08. Courses sous surveillance

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Arthur

Ce matin, l’air est frais, on sent que l’automne arrive. Je suis installé à ma petite table habituelle, dans un coin de la tente centrale où on organise la vie du camp avec mes collègues. J’observe l’agitation qui règne comme tous les jours et suis satisfait de constater que chacun sait désormais quel est son rôle. J’ai l’impression que l’organisation instaurée rassure tout le monde et calme les esprits. Cela fait juste cinq jours que nous nous sommes installés et on a fait du bon boulot. Je finis de corriger le communiqué de presse préparé par Justine et lui tends pour qu’elle le transmette au siège. Les photos qu’elle a prises mettent bien en valeur tout ce travail. Elles montrent les tentes désormais bien alignées, la distribution alimentaire bien organisée. On a l’impression que c’est un camp modèle. Cela devrait nous aider dans la levée de fonds et dans nos relations avec l’ONU, c’est déjà ça.

Je sors déambuler un peu dans le camp. Je le fais aussi souvent que possible car cela me permet de prendre la température, de voir si les gens vont bien ou pas, s’ils ont des demandes. Ma maîtrise de la langue me permet de saisir des conversations bien souvent intéressantes. L’armée a notamment l’inquiétude que des rebelles se soient infiltrés dans le camp pour mobiliser des personnes et les encourager à se rebeller. Cela figure dans le rapport que m’a remis le Lieutenant Vidal, mais pour l’instant, je n’ai pu repérer aucun comportement de la sorte.

Penser à elle a le don de m’énerver. Je ne sais pas vraiment pourquoi, parce qu’elle fait plutôt du bon boulot. Elle a tenu toutes ses promesses et j’ai l'impression qu’elle fait vraiment bien son travail de militaire. C’est peut-être là que le bât blesse. Pourquoi une jolie femme comme elle a rejoint l’armée ? Depuis que des militaires ont fait irruption chez moi quand j’étais gamin, je n’arrive pas à leur faire confiance. Et là, elle me met dans une situation vraiment ambiguë. J’ai envie de faire confiance à la femme. J’ai besoin de détester la militaire.

En marchant, je croise la petite Lila, toujours aussi mignonne, qui me prend par la main et m’entraine vers la tente où elle réside avec la famille qui s’occupe d’elle. Quand j’arrive, les conversations s’arrêtent le temps de me préparer un thé, mais reprennent vite, ma compréhension de ce qu’ils disent étant insoupçonnée. Le couple est en train de se plaindre sur le fait qu’ils ont l’interdiction de sortir du camp. Ils aimeraient pouvoir aller dans les fermes alentours et récupérer des œufs, du lait, des légumes. De ce que je comprends, ils connaissent les alentours et pensent que les fermiers seraient prêts à nous aider. C’est vrai que ça pourrait être une idée, ça, pour améliorer leur quotidien et leur permettre de sortir un peu des rations quotidiennes.

- Le Lieutenant t’a interdit à toi et tes équipes de sortir du camp, pour ne pas mettre en danger ta sécurité.

Mince, ma petite voix qui m’avait laissé tranquille ces derniers jours est revenue. Elle a déjà compris ce que j’avais en tête. Pourtant, il n’y a pas de danger à aller faire un tour et voir ce qu’on peut trouver, si ?

- Si tu n’obéis pas aux ordres, tu vas encore te faire engueuler. Tu fais quoi si elle te vire du camp ? Tu rentres en France la queue entre les jambes ?

Je ne suis pas en prison, quand même. Si le responsable de la mission ne peut pas être libre de ses mouvements, dans quel monde on vit !

- Tu es fou, Arthur, tu ne t’écoutes même pas toi-même.

Je sais que je suis fou, mais si j’ai fait tous ces efforts, c’est pour venir en aide à mes concitoyens, à ceux qui sont restés dans ce pays qui m’a vu naître et qui maintenant souffrent à cause de cette stupide guerre et de ces stupides militaires. Alors, qu’ils aillent se faire foutre avec leurs règles à la con !

Je retrouve zéro zéro L et lui demande de m’accompagner dans ma mission d’exploration des alentours. Comme d’habitude, il ne pose aucune question, récupère son arme de service et un blouson, et vient avec moi. Il s’installe au volant de la Jeep et je m’assois à ses côtés. J’envisage un instant de demander l’accord de la Lieutenant, mais je préfère ne pas prendre le risque finalement. Ce serait juste une perte de temps pour qu’elle me l’interdise. Je préfère jouer au con et faire comme si je ne savais pas. Quitte à s’engueuler, autant le faire après ma sortie !

Je suis surpris lorsqu’un soldat nous arrête au portail du camp. Cette sécurité n’existait pas il y a encore deux jours.

- Vous allez où ? La Lieutenant a dit que personne ne devait sortir sans son accord.

- Je vais aller explorer les environs. On a besoin de ravitaillement et il doit y en avoir dans les fermes alentours.

- Vous avez l’accord de la Lieutenant ?

J’hésite à mentir, mais je n’ai pas envie de mettre ce soldat en difficulté. Avec le caractère de cochon de la militaire, s’il se fait engueuler, il risque de se retrouver à faire des pompes jusqu’à la fin de sa mission.

- Non, mais en tant que responsable de la mission, je n’ai pas besoin de son accord.

- Sans son accord, je ne peux pas vous laisser passer, Monsieur Zrinkak. Désolé.

- J’ai bien noté votre désaccord, soldat. J’en ferai part à la Lieutenant quand je la verrai. Allez, Laurent, on y va.

Sous les yeux ahuris du soldat, Laurent redémarre et fait passer le véhicule à travers le portail resté ouvert. Il se précipite vers son téléphone et je sais que je vais passer un sale quart d’heure quand sa cheffe m’aura rattrapé. Pour l’instant, je profite de ma liberté retrouvée, mais le sentiment ne dure pas car un autre soldat vient se positionner devant la voiture alors que Laurent pile pour ne pas l’écraser. Je reconnais le soldat Kubiak que j’avais totalement oublié depuis mon arrivée. Il a l’air moins commode que le petit jeune qui était de garde au camp.

- Halte là ! Vous allez où ? demande-t-il en Silvanien.

Laurent me regarde, attendant mes ordres. J’hésite sur la marche à suivre. Je réponds à Kubiak dans sa langue :

- On va chercher à manger. Vous allez nous accompagner ?

- Oui, j’ai ordre de vous surveiller. Où vous allez, je vais. C’est tout. Garde du corps, se permet-il d’ajouter, un sourire sarcastique affiché sur le visage.

- J’ai déjà un garde du corps, pas besoin de deux.

- On n’est jamais trop prudent, M. Zrinkak. Je monte.

Sans nous laisser le choix, il monte à l’arrière de la jeep et ne dit plus un mot. Laurent ne parle pas non plus. On dirait que c’est normal pour lui que son chef parle la langue du pays, invite un soldat à monter. Je me dis que je suis bien loin de ma vie française où cette situation apparaîtrait ubuesque. Ici, c’est juste du quotidien.

Laurent engage le véhicule sur la petite route escarpée qui mène vers le sommet de la montagne. Il est prudent car il n’y a pas, comme en France, de bas-côtés. C’est la route, et juste à côté, le vide. Je souhaite aller au sommet car j’espère avoir une vue sur la région dans laquelle nous sommes et repérer ainsi les fermes alentours afin de trouver ces ravitaillements dont nous avons besoin.

Dans le silence de la voiture, je suis tranquille et je peux admirer le paysage qui se dévoile à nous. Des souvenirs de mon enfance me reviennent et je me perds dans mes rêveries où je me revois gamin, avec mes parents et ma soeur, en train de faire des randonnées dans ces montagnes magnifiques. Absorbé par mes pensées, je suis surpris quand Laurent s’arrête et me regarde.

- On est en haut, boss, m’explique-t-il en utilisant toujours le moins de mots possible.

- Merci Laurent.

Je descends du véhicule et observe le paysage, cherchant à découvrir s’il y a des maisons ou des fermes aux alentours. Kubiak m’a aussitôt emboîté le pas et reste deux ou trois mètres derrière moi à tout moment. Alors que j’allais lui faire une remarque, un bruit de véhicule se fait entendre. Un 4x4 est en train de foncer sur la route que nous venons de prendre. Kubiak, à mes côtés, arme son fusil et se met en position. Laurent fait de même et me fait signe de retourner dans notre Jeep, ce que je fais immédiatement. Je sens l’adrénaline monter en moi et me dis que la sécurité est peut-être nécessaire en période de guerre.

Le 4x4 arrive enfin à notre hauteur et s’arrête dans un bruit de crissements de pneus.

- Nom de Dieu mais qu’est-ce que vous foutez dehors ? gronde Snow en descendant du véhicule. Baissez vos armes, vous avez de la chance, ce n’est que moi.

- Halte ! crie Kubiak en pointant son arme sur Snow qui réagit en pointant la sienne sur le soldat qui m’accompagne.

Je regarde par la fenêtre du véhicule les deux militaires qui s’observent et se jaugent, chacun prêt à faire feu. J’ouvre lentement ma portière et sors de la Jeep alors que Laurent se positionne à mes côtés pour me protéger. Quel bordel. Trois gars armés et prêts à faire feu. Deux autres militaires dans le 4x4 français prêts à intervenir. Et moi au milieu de tout ce merdier que j’ai créé. Pour avoir des œufs. C’est fou.

- Baissez vos armes, bordel ! On est entre amis ! crié-je en appuyant sur le fusil de Kubiak pour l’abaisser vers le sol.

- Entre amis ? Vous vous barrez comme un traître, j’appelle pas ça être entre amis, bougonne le militaire français en abaissant lentement son arme sans lâcher Kubiak des yeux.

- Sergent Snow, voici le soldat Kubiak. Détaché spécialement par le Gouvernement pour assurer ma sécurité. Vous voyez, je ne risque rien. Et je suis en mission, je ne vois pas pourquoi vous parlez de traître !

- Une mission qui n’a pas été autorisée ! Vous êtes dans un véhicule sans blindage, avec deux guignols plutôt qu’une assistance militaire, sur un terrain que nous n’avons pas exploré et qui pourrait très bien être miné ! Bordel, vous cherchez quoi, Zrinkak au juste ? Vidal va vous écharper !

- Je cherche des œufs et des légumes, pourquoi ? le provoqué-je en répondant comme si je parlais de sortir faire les courses au marché en France.

- Foutus civils, marmonne-t-il. Quant à Kubimachin, là, profitez-en, il risque de virer rapidement, la Lieutenant a fait remonter sa présence au Colonel.

- Moi, j’obéis pas à votre Lieutenant, me surprend Kubiak à répondre en français. Je suis là pour vous surveiller et vous êtes en terrain non autorisé. Pas de militaire français sur cette zone. Je vais faire mon rapport.

- Kubiak, vous voyez bien que Snow est ici pour venir me chercher, pas pour envahir votre pays ! On va rentrer de toute façon, c’est clair que je ne vais pas trouver mes œufs et mes légumes avec votre aide. A part vous menacer avec vos armes, vous ne servez décidément à rien. Laurent, on rentre !

- Montez dans le PVP, soupire le Sergent en faisant signe à ses collègues de descendre. Hors de question de vous ramener là-dedans, trop risqué.

- Si Zrinkak monte avec vous, je viens aussi, intervient Kubiak. J’ai ordre de pas le lâcher. Je veux pas d’un mauvais coup de votre part.

- Bien sûr, s’esclaffe Snow en lui faisant une courbette. Je vous offre le café et les croissants aussi ? Le PVP est réservé aux personnes qui vivent sur le campement. On va les suivre dans le 4x4. Allez, Monsieur Zrinkak, Laurent, vous serez plus à l’abri dans le PVP. Avec Kubi, on va tailler la bavette pendant ce temps, en espérant ne pas se prendre une mine par votre faute.

- Kubiak, vous inquiétez pas. Je retourne au camp. Désolé, mais c’est la fin de la promenade.

Je soupire et monte dans le véhicule blindé en compagnie de Laurent alors que Snow et Kubiak s’installent dans notre Jeep. Aucun des deux ne lâche son arme et je m’amuse à m’imaginer la conversation qu’ils vont avoir dans la voiture sur le chemin du retour. En attendant, je ne suis pas dans la merde, moi. Ça risque de barder avec la Lieutenant en rentrant au camp.

- Tu aimes bien les fessées ? Tu préfères les corvées de latrine ou les pompes ? Tu es dans la merde, Tutur, tu ne vas avoir que ce que tu mérites.

Satanée petite voix.

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