Deux enfants dans le vent

3 minutes de lecture

Version audio par l'auteur : https://soundcloud.com/diu-negre/deux-enfants-dans-le-vent?in=diu-negre/sets/premier-roman


Huna se trouvait souvent loin de son camp, alors que le crépuscule glissait de plus en plus vers la nuit. Il n’était pas rare non plus qu’elle fût accompagnée de son amie Navu, avec laquelle elle avait passé toute son enfance. Il s’agissait de ces moments entre le jour et la nuit, lorsque se levait ce puissant souffle de l’ouest qui réduisait tout au silence. Un vent qui terrifiait Navu, car il portait avec lui la noirceur de Fachna, ainsi que les plaintes suraiguës d’un vautour au désespoir. Tout cela lui faisait regretter sa faiblesse. Celle-là même qui la contraignait à l’impuissance face aux demandes d’Huna, car elle ne pouvait rien lui refuser. Même quand il s’agissait de l’accompagner dans ses expéditions – comme elle aimait à les nommer – qu’elle ne daignait guère justifier. C’était ainsi depuis qu’elles se connaissaient : Huna décidait, elle suivait. Un fonctionnement qu’elles finissaient toujours par payer d’une manière ou d’une autre.

Ce soir-là, au pied de l’arbre du clan – un grand hêtre solitaire bruissant de toutes ses feuilles –, Navu prenait son mal en patience et attendait que son amie en finisse, ignorant du reste tout de ses projets. Elle avait compris, bien sûr, que cela concernait le javelot lié, celui-là même qui avait été figé, il y avait bien longtemps, par une cavalière dont elle ne se rappelait plus le nom, en signe d’allégeance à l’hucasi, qui les avaient protégées jusqu’alors. Car il s’agissait de son arbre, le symbole de son pouvoir, se dressant face à tous les maux qui sévissaient en ces lieux. De voir cet arbre si haut, si imposant, rassura quelque peu Navu qui en avait presque oublié que le jour mourrait. Elle s’imaginait déjà avoir rebroussé chemin, toute seule à travers la plaine, évitant tous les écueils qui se tapissaient dans l’obscurité, à l'affût du moment d’inattention qui leur permettrait de l’égarer et de la garder captive. Elle était parmi les siens, assise autour du foyer principal qui rougeoyait d’un feu ardent, conjurant la noirceur s’épaississant alentour.

Aussi épaisses fussent ces ombres, elle ne les voyait plus, elles ne l’effrayaient plus ; toute son attention n’était plus qu'à suivre les variations musicales de son siffleur de père, qui ne se privait jamais de transmettre, une fois la nuit venue, quelques histoires glorieuses des cavaliers de la Svasi Nafna.

Elle ne pouvait se résoudre à manquer l’une de ses histoires et elle était heureuse que ce ne soit le cas ce soir encore. Profitant de la chaleur de ses frères, qui s’étaient agglutinés, elle tentait de percevoir le moindre sifflement, le moindre silence afin de ne rien perdre du sens ; c’était son histoire préférée, celle de la Grande Chevauchée, la Hafizichan – elle la bouleversait toujours autant malgré le nombre incalculable de fois où elle l’avait entendue. Toutes ces amitiés, ces amours, ces trahisons, cette lutte à mort contre le Fléau, la toute-puissance des hucasis et la survie de son peuple, meurtri, mais toujours uni. Tous ces noms, et les actes qu’on leur prêtait, lui redonnait du courage quand elle en avait le plus besoin.

Les svasis en étaient à leur dernier jour de lutte. Fendant la plaine qui n’était plus qu’une mer de sang, bosselée des corps piétinés, la puissante Rani armait son bras. Elle amorçait un dard mortel pour mettre à bas le maître des hordes putrides quand surgit du moins lointain des mondes un nouveau sifflement suraigu et dissonant, qui priva Navu de son refuge. Elle n’était pas retournée auprès des siens. Non, elle n’avait pas eu ce courage. Elle était encore au pied de cet arbre, frigorifiée par la morsure du vent de l’ouest, terrifiée par le deuil criard du maître des cieux crépusculaires. Si elle avait pu seulement lui dire, peut-être son amie aurait-elle compris son désarroi, son impérieuse nécessité d’être avec sa famille, alors que poignaient à l’horizon les derniers instants de son enfance. Mais elle ne dit rien, maudissant sa faiblesse dans le sifflement incessant du vent.

Annotations

Vous aimez lire Dahu Hypnotique ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0