16. Le repos de la Gitane

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Arthur

Le chant des oiseaux me tire de la rêverie qui m’avait emmené par delà la vallée jusqu’au village de mon enfance où m’attendaient mes parents et ma sœur, dans un pays non pas ravagé par la guerre mais qui vivait sous le soleil de la Paix. Le rouge-gorge qui s’égosille à n’en plus finir doit être en pleine parade amoureuse. Ou alors il est en manque parce que Madame est trop occupée à nourrir les enfants ? Et pourquoi ces idées me font penser à la Lieutenant au réveil ? Je dois être fou, moi. Ou alors aussi en manque que Monsieur Oiseau.

Je passe ma tête à l’extérieur de la tente et je vois que la journée va être belle et peut-être chaude. Dans certaines parties du monde, on appellerait ça l’été indien. Je repense alors à la chanson de Joe Dassin : C’était l’automne. Un automne où il faisait beau. Il ne manque plus que l’aquarelle de Marie Laurencin et un petit air mélancolique de trompette, et je pourrais presque m’imaginer le héros de cette chanson que ma mère écoutait en boucle quand j’étais petit. J’ai vraiment l’impression que ce matin, tout me ramène à elle.

J’enfile un tee-shirt et un short avant de sortir pour aller me laver dans le bâtiment principal. Il est encore tôt, mais ces fous de soldats sont déjà tous levés ou presque. Même ceux qui sont en repos. Ces fous, vu qu’ils ne peuvent pas vraiment sortir en perm, se sont mis à porter leur béret à l’envers le jour où ils sont de repos. Perso, je trouve que ça leur donne l’air con. Mais ça n’a pas l’air de déranger leurs chefs qui s’amusent de cette coutume propre à leur équipe.

Après un petit passage rapide sous la douche, je ressors et ne prends pas le temps de remettre mon tee-shirt. Je suis en retard pour aller m’occuper de la distribution des couvertures propres et rations pour la partie nord du campement. Alors que j’arrive à ma tente, j’entends une voix féminine qui m’interpelle.

Je me retourne et constate que c’est la Lieutenant qui arrive à grandes enjambées. Alors que je l’observe approcher, je me demande quelle bêtise j’ai encore pu faire pour qu’elle vienne d’un pas aussi décidé vers moi. Elle porte son pantalon de treillis et son arme que je trouve toujours aussi intimidante à la hanche, mais elle n’a pas revêtu sa veste habituelle. Elle porte juste un gros pull qui met plus en valeur ses formes que le costume habituel de l’armée.

- Eh bien, qu’est-ce qui vous amène, Lieutenant ? Promis, je n’ai pas essayé de sortir sans autorisation !

- Bonjour Arthur, dit-elle en me souriant. Vous auriez de quoi m’occuper pour la journée ?

- Vous occuper ? Ben, vous n’avez pas un camp à gérer, une armée à diriger et des humanitaires à surveiller ? demandé-je, réellement surpris.

- Snow me remplace aujourd’hui. C’est important de garder des temps de repos pour les soldats, ça vaut aussi pour moi. Je vais devenir dingue avec toute cette paperasse et toutes ces cartes, ces statistiques, grimace Julia.

- Et donc, vous pensez que ce que je fais, c’est du repos ? rétorqué-je, un peu vexé. Vous n’avez rien d’autre à faire de votre jour de repos ? Je ne sais pas moi, faire du sport, regarder un film…

- Ce n’est pas ce que j’ai dit. Vous êtes sacrément susceptible, dites-donc. On fait ce qu’on veut, un jour de repos, non ?

- Et vous voulez vraiment me donner un coup de main ? l’interrogé-je, ravi de sa proposition. Ce serait vraiment avec plaisir, vous savez. Au moins, vous allez pouvoir comprendre tout ce qu’il y a d’humain et qui est rendu possible par votre soutien !

- Oui, je compte vraiment vous aider, rit-elle. Ça vous surprend tant que ça ? C’est ce que j’ai envie de faire de ma journée de repos, justement, voir autre chose que des mecs en treillis qui se la jouent supérieurs. A moins que vous ne vouliez pas de moi, évidemment.

- Oh mais bien sûr que je vous veux ! Enfin, je me comprends. Mais par contre, il y a une règle obligatoire à respecter si vous voulez vous rendre utile avec nous.

- Vous plaisantez ? Vous allez m’imposer des règles sur mon jour de repos, à moi ? me demande-t-elle, l'œil rieur.

- Oui, parce que pour une fois que je peux jouer au boss avec vous, je ne vais pas m’en priver ! Et puis, la règle n’est pas si compliquée que ça. Enfin, je pense, dis-je en m’emmêlant un peu les pinceaux.

- Et donc, quelle est-elle ? Ne me faites pas languir, non plus, c’est moi qui ai le flingue je vous rappelle !

- Ah oui, j’avais oublié ce petit détail, m’amusé-je à la faire attendre encore un peu. Enfin, petit, c’est un gros détail ! Eh bien, pour bosser dans l’ONG, la règle, c’est de se tutoyer. Sinon, je serai obligé d’en référer à mes supérieurs en France !

- Je vois… Et vous faites ça sans vous connaître ? Dans l’armée, on ne tutoie pas souvent.

- C’est votre journée de repos ou pas ? On n’est pas dans l’armée, nous !

- Hum, bougonne-t-elle, le sourire aux lèvres. On dirait bien que vous avez encore décidé de m’enquiquiner aujourd’hui.

- Et encore, je ne vais pas te faire suivre tout le programme de formation sur nos valeurs et tout le blabla qu’on fait subir à nos autres volontaires. J’anticipe, mais tu es OK pour le tutoiement ?

- Oui, oui, va pour le tutoiement. Mais seulement pour aujourd’hui alors, ou… Pour les discussions en privé les autres jours. Ça te va ?

- Parfait, tu es embauchée ! Aujourd’hui, c’est la tournée pour donner les rations et les couvertures propres à la partie Nord du camp. Et quand je le fais, j’en profite toujours pour prendre de leurs nouvelles, savoir s’ils ont besoin de quelque chose. Ça te va ?

- Ça me va. Tu pourras en profiter pour prendre la température par rapport au comportement des soldats, et poser des questions pour savoir s’ils n’ont pas de difficultés à voir nos médecins, dit-elle avant de grimacer. Enfin… S’il te plaît ?

- Tu pourras leur demander aussi, tu seras surprise du nombre de personnes qui parlent français. Mais tu sais, c’est ton jour de repos. Profite des sourires et des contacts, si je peux me permettre ce petit conseil d’ami.

- Je compte bien profiter, mais on peut lier l’utile et l’agréable, Arthur, tu ne crois pas ? me dit-elle en souriant.

Je ne réponds pas et lui montre comment fonctionne le chariot que nous avons à notre disposition. C’est un peu comme un caddie pour faire les courses, mais avec un système amélioré lui permettant de rouler un peu sur n’importe quelle surface. Nous nous dirigeons ensuite vers l’entrée du campement, chacun avec un chariot rempli à ras-bord. Dès que nous arrivons, je vois la petite Lila se précipiter vers nous. Elle se jette dans les bras de Julia qui l’accueille en souriant.

- Bonjour. Je m’appelle Lila, dit la petite fille qui commence à apprendre le français.

- Bonjour Lila ! Comment vas-tu ?

- Je vais bien. Je t’aime. Au revoir, enchaîne-t-elle sans toutefois partir des bras du Lieutenant.

- Eh bien ! rit Julia. Qui t’apprend le français ?

Et là, la petite traîtresse, dans un sourire, me montre du doigt en souriant.

- Ah non, moi, je n’y suis pour rien ! Je n’ai pas le temps de faire ces folies ! m’exclamé-je en français avant de rajouter en silvanien, tu viens nous aider à faire la distribution ?

La petite hoche la tête en signe d’assentiment et se met derrière le chariot de Julia alors que cette dernière se positionne derrière elle pour l’aider à pousser. La distribution se passe bien jusqu’à ce que nous arrivions à un groupe de quelques hommes visiblement en grande discussion sur les rebelles. Je m’approche alors que Julia continue la tournée avec la petite Lila.

- Je comprends bien, leur demandé-je dans ma langue maternelle, vous voulez aider les rebelles ? Ce ne sont pas eux qui ont bombardé votre village ?

Après un silence et un moment d’hésitation, l’un d’eux, celui qui semble être le plus âgé, un type d’une cinquantaine d’années, prend la parole.

- Je ne savais pas que tu parlais notre langue, Arthur. Tu es des nôtres ?

- Je suis né ici, mais je suis français maintenant. Je ne comprends pas pourquoi vous voulez aider les rebelles.

- Parce que ce ne sont pas les rebelles qui ont bombardé le village.

- Vous ne pouvez pas savoir ça ! Le Gouvernement a montré les bases de lancement des missiles qui étaient contrôlées par eux.

- Le Gouvernement montre ce qu’il veut. Il ne dit pas toujours la vérité. Et là, ce sont des mensonges. La Gitane a de la famille dans le village, jamais elle ne l’aurait fait bombarder.

- La Gitane ? C’est qui ça ? Une rebelle ?

- Oui, c’est elle qui a été choisie par les rebelles pour mener la lutte, intervient un jeune blondinet tout sec qui était resté silencieux jusque là. Tout le monde la connaît. Arthur, on peut te faire confiance ? Tu ne vas pas aller tout raconter aux soldats français ? Ils sont aux ordres du Gouvernement, il ne faut pas qu’ils sachent.

- Si ça n’a pas trait à leur sécurité, je ne dirai rien, non. Et ils sont juste là sous les ordres de l’ONU pour nous protéger.

- Non, ils ne risquent rien ici, mais on ne leur fait pas confiance. Ils pourraient nous trahir pour une récompense du Gouvernement. Ils sont tous corrompus.

- Alors, c’est qui, La Gitane ?

- Une femme exceptionnelle. Elle a perdu toute sa famille dans la guerre il y a longtemps, la voilà seule et dans l’opposition depuis tout ce temps. Elle a fait passer un message qui demande des hommes et des femmes pour monter une opération contre les troupes du Gouvernement et venger le massacre de Belroutçà.

- N’y allez pas. Si l’un de vous se fait prendre, il y aura des représailles contre le camp. Ce serait une folie ! m’emporté-je contre eux, provoquant ainsi le retour de Julia, la main sur son pistolet.

- Que se passe-t-il, Arthur ?

Je regarde les hommes, puis Julia. Je sais que certains d’entre eux comprennent le français et attendent de voir ce que je vais dire à la Lieutenant.

- Rien, rien. Ils me racontaient comment ils ont vécu les bombardements de Belroutçà. C’est vraiment horrible. Ils pensent que ce ne sont pas les rebelles qui ont fait ça.

- On n’est pas là pour faire de la politique, Arthur. Tu le sais aussi bien que moi. Ne nous mêlons pas de ça.

- Oui, tu as sûrement raison.

Nous nous éloignons des hommes qui nous regardent sans animosité, mais beaucoup plus sur la réserve qu’avant l’arrivée de Julia. Il faudra que je revienne pour discuter avec eux sur cette mystérieuse Gitane. Et surtout pour les dissuader de se joindre à une telle expédition. Ce serait dangereux pour le camp et pour nous tous. Je ne peux pas risquer la vie de tout le monde ici, je dois arriver à savoir ce qui se trame. On n’a peut-être pas eu d’informations sur l’attitude des soldats vis-à-vis des réfugiés, mais la visite n’a pas été inutile. La question qui se pose désormais à moi est la suivante : Puis-je faire confiance à Julia et lui confier ce que je viens d’apprendre ?

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