, cette enquiquineuse castratrice. La conversation me met mal à l’aise, évidemment. Pourquoi ? Parce qu’une telle proximité avec un homme dans le genre d’Arthur ne me laisse pas indifférente. J’ai beau jouer la femme forte, autoritaire, sûre d’elle et implacable, il ne me faut pas grand-chose pour craquer, et lui a débarqué dans mon petit quotidien bien rodé et organisé avec sa bienveillance, son humour, sa gentillesse et son intérêt pour autrui. A ça, on ajoute un tableau des plus agréables à regarder, tant qu’à faire, et on obtient un joli packaging qui donne envie de se lover contre lui comme j’ai pu le faire dans cette cave.

Je reste aux côtés d’Arthur et observe Eva détailler et nettoyer la plaie, quand la porte s’ouvre sur une Myriam au regard inquiet qui, comme l’infirmière, vient m’étouffer entre ses bras.

- Bon dieu, vous vous êtes donné le mot pour les câlins ou quoi ? marmonné-je en profitant tout de même de son geste. Je vais bien, faut déstresser !

- Tu nous as fait peur ! Mais tu as raison, vu que tu étais en charmante compagnie, on n’aurait pas dû stresser.

- Toutes tes amies sont pareil ? me demande un Arthur visiblement très amusé de la situation.

- Qu’est-ce que tu entends par là ? Frappées ? Complètement dingues ? Hystériques ? Incapables de résister à une belle gueule ? Aussi maternantes que ma mère ? Si c’est ça, oui, ris-je.

- Toutes canons comme toi et qui ne pensent qu’aux galipettes, se marre-t-il en se laissant soigner par Eva.

- T’as pas vu la tronche de Myriam au réveil, m’esclaffé-je avant de me prendre un coup dans l’épaule alors qu’Eva rit aussi. Alors, ils sont comment mes points, Eva ? La cicatrice ne sera pas horrible, il va survivre ?

- Survivre, oui. La cicatrice, il pourra l’utiliser comme souvenir de guerre devant toutes ses conquêtes. Vous serez libres de partir tous les deux d’ici vingt minutes. Tout va bien pour tous les deux !

- Ah oui, ça va être sympa comme souvenir de guerre, ris-je. Une maison m’est tombée dessus alors que je voulais sauver un clébard dans une cave. Tu vas faire tomber toutes les amoureuses des chiens avec ça.

- J’essaierai d’enjoliver un peu, dit-il, surtout si celle que je veux séduire n’aime pas les chiens !

Je jette un œil dans sa direction, pas bien sûre de comprendre où il veut en venir. Est-ce qu’il parle de moi, là ? Non, bien sûr que non, un humanitaire qui déteste l’armée, quelle idée !

- Bonne idée, oui, tu n’auras qu’à dire qu’une dingue de militaire t’a fait une prise de karaté pour t’éviter de recevoir une maison sur la tête !

- Il ne dira rien du tout, Julia, je suis sûre que Monsieur Zrinkak n’est pas un dragueur ! intervient Eva, amusée. Allez, une petite prise de sang pour vérifier que tout va bien et je vous relâche !

- Heu… Pour moi aussi la piqûre ? Pitié, je vais bien, pas de piqûre !

- Pour tout le monde, oui ! Non mais, si on survit à un effondrement, on doit pouvoir survivre à une petite prise de sang !

- Bordel, je te déteste, marmonné-je en enlevant mon gilet et ma veste. J’aime pas les piqûres et tu le sais.

- Allez, sois aussi courageuse que tout à l’heure, me dit Arthur, rassurant. Tu pourras ainsi dire que tu as eu le pire rencard de toute ta vie !

- Un rencard ? demande Myriam. De quoi vous parlez ?

- De rien, soupiré-je en m’asseyant à côté d’Arthur. Une blague de séquestrés.

- Je crois que de toute façon, rien ne pourra égaler ton rencard avec le mec du garage près de chez tes parents, ajoute Eva, moqueuse.

- Boucle-la et pique-moi, traîtresse !

- Le mec du garage ? Il s’est passé quoi ? demande Arthur, intrigué.

- Ah le mec du garage, pouffe Myriam alors que je lui lance un regard tueur. Non non, Julia, tout le monde devrait savoir qu’on n’invite pas une nana à dîner dans son garage où ça pue l’huile et l’essence, pour lui proposer une soirée pizza avec ses potes à un premier rencard ! Surtout quand on ne prend pas de douche après le boulot !

- Wow le plan foireux ! Je pense que la cave avec le toutou baveux sous l’effondrement, ça a quand même plus de classe, s’exclame un Arthur hilare.

- Sans doute oui, marmonné-je avant de grimacer et de détourner le regard quand Eva m’enfonce son aiguille de la mort dans le bras. Je suis abonnée aux rencards foireux, de toute façon. Bref, c’est bon, je peux retourner bosser, Madame l’infirmière ?

- Oui ! Apte pour le service ! Et pour vous, monsieur l’humanitaire, il faudra informer vos patrons que vous êtes en arrêt pour la semaine au moins.

- Oui, oui, je vais juste me reposer ce soir. Si vous avez des béquilles, ça ira pour aller travailler dès demain. Merci pour les soins en tous cas !

- Tu devrais l’écouter. Aussi enquiquinante soit-elle, elle n’a pas tort. Tu risques de faire sauter les points si tu forces… Enfin bon, tu fais comme tu le sens, évidemment.

Je vois Myriam faire de gros yeux alors qu’Eva pouffe dans sa barbe. Quoi, qu’est-ce que j’ai dit qui mérite ces têtes de cinglées ? Je fronce les sourcils à leur encontre, voulant des explications, et vois Eva approcher d’Arthur et poser sa main sur sa cuisse, ce qui me fait réaliser que la mienne y est posée également, chose que je rectifie en la glissant aussi naturellement que possible dans la poche de mon treillis.

- Bien sûr, vous faites comme vous le sentez, Monsieur Zrinkak, minaude-t-elle avant de me regarder, moqueuse.

Merde… Ok, je comprends maintenant. Oui, j’ai sans doute été trop douce dans mes paroles, et alors ? Oui, ce n’était pas un ordre, quel est le problème ? Si on ne peut même plus parler tranquillement sans être analysée par ses propres amies ! Je fais ce que je veux ! Arthur vient de vivre quelque chose de traumatisant, je ne vais pas le brusquer, en prime, si ? On y croit, Julia, on y croit…

- Bien, j’y vais, marmonné-je. Bonne fin de journée les filles. Arthur, repose-toi, on se voit demain matin pour discuter avec Snow de ce dont on a parlé dans la cave, dis-je en me dirigeant déjà vers la porte que je franchis sans attendre aucune réponse.

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