14. L'assaut de l'église

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Arthur

Je suis étrangement calme au milieu de tous ces soldats, derrière la Lieutenant, même si je ne suis pas armé. Je les comprends dans leur refus, mais je me sens un peu nu quand même. J’espère que j’ai raison et qu’on va juste trouver des villageois apeurés plutôt qu’un groupe de rebelles armés jusqu’aux dents. Je sais au fond de moi que je ne peux pas me tromper, mais j’ai quand même un doute. Les habitudes des villageois, je les connais, c’est ce que j’ai vécu quand j’étais à leur place. Mais qui me dit que les rebelles n’ont pas choisi de nous tendre un piège ?

Traverser le village a été plutôt long et angoissant. Le paysage qui s’est affiché devant moi était tel que les informations ne le montrent jamais ou presque. Des ruines, tachées de sang et de cadavres, de tous genres, de tous âges. Des innocents qui étaient au mauvais endroit, au mauvais moment. Des gens qui allaient acheter leur pain, qui discutaient, des enfants qui jouaient ensemble, qui allaient peut-être à l’école. J’ai réussi à ne pas vomir mes tripes et j’ai bien compris que l’équipe naviguait en fonction des zones où se trouvaient des morts. Pour s’éviter les horreurs ou pour me les épargner ? Impossible de ne pas tomber sur un cadavre, de toute façon, il y en a trop. Beaucoup trop. Bien trop d’innocents sacrifiés pour une guerre qu’ils n’ont pas demandée.

Je pose mon bras sur l’épaule de Julia qui s’arrête aussitôt. Je lui fais comprendre par des signes que je veux passer devant elle. Elle me fusille du regard et me fait non de la tête. J’insiste et prends le risque de chuchoter.

- Il le faut, je dois leur parler s’ils sont là, sinon ça va finir en boucherie.

- Et si ce sont des rebelles, là-dedans, vous êtes mort. Alors, on fait comment ?

- On me fait confiance ?

- On voit bien que ce n’est pas sur vous que tout va retomber s’il y a une merde ! Confiance ou pas, ça ne change pas grand-chose…

Je suis à deux doigts de me retourner et de me barrer. On est là pour aider un groupe de rescapés apeurés, et elle, tout ce à quoi elle pense, c’est sa foutue carrière. Je la regarde et essaie de cacher la déception que je ressens.

- Comme vous voulez, c’est vous la cheffe. Je suis les ordres. Dites-moi ce que je dois faire, énoncé-je, résigné.

- Très bien, soupire le Lieutenant en m’attirant contre le mur de l’église. Vous restez contre le mur et on avance lentement. Je vous interdis de vous mettre devant la porte, s’ils tirent à l’aveugle à travers, vous finirez en gruyère. Clair ?

- Oui, très clair. Mais ils ne tireront pas.

Elle me jette un regard désespéré, comme si cela l’énervait au plus haut point que je prenne ça à la légère. Mais en même temps, qu’est-ce que j’ai à perdre ? La vie ? Peu de gens me pleureront. Le reste ? Quelle importance ?

Je sens son bras toujours contre mon torse qui me plaque contre l’église alors que nous progressons à une lenteur infinie. Je dois avouer que la discrétion de l’ensemble de l’équipe est appréciable et que j’admire leur efficacité. J’apprécie aussi sentir sa main contre moi, je me dis que dans d’autres circonstances, ça pourrait être excitant, mais là, elle est si tendue qu’il ne faudrait pas que quelqu’un écrase une branche, ça la ferait exploser, c’est sûr.

Elle s’agenouille devant moi et me fait signe d’approcher et de me pencher au-dessus d’elle. Par d’autres gestes discrets et précis, elle met en position le reste de son équipe pour couvrir au maximum cette porte. Je suis convaincu qu’elle n’est pas fermée et que toutes ces précautions sont inutiles. Si l’église est bien comme je l’imagine, il n’y a qu’une seule personne présente dans la petite pièce, les autres sont réfugiés dans une cachette à l’arrière. Je ne sais pas trop comment agir pour entrer sans lancer une fusillade qui serait désastreuse pour tout le monde. Après quelques secondes de réflexion, je me décide pour la manière la plus simple. Je toque à la porte. Trois coups secs.

- Brillante, ton idée, me souffle ma petite voix apeurée. Un vrai génie, bordel !

Vu le regard courroucé de la Lieutenant, je pense qu’elle est d’accord avec ma petite voix. Je crois qu’elles s’entendraient bien toutes les deux. Mais contrairement à toute attente, une voix féminine répond en Silvanien.

- Qui est là ? Il n’y a rien ici. C’est le domaine de Dieu.

Je suis convaincu que ce n’est pas une rebelle, mais je ne sais pas si j’ai l’autorisation de répondre. Je regarde la cheffe d’opération qui hausse les épaules. Soit elle n’a rien compris, soit elle se dit que ça ne sert à rien de me donner une quelconque instruction, vu que j’agis à l’instinct.

- Nous sommes là pour vous aider. Je suis Arthur Zrinkak, de l’ONG Food Crisis. Vous avez besoin de quelque chose à manger ?

- Vous êtes seul ?

- Non, hésité-je à répondre. Je suis avec des membres de l’armée française et de l’ONU. On est là pour vous aider. Je peux entrer ? Seul ? Je ne suis pas armé.

Même si j’ai toujours ce doute au fond de moi, j’essaie de ne pas le montrer et je m’efforce d’adresser un regard confiant à l’équipe qui m’entoure.

- Oui, vous tout seul, c’est bon.

- Je demande l’accord aux soldats. J’arrive.

Je soupire de soulagement. Elle ne m’a pas envoyé balader. C’est déjà ça. Je regarde Julia.

- Elle est d’accord pour que j’entre. Seul. C’est bon pour vous ?

- Seul ? Bien sûr, éventuellement tirez-vous une balle tout seul, ce sera exactement la même chose, bougonne la Lieutenant en me fusillant du regard. Vous faites chier, Zrinkak ! Comment voulez-vous qu’on vous protège si vous entrez seul là-dedans ?

- Vous voulez venir avec moi ?

- Bien sûr ! Quelle question !

- Je demande, juste pour vous.

Lorsque je pose la question, en précisant bien que je vais être accompagné d’une soldate armée, j’entends des murmures de l’autre côté. Je pense qu’ils se mettent en position eux-aussi pour se défendre, et je me dis que c’est vraiment mal parti, mais ils finissent par accepter.

- Ok, Lieutenant, juste vous. J’espère que vous avez des réflexes s’ils commencent à nous tirer dessus.

- Vous n’avez pas idée, Zrinkak, me lance Snow, un peu plus loin. Au centre de tir, elle était appelée Lucky Luke. Fais gaffe à toi, quand même, Lieutenant !

- Ne l’écoutez pas, soupire Julia. Vous pensez vraiment qu’il s’agit de rescapés, Arthur ? Je suis prête à vous faire confiance, mais c’est à nos risques et périls à tous les deux.

- Oui, j’en suis certain. Des rebelles seraient déjà prêts à nous tuer plutôt que de se mettre en position bruyamment comme ils sont en train de le faire là dedans.

Je vois le sourire de Julia qui semble enfin se ranger à mon point de vue, même si elle reste méfiante.

- Très bien… On y va relativement tranquillement alors, dit-elle en se positionnant de l’autre côté de la porte. Vous ouvrez à trois, sans bouger de contre ce mur et vous me laissez jeter un œil avant de faire quoi que ce soit.

- Non, je rentre, vous inquiétez pas, dis-je sans la laisser se préparer et en ouvrant la porte.

Je la vois qui se met instantanément en position, un genou à terre, l’arme pointée vers l’intérieur. Je soupire et me dis que sur une autre situation, ça pourrait être bien, mais là, mon feeling ne m’a pas trompé. J’entre dans la salle, les mains en l’air, et bien entendu, rien ne m’arrive.

- Nous venons vous aider. Vous n’allez pas me tuer ? Il faut que je rassure la soldate sinon, on pourra pas discuter, dis-je dans ma langue.

- Pourquoi vous êtes là ?

- Pour vous aider. On a un camp pas loin d’ici. On peut vous y accueillir, vous donner à manger, vous soigner, s’occuper des enfants. Bref, que du positif. Si vous vous montriez tous, déjà, ça faciliterait les choses et je pourrais calmer mes copains soldats qui sont tous tendus, là.

- C’est un traître, on ne peut pas lui faire confiance.

La voix qui a prononcé ces paroles vient d’un recoin plus sombre de la pièce. Immédiatement, Julia a pointé son fusil vers cet endroit. Elle ne comprend pas ce qui se dit mais elle saisit que le ton n’est pas amical.

- Non, ce n’est pas un traître. C’est un des nôtres. Il parle notre langue, faisons-lui confiance, répond une voix féminine plus sensuelle, qui provient de la pièce à l'arrière.

- Je ne suis pas un traître, non.

Je m’avance un peu plus dans la pièce et une jeune femme fait de même, venant à ma rencontre. J’ai conscience que je suis en train d’énerver la Lieutenant en ne respectant pas ses ordres, mais je sais que si je ne fais pas ça, tout ça va mal finir. Je tends la main en signe d’union à la villageoise qui n’hésite que quelques secondes avant de me la serrer. C’est le signal pour tous les autres de sortir de leurs cachettes et de se rapprocher de nous. Ils ne sont pas très nombreux, une petite quinzaine.

- Voyez Lieutenant, des fois, un peu de confiance, ça marche. Merci pour la protection en tous cas !

- Des fois, Zrinkak. Ça veut dire que les autres fois, ça ne marche pas, soupire-t-elle en se relevant, arme à la hanche.

- Oui, vous avez raison, mais maintenant, on va pouvoir aider ces pauvres gens.

Je soupire et vois qu’elle est aussi rassurée que moi, désormais. Elle fait signe à ses troupes de ranger leurs armes puis s’installe au milieu de la pièce, les mains tendues devant elle.

- Dites-leur de venir me saluer, afin qu’on puisse les compter, qu’ils voient que je ne leur veux aucun mal, et dites-leur de sortir d’ici. Snow, donne-leur une ration à chacun. Pour la route.

Cette femme est formidable, elle est passée en quelques instants du mode guerrière au mode humanitaire. Comme si les deux étaient liés, normaux et sans contradiction. Je suis admiratif devant elle. Elle a réussi à transformer cette opération militaire en opération de sauvetage. Ou alors, peut-être que c’est moi qui n’ai rien compris. Et si, dès le début, c’était ce qu’elle voulait faire ? Peut-être que je devrais revoir mon opinion sur les militaires…

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