04. Sécurité ne rime pas avec humanité

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Arthur

- Cassé ! me lance un Dan hilare en imitant le geste de Brice de Nice.

Je me retourne vers lui et le fusille du regard. Je n'en reviens toujours pas de la façon dont cette militaire m'a parlé. Elle m'a pris pour un con, c'est clair. Et devant toute mon équipe. Je ne peux pas laisser passer ça. 

- Dan, encore une remarque de ce genre et je te renvoie en France, lui dis-je sèchement. Rends-toi utile et dégote-nous un camion. Il faut qu'on ramène le matériel dans la tente si on veut commencer à bosser.

- Tu ne vas pas faire bouger la tente avant ?

- Et puis quoi encore ? On a un vrai boulot à faire, nous. Elle veut bouger la tente ? Elle prend son joli petit cul, elle se le bouge et elle s'en occupe ! Nous, on a des bébés à nourrir.

Je constate que Dan n'est pas d'accord avec moi, mais mon ton catégorique et mon regard le font plier.

- Comme tu veux, Chef, c'est toi qui gèreras Joli Cul après… Et pas sûr que tu échappes à la Cour Martiale vu son caractère !

- Dan, je gère, ne t'inquiète pas. J'en ai rien à faire de cette petite jeune qui croit tout savoir. Au pire, je vais voir le Colonel et nous serons tranquilles.

C'est clair que j'ai d'autres priorités que bouger la tente. L'urgence est d'apporter à boire et à manger à toutes ces familles dans la détresse. Et le fait qu'ils parlent tous ma langue maternelle ne m'aide pas à prendre la distance nécessaire. J'ai envie de les aider. Vite et bien. Sans perdre de temps à satisfaire une cheffe qui fait du zèle pour se faire mousser auprès de ses supérieurs.

C'est fou ce qu'elle m'a énervé d'ailleurs. Si elle croit que je vais me soumettre à ses volontés, elle rêve. Le responsable de la mission humanitaire, c'est moi. Elle, son job, c'est de nous protéger ! Et de s'adapter bordel ! Je peux bien mettre mes tentes où je veux !

En attendant que Dan revienne avec le camion et le matériel, je continue à déambuler dans ce qui ne ressemble pas encore à un camp. L'armée n'a vraiment rien fait pour les accueillir. Ils n’ont même pas pensé à l'installation de toilettes ! Juste pour eux, le "confort" ! Elle va m'entendre ce soir la pète-sec.

Je marche en tous cas entre les groupes de gamins, dont certains sont déjà revenus à des activités normales en jouant au foot avec une boîte de conserve. Laurent, mon 00L à moi, ne me quitte pas d'une semelle, même si je ne me sens aucunement en danger. J'essaie de faire un premier diagnostic de la situation, de savoir combien de personnes nous avons à aider et, en échangeant avec les parents présents, je cherche des relais et des personnes parlant soit français, soit anglais, pour rejoindre l'équipe. J'évite soigneusement de dévoiler que je parle le Silvanien afin de pouvoir en découvrir plus sur leur situation.

Une jeune femme tout juste majeure retient mon attention quand elle crie sur un type qui a visiblement essayé de lui mettre une main aux fesses. C'est vrai qu'elle est plutôt jolie avec ses boucles brunes et son regard bleu marine. Avec un peu de chance, vu son âge, elle doit parler au moins l'anglais.

- Bonjour, hello, tenté-je en m'approchant d'elle.

- Bonjour, me répond-elle, méfiante, tout en jetant un nouveau regard au mec qui a les mains baladeuses.

- Parfait. Vous parlez français ? Je suis Arthur, le responsable de Food Crisis.

- Un peu, oui. Je m’appelle Lorena.

- J'ai besoin d'aide pour lancer les choses. Ça te dit ?

J'entre directement dans le vif du sujet. Je ne suis pas un homme de terrain mais ce n'est pas ma première expérience non plus. Je sais qu'il faut faire confiance à son instinct et foncer quand il y a urgence. J'ai envie de faire confiance à cette jeune femme capable de se défendre seule.

- Lancer les choses ? Je ne comprends pas, Monsieur Arthur, lancer quoi ?

- Gérer les stocks, organiser les distributions. J'ai besoin de quelqu'un qui connaisse les gens ici et s'assure que ce soit fait de manière juste.

- Ah ! Oui, heu… D’accord, je veux bien. Qu’est-ce que je dois faire ?

L'homme qui est derrière elle l'apostrophe en Silvanien et lui dit qu'elle a intérêt à ramener plein de nourriture à la maison. Elle se retourne et lui assène une gifle magistrale en répondant qu'elle n'est pas pourrie comme lui. Elle me plaît bien la petite.

- Il me faut une équipe de cinq personnes en qui tu as confiance. Rendez-vous dans quinze minutes près de la tente, ok Lorena ?

- Rendez-vous ? me répond-elle, troublée.

Ah oui, mince, j'ai oublié qu'ici, ce mot veut forcément dire un rendez vous amoureux !

- Oui. Un meeting quoi. Rien de plus. Je peux compter sur toi ?

- Oui oui, d’accord. Je vais aller chercher mes amis.

- Parfait, dis-je en lui donnant une carte de visite. Avec ça, tu récupéreras une veste de l'ONG. A tout de suite.

Je retourne vers la tente quand j'entends le ronronnement du camion qu'a réussi à trouver Dan le magicien. Mais il n'est pas très discret. Tous les réfugiés ou presque s'approchent aussi et il est suivi de près par une jeep de l'armée où je vois que Joli Cul est présente et visiblement furieuse. Ça promet.

- Voilà, Chef, me dit Dan en descendant du camion. Je décharge ou j'attends l'accord de la miss qui arrive ?

- Attends un peu, je vais négocier, soupiré-je. Je vais éviter de trop la provoquer. Quant à toi, il y a une Lorena qui va se pointer. Equipe-la et briefe-la en attendant. Elle va nous aider pour la distribution.

- Toujours aussi efficace, Chef. Bon courage avec la Furie, dit-il en s'éclipsant avec un clin d'œil alors qu'elle est déjà à portée d'oreille.

- C’est qui la Furie ? C’est moi ? Donc en plus de ne pas être très futé, vous êtes borné ? attaque d’emblée le Lieutenant en se plantant devant moi.

- Je ne vois pas de quoi vous parlez, Lieutenant. Regardez, tout le monde est prêt pour la première distribution de matériel et de nourriture. Vu que l'armée ne fait rien, il faut bien qu'on s'en occupe de ces pauvres personnes.

J'essaie de la jouer tranquille et posé mais son attitude fière et arrogante m'énerve trop et je ne résiste pas à la tentation de la provoquer.

Tu ferais mieux de jouer le partenariat, me souffle une petite voix dans ma tête que je n'ai pas envie d'écouter.

- Bien, on va mettre les choses à plat d’emblée, Monsieur Zrinkak. Hormis vous occuper de la bouffe, à ce que je vois, vous n’y connaissez pas grand-chose en ce qui concerne la guerre et les risques que vous faites prendre à tous ces gens. Vos bonnes intentions sont admirables, mais avoir le ventre plein est-il prioritaire sur le risque de se prendre une balle ? Tous vos réfugiés, là, vont s’éparpiller pour manger et prendre des risques terribles !

- Eh ! Il faut vous calmer ! Vous croyez vraiment qu'il y a des gens assez cons pour tirer sur une armée de l'ONU ? Pétez un coup et décompressez ! On peut pas attendre que l'armée soit prête pour nourrir ces réfugiés !

- C’est votre nez que je risque de péter si vous continuez à me casser les ovaires, marmonne-t-elle en se tournant quelques secondes, le temps de vociférer. Snow ! Tu me vires cette tente de là, illico ! Et vous, Monsieur le peace and love, arrêtez de vivre dans le monde des Bisounours ! Apprenez à obéir aux ordres !

- Si vous faites ça, ça va être l'émeute, Lieutenant, murmuré-je, inquiet. Ils ont faim, ils ont froid. On peut pas enlever le camion sans qu'ils aient à manger. Bordel, j'ai peut-être aucune notion de sécurité, mais vous, vous n'en avez aucune d'humanité !

Ma dernière phrase claque dans un silence quasi religieux. Tous les regards sont portés sur nous, au milieu d'une arène invisible. Je plonge dans ses magnifiques yeux verts et nous nous affrontons silencieusement. Ma petite voix me dit que je l'ai blessée et que je suis dans la merde car elle a sûrement raison pour la sécurité. Mais je sais aussi ce que c'est d'avoir faim.

- Très bien, finit-elle par marmonner. L’inhumaine que je suis s’excuse profondément pour son manque de considération pour les estomacs, et vous rappelle, une fois encore, que cet attroupement est une cible facile pour les rebelles ou tout connard qui, comme moi, serait privé d’humanité. Alors, trouvez un interprète et expliquez les choses à ces personnes, ramenez vos provisions près de la bergerie qui sert de réfectoire aux soldats et servez-leur là-bas. Plutôt que de vous complaire dans votre putain d’opposition passive, réfléchissez un peu et bougez votre cul.

- Votre réfectoire? Ouais, ça pourrait le faire si vos collègues sont d'accord. C'est une bonne idée, pour une militaire. Et j'ai déjà l'interprète. J'organise tout ça. Vos hommes peuvent s'occuper de bouger notre tente pendant ce temps-là ?

J'essaie de faire un petit pas vers elle, une petite concession, en acceptant de transférer la tente là où ça ne la dérangera pas. Elle est énervée, mais a pris en compte ma demande, je peux bien faire un effort dans son sens.

- Ouais, ils vont le faire pendant que vous organisez la distribution des repas. Eux au moins savent respecter un ordre.

- Je crois que tu l’as bien énervée, là. Tu vas galérer pour la faire bosser avec toi. Des fois, tu réfléchis pas, tu sais ?

Je fais taire ma petite voix qui se fait bien ennuyante depuis mon retour dans mon pays natal et cherche du regard Lorena que je trouve en grande discussion avec Dan.

- Lorena, crié-je. Viens ici. J’ai besoin de toi. Explique à tout le monde qu’on va faire une première distribution de nourriture. Là-bas, près du bâtiment. Il y en a pour tout le monde, pas besoin de se bousculer. On va leur donner un ticket par famille, je ne veux qu’un représentant par famille, c’est clair ? Et on va en profiter pour donner à chacun une ou deux tentes en fonction de la composition familiale. Comme ça, ce soir, personne ne dormira sans abri.

Je constate avec bonheur que je ne me suis pas trompé sur la personne de Lorena. Elle prend un mégaphone et traduit ce que je viens de dire en rajoutant des détails sur l’organisation qu’elle imagine. Cette fille a du potentiel. Pendant qu’elle fait ça, je vois que Joli Cul est en grande discussion avec ses soldats qui n’ont pas l’air d’apprécier le fait que les réfugiés vont venir dans LEUR réfectoire. Elle est chiante et, clairement, a soif d’imposer sa volonté, mais on ne peut pas dire qu’elle ne soit pas pleine d’énergie et de bonne volonté. Il faudrait vraiment qu’on arrive à reposer les choses à plat et repartir du bon pied. Mais avec toutes les urgences à gérer, quand pourra-t-on trouver ce temps ?

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